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HILDEGARDE (SAINTE’2470

pays. De partout les visiteurs accouraient demander ses conseils. Elle entreprit, en dépit d’une santé misérable, des voyages sans nombre dans l’Allemagne. L’édification et la reforme du peuple chrétien, et surtout des monastères, donnent l’explication de tant de lettres et de courses. Bien que vouée à la vie contemplative par sa profession et par son attrait intime, Dieu, dit P. Franche, Sainte Hildegarde, Paris, 1903, p. 69, « lui confia un ministère public. Il en fit son portemessages, sa voyageuse à travers les consciences, la redresseuse des torts commis à son égard, celle qui devait réveiller les âmes de leurs oublis épais et de leurs sommeils profonds. »

Parmi des difficultés venues du dehors et du dedans, Hildegarde gouverna sagement son monastère et lui imprima un essor remarquable. En 1165, elle fonda, à Eibingen, sur l’autre rive du Rhin — la rive droite — à une lieue de Saint-Rupert et presque aux portes de Rudesheim. une nouvelle maison sous le vocable de s ; <int Gisilbert (Gilbert). Elle fit des miracles. Ces prodiges, si providentiels qu’ils soient, s’effacent devant le miracle permanent de sa carrière « d’apôtre puisant directement ses inspirations à même le ciel… Là est… sa forme de sainteté à elle, et dont les miracles ordinaires ne sont que les avenues communes à tous. » P. Franche, Sainte Hildegarde, ]). 192, 193. Le miracle est aussi dans cette humilité qui fut « comme son ambiance et son atmosphère » . La liturgie exerça sur Hildegarde une action décisive ; « elle est, par sa spiritualité, dit dom M. Festugière, La liturgie catholique, dans la Revue de philosophie, Paris, 1913, t. xxii, p. 770, une vraie moniale de la vraie tradition ; elle vit du bréviaire et de la messe chantée conventuellement. »

Hildegarde mourut le 17 septembre 1179. Des guérisons se produisirent sur sa tombe, et le concours des pèlerins fut tel que les religieuses étaient troublées dans la récitation de l’office et leurs exercices de règle. L’archevêque de Mayence enjoignit à la sainte de ne plus accomplir de miracles extérieurs en ce lieu de sa sépulture. Elle obéit ; à partir de ce moment, son intercession n’obtint plus que des faveurs spirituelles. En 1233, Grégoire IX ordonna de procéder à une enquête de canonisation. Cette tentative n’aboutit point ; Innocent IV et Jean XXII la recommencèrent sans résultat. On n’est pas fixé sur la nature des obstacles que rencontra une canonisation en apparence si facile ; on sait seulement que Grégoire IX jugea le premier procès fautif et en prescrivit un second. En tout cas, dès le xiiie siècle, la fête d’Hildegarde fut célébrée à l’abbaye de Gembloux ; au xive siècle elle paraît dans le bréviaire bénédictin. Des martyrologes particuliers l’honorent, au moins à partir du xve siècle, et son nom est inscrit dans le martyrologe romain, à la date du 17 septembre.

II. Œuvres. — 1° Liste, chronologie, sujet, état du texte. — Le premier en date (1141-1151) et le plus important des ouvrages de sainte Hildegarde est le Scivias (abréviation de Sci vias Domini ; cf. sur ce titre l’explication d’Hildegarde dans le fragment de la lettre De modo visitalionis suæ publié par les bollandistes, Analecta bollandiana, Bruxelles, 1882, t. i, p. 599). Dans le préambule du Liber vitæ meritorum, cf. Pitra, Analecta sacra, Mont-Cassin, 1882, t. viii, p. 7-8, elle dit que, de 1159 à 1164, elle composa les Subtilitates diversarum naturarum creaturarum, la Sgmphonia harmonise cselesiium rcvelationum, YIgnota lingua, et des lettres, cum quibusdam aliis exposilionibus. Ces derniers mots peuvent désigner les Expositiones quorumdam Evangeliorum, VExplanatio regulæ sancti Benedicii, VExplanatio symboli sancti Athanasii. Le Liber vitæ meritorum fut écrit de 1159 à 1164 ; le Liber divinorum operum de 1164 à 1170 au plus tôt.

Les deux Vies de saint Disibode et de saint Rupert sont des environs de 1173. On ignore la date du Liber composites medicinæ de segritudinum causis, signis atque curis, de diverses œuvres liturgiques, poétiques, musicales. Des nombreuses lettres que nous possédons il n’en est guère qu’on puisse estimer antérieures à 1148 ; en général, les dates précises manquent. Sur la chronologie des lettres échangées entre la sainte et Guibert de Gembloux, cf. H. Herwegen, Les collaborateurs de sainte Hildegarde, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1904, t. xxi, p. 382-388. La lettre qui contient les XXXVIII quseslionum sotutiones est de 1177.

Le Scivias, le Liber vitæ meritorum et le Liber divinorum operum forment une trilogie insigne. Dans le Scivias, Hildegarde fait œuvre dogmatique. C’est plutôt la moraliste qui apparaît avec le Liber vitæ meritorum. Le Liber divinorum operum est d’ordre scientifique ; rattachons-y les Subtilitates diversarum naturarum creaturarum ou Liber simplicis medicinæ, et le Liber compositæ medicinæ, qui embrassent toute l’histoire naturelle au point de vue de la médecine pratique. L’Ignota lingua est « une sorte de volapiick » , et peut-être « un travestissement des deux langues que possédait Hildegarde, l’allemand et le latin, amalgamés au gré de la fantaisie ou d’après une méthode déterminée de substitution de voyelles et de diphtongues à d’autres. » P. Franche, Sainte Hildegarde, p. 96.

Nous n’avons pas, malheureusement, cette editionem vere principem, omnibus numeris absolulam, que le cardinal Pitra, Analecta sacra, t. viii, p. xix ; cf. p.n, 600, appelait de ses vœux. L’édition du Scivias par Lefèvre d’Étaples (1513), reproduite par Migne, est défectueuse ; les variantes fournies par Pitra, p. 503517, 600-603, et la nouvelle édition d’A. Damoiseau (1893), l’ont améliorée, mais sans conduire à un texte de tout repos. Pitra, par un choix de variantes, p. 603607, a montré combien laisse à désirer le texte du Liber divinorum operum, des lettres et des Carmina, donné par Migne. Les Expositiones quorumdam Evangeliorum n’offrent probablement pas le texte d’Hildegarde, mais des rédactions de ses religieuses écrivant dans le calme de leur cellule ce qu’elles avaient entendu au chapitre. Entre le texte de l’édition de 1533 des Subtilitates diversarum naturarum creaturarum et celui d’un manuscrit du xv c siècle qu’a utilise le nouvel éditeur, le D’Daremberg (dans la Palrologie de Migne), il y a continuellement non seulement des variantes de détails, mais encore des changements substantiels ; l’écrit original a été indignement revu, augmenté et défiguré. La fameuse lettre Ad prælatos Moguntinenses, P. L., t. cxcvii, col. 218-243, renferme dix pièces différentes cousues bout à bout. L’authenticité de quelques lettres n’est pas très sûre. P. von Winterfeld, Die vier Papslbriefe in der Briefsammlung der h} Hildegard, dans Ncues Archiv der Gesellschaft fur altère deulsche Gesrhichtskunde, Hanovre, 1901, t. xxviii, p. 237-244, a prouvé que les trois lettres de papes qui ouvrent le recueil des lettres d’Hildegarde, dans P. L., t. cxcvii, col. 145, 150-151, 153, sont apocryphes.

On a faussement attribué à Hildegarde le Spéculum futurorum temporum ou Pentachronon (ainsi désigné parce qu’il est divisé en cinq temps, qui commencent en 1100) ; c’est une chaîne des prophéties de la sainte, que Gebenon, prieur d’Everbach, composa en 1220. Plusieurs prophéties apocryphes ont été imprimées sous le nom d’Hildegarde. Cf. F. -A. Reuss, P. L., t. cxcvii, col. 143 ; Pitra, p. xxii. Une prétendue Revelalio Hildegardis de Iralribus quatuor mendicanlium ordinum, où l’apostat C. Oudin, Commentarius de scriptoribus Ecclesiæ antiquis, Leipzig, 1722, t. ij, col. 1572, si hostile pourtant aux révélations des femmes, admirait la peinture tracée d’avance des méfaits des ordres mendiants et des jésuites, est une