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nition a l’avantage de mettre en relief le caractère libre et moral de la certitude dont nous parlons, et de la considérer dans la plus importante partie de son domaine, les grandes vérités morales et religieuses. Cependant elle est incomplète, elle aussi, soit parce que les doutes imprudents ne viennent pas seulement des mauvaises dispositions du sujet, mais supposent toujours du côté de l’objet, tel qu’il nous apparaît dans le processus mental, un défaut de clarté, une manifestation moindre qu’on appelle 1' « évidence imparfaite » ; soit parce que, parmi les dispositions défectueuses du sujet, origine de ces doutes, il ne faut pas considérer seulement les mauvaises dispositions morales, les vices du cœur, mais aussi les défauts de l’esprit, qui suffiraient à eux seuls à empêcher souvent l’adhésion de l’intelligence, même avec une moralité parfaite. L’esprit a, lui aussi, ses dispositions maladives, et peut facilement contracter des habitudes funestes ; la bonne éducation de l’esprit, l’hygiène de l’esprit, est ici aussi nécessaire, proportion gardée, que l'éducation du cœur et l’hygiène morale. VoirCROYANCE, t. iii, col. 2383, 2384. Si Augustin, dans sa jeunesse, a été poussé à l’hérésie et à l’incrédulité par ses passions, il l’a été aussi par la confusion des méthodes des diverses sciences, et les exigences déraisonnables d’un esprit mal formé : « Je voulais être certain des choses que je ne voyais pas comme j'étais certain que sept et trois font dix. » Confessions, 1. VI, c. iv, P. L., t. xxxii, col. 722. Brugère caractérise donc plus complètement l'évidence ou la certitude morale, quand il remarque que l'évidence stricte, celle que l’on considère ordinairement, détermine également tous les esprits, parce qu’elle ne demande aucune disposition spéciale de l’esprit et du cœur ; que 1' « évidence morale » au contraire, parce qu’elle dépend de ces dispositions, n’entraîne pas également tout le monde. De vera religione, Paris, 1878, p. 268. Suarez avait déjà parlé d’une « évidence morale » qui dépend des dispositions du sujet : « Durand, dit-il, prétend que les miracles faits en témoignage de la vérité ne peuvent en donner l'évidence. Son opinion est peut-être vraie de l'évidence mathématique, mais non pas de l'évidence morale, suffisante à convaincre un esprit qui ne soit pas trop mal disposé. » In III* m D. Thomse, q. xliv, disp.XXXI, sect. ii, n. 7, Opéra, Paris, 1860, t. xix, p. 486. Pour la manière dont les dispositions morales peuvent influer sur l’assentiment et en particulier sur l’assentiment aux préambules de la foi, voir Crédibilité, t. iii, col. 2220-2222.

De ces recherches, concluons que, si l’on voulait avoir une définition plus complète de l'évidence morale, on pourrait dire, par exemple : c’est une manifestation de l’objet (ou des motifs d’assentiment) suffisante à rendre l’assentiment infaillible, mais d’autre part, à cause d’un certain manque de clarté, insuffisante à rendre l’assentiment ferme et à empêcher les doutes imprudents, si elle n’est aidée par les bonnes dispositions du sujet ou sa libre volonté. La certitude morale, qui correspond à cette évidence morale, pourra se définir : une certitude qui doit à ses motifs une vraie infaillibilité, mais non pas toute sa fermeté d’adhésion, dont elle est redevable, en outre, aux bonnes dispositions du sujet ou à la volonté libre.

c) Division ternaire de la certitude en métaphysique, physique et morale. — Que dire de cette division, qui ne se rencontre pas dans les premiers temps de la scolastique, mais à une époque plutôt tardive ? Quel qu’ait été son succès dans les manuels de philosophie, elle nous semble obscurcir plutôt qu'éclairer la question de la certitude, et en plusieurs endroits, celle de la foi divine. Et d’abord, on ne s’accorde pas pour la manière de l’entendre.

Pour plusieurs, la certitude dite métaphysique a

I pour caractéristique « l’impossibilité absolue de se tromper, » ce que nous avons appelé « l’infaillibilité » ; et les deux autres ne sont de vraies certitudes qu’autant qu’on peut « les ramener à la certitude métaphysique. » Mais alors, dites qu’il n’y a qu’une seule vraie certitude ; ne divisez pas la vraie certitude en trois espèces qui n’en sont pas, qui ne peuvent avoir que des différences matérielles insignifiantes pour la question. Et puis, par ces noms, vous donnez occasion de croire faussement qu’il n’y a de certitude vraie que dans l’ordre métaphysique, jamais dans l’ordre physique ou moral. Sylvestre Maurus, un des premiers scolastiques chez qui nous trouvons exposée cette division ternaire, mentionne cette explication et la combat. Opus theologicum, q. cxxvii, n. 6, Rome, 1687, t. ii, p. 404.

Pour les autres partisans de cette division, la certitude physique et la certitude morale sont de vraies certitudes, mais d’un degré inférieur. — Afin de prouver la division ternaire ainsi comprise, on part de la considération d’une certitude qui est dans les choses elles-mêmes. Cette certitude n’est que la détermination d’une chose à être ou à agir. Plus une chose est nécessairement ce qu’elle est, ou plus elle produit nécessairement son effet, plus elle a cette certitude. Ainsi l'être nécessaire est plus « certain » que l'être contingent, qui n’a qu’une nécessité hypothétique ; la causalité nécessaire est plus « infaillible » , atteint plus « infailliblement » son effet, que la causalité contingente et libre. De ces divers degrés de nécessité ou d’infaillibilité dans les choses, doivent naître divers degrés de certitude dans nos jugements. « Suivant que le lien entre l’attribut et le sujet est plus ou moins nécessaire, dit le P. de Mandato, il faut qu’il y ait différentes espèces de certitude. Car ou bien l’attribut appartient au sujet absolument, c’est-à-dire en toute hypothèse, ainsi appartiennent à une chose ses attributs essentiels, à l’homme d'être un animal raisonnable ; ou bien l’attribut ne lui appartient qu’en vertu d’une supposition (hypothétiquement) : et alors cette supposition est fondée ou sur une loi physique universelle, qui sans détriment de l’essence peut être suspendue par Dieu, comme la loi de l’attraction des corps ; ou sur une loi morale universelle qui, en général, ne trompe pas, car elle résulte de la direction naturelle de la nature humaine vers le bien, mais qui peut manquer dans un cas particulier par l’intervention de la liberté humaine : par exemple, que les mères ne tuent pas leurs enfants. Dans le premier cas, nous avons la certitude métaphysique, dans le second cas, la certitude physique, dans le troisième, la certitude morale. » Inslitulioncs philosophiez, Rome, 1894, n. 257, p. 149. Critique. — Nous voyons bien qu’il y a là trois degrés de nécessité dans les choses, ou d’impossibilité dit contraire : le premier qui n’admet pas d’exception, le second qui admet l’exception du miracle, le troisième qui admet des exceptions du côté même de la liberté humaine. Ou bien trois sortes de lois : les lois essentielles et absolument nécessaires des êtres ; les lois physiques, contingentes au moins dans leurs effets ; les lois morales qui ne sont que des manières ordinaires d’agir, basées sur des instincts que la liberté fait parfois fléchir. Mais nous ne voyons pas là une division exacte et adéquate de la vraie certitude. Posons le cas particulier et pratique, que ces lois générales servent à prévoir : « l’effet de cette loi physique, de cette loi morale, va-t-il se produire dans tel cas ? » Puisque nous savons qu’il y a toujours des exceptions possibles, de deux choses l’une : ou bien nous n’aurons la vraie certitude dans aucun de ces cas particuliers, ce qui a fait dire que la certitude physique et la certitude morale, ainsi définies, ne sont pas de vraies certitudes ; ou bien nous tâcherons