Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/533

Cette page n’a pas encore été corrigée
2297
2298
HERMÈS


enseigné sur la justice vindicative de Dieu les théologiens catholiques.

La liberté essentielle de Dieu dans ses œuvres ad extra, non plus que sa bonté libre et gratuite dans la communication de ses dons, ne sont possibles selon les principes de la théologie hermésienne. Dieu doit vouloir à tous les êtres raisonnables, dit Hermès, tout le bien et toute la félicité qu’il connaît possible et dont ils sont capables, et la félicité dans le degré le plus parfait. Autant prétendre que n’importe quel don, voire même l’élévation à l’état et au bonheur surnaturels, est exigible. Hermès fixe pourtant à Dieu, dans la distribution de ses grâces, une mesure qu’il ne doit pas dépasser. Il est permis à Dieu d’en donner à quelqu’un toujours de nouvelles et autant qu’il peut, sans nuire aux autres. Passons sur ce prétendu tort ou dommage à autrui ; mais est-ce là l’idée catholique d’un Dieu, qui, n’étant débiteur de ses grâces à personne, les accorde comme il veut, à qui il veut et dans la mesure qu’il lui plaît, selon le dessein toujours juste et droit de sa volonté ?

Au détriment de la liberté divine encore, Hermès exalte l’indépendance de l’homme. « Dieu ne peut en aucune façon, prétend-il, par des commandements positifs et révélés, prescrire immédiatement à l’homme ni certaines dispositions de l’esprit ni certains sentiments du cœur. » Par là, Hermès n’entend pas seulement que tout précepte de ce genre présuppose dans l’homme la ferme persuasion d’une révélation divine et l’obligation naturelle d’en accepter les dispositions. Il ne dirait rien que n’aient aflirmé et que n’affirment encore tous les théologiens orthodoxes. Au jugement de Hermès, nous avons beau reconnaître qu’un précepte positif émane vraiment d’une autorité et d’une révélation divines, notre raison n’est pas assurée pour autant que son objet est digne de Dieu, juste et vrai. Il faut examiner au préalable le commandement en lui-même, établir s’il a quelque rapport avec notre raison, enfin juger s’il est conforme ou non à la vérité et à la justice. Jusque-là, quoiqu’on sache de science certaine que le précepte est divin, il ne vaudra que comme un encouragement, une instruction, une règle, et non comme une loi obligatoire. Les préceptes positifs révélés n’obligeant plus directement et par eux-mêmes, la morale chrétienne est amputée de ses principes propres ; c’est, par le fait, son élimination prononcée. Voilà du moins la conséquence immédiate la plus claire. On n’a pas de peine à reconnaître d’où procède l’erreur. Hermès applique ici aux vérités morales, comme il applique ailleurs aux vérités dogmatiques, sa méthode du doute et sa règle de foi rationaliste.

La raison pratique détermine encore en Dieu, ou plutôt prescrit moralement à Dieu, la fin qu’il a dû se proposer en créant toutes choses. Cette fin n’est pas sa gloire extérieure à procurer, ou la manifestation de ses perfections essentielles, quoi qu’en dise la tradition catholique. Elle ne peut être que la félicité des créatures intelligentes. Dieu créa l’homme pour l’homme, et tout le reste se rapporte à l’homme, à sa félicité et la plus grande possible. Parler de gloire extérieure de Dieu, c’est avancer une chose que nulle part la révélation ne certifie, c’est prêter à Dieu un égoïsme ou une ambition que la raison pratique condamne. Et cependant Hermès ne prouvera jamais qu’agir pour une fin utile et se proposer en agissant une fin digne de soi sont une même chose.

Hypnotisé par son principe de l’autonomie de la raison pratique, Hermès a, en somme, ramené la divinité aux proportions de l’homme, ou même voulu hausser l’homme au niveau de Dieu.

5° État de l’homme avant la chute ; le péché originel. — Parmi les erreurs de Hermès, le bref de Grégoire XVI

a signalé encore ses vues particulières sur la condition de nos premiers parents et le péché originel.jL’homme avant la chute avait avec Dieu une double ressemblance : l’une physico-spirituelle, résultant des facultés d’intelligence et de volonté, essentielles à l’être raisonnable ; l’autre morale, consistant dans une rectitude de sa volonté. Au jugement de’Hermès, cette dernière est proprement le privilège de l’état d’innocence. Elle impliquait un parfait équilibre des facultés, c’est-à-dire la soumission des sens à la raison, une intelligence sans erreur et une volonté droite dans l’ordre de la moralité. Cette rectitude faisait de la nature de l’homme une nature intègre, ou, ce qui est une même chose pour le théologien allemand, le constituait dans un état de justice et de sainteté, l’homme, en vertu de cette loi droite de ses facultés, étant capable de produire des actes justes et saints. Faut-il regarder cette rectitude comme surnaturelle, un don absolument gratuit ? Hermès répond : elle n’est pas essentielle à l’homme, l’idée d’homme subsistant sans elle. Mais on aurait tort de la déclarer surnaturelle, puisqu’elle ne découle pas de la grâce sanctifiante ; il faut la nommer morale et rien de plus. Elle est gratuite, car l’homme n’a pu mériter d’être placé dans l’état qu’elle suppose. L’homme eut-il aussi, dès le premier instant, la grâce sanctifiante, une grâce qui l’élevait à un état absolument au-dessus de sa nature ? La réponse est affirmative, mais il importe d’en comprendre le sens. La grâce sanctifiante, suivant Hermès, est la bienveillance de Dieu pour l’homme juste et saint, entendons moralement intègre, bienveillance qui lui vaut tous les secours surnaturels pour bien agir. Elle n’est donc pas une réalité surnaturelle, inhérente à l’homme ; elle découle rigoureusement, et comme un droit exigible, de la rectitude morale. On voit sans peine les étroites affinités du système hermésien avec les erreurs condamnées de Baias, Jansénius, Luther et Calvin.

Ces affinités sont non moins visibles dans la conception du péché originel. Le formel de ce péché, prétend Hermès, est tout entier dans la concupiscence désordonnée. La rectitude morale suffisait à elle seule à rendre Adam et Eve justes et saints ; leur faute fit cesser le rapport de parfait équilibre entre la raison et les sens, déterminant ainsi un véritable changement de leur nature. Le péché originel dans leur descendance, c’est cette même concupiscence désordonnée dont nous héritons avec la nature humaine. Et la culpabilité transmise à la postérité d’Adam consiste tellement dans ce désordre, qu’il n’y a pas lieu pour la définir d’établir un lien entre le péché originel et la faute actuelle du premier homme ni même faute volontaire quelconque. Dans la définition de la tache héréditaire il ne peut être question non plus de la grâce sanctifiante perdue. Autrement, Adam et Eve, parla disparition de la rectitude morale, devinrent injustes et pervers ; ils le fussent devenus, même sans aucune faute volontaire de leur part, par le fait seul de la concupiscence ; et on peut en dire autant de leur descendance. Si on objecte que le baptême efface le péché originel sans pourtant faire disparaître la concupiscence, Hermès réplique : La concupiscence sans la grâce attire l’homme vers le mal et le rend abominable à Dieu ; mais dès l’instant que la grâce est reçue, la concupiscence ne peut nuire, rendre l’homme coupable et un objet de déplaisir à Dieu. Réponse de l’erreur acculée, et qui trahit plus d’un rapport de conformité avec le système prolestant. Elle justifie d’ailleurs le mot de Bellarmin : les novateurs, en faisant consister le péché originel dans la concupiscence, ont fini par le réduire à rien. Hermès n’est pas loin de le regarder comme n’étant pas vraiment un péché. N’est-ce pas la raison pour laquelle il le nomme constamment la qualité ou disposition coupable’?