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HÉRÉSIE. HÉRÉTIQUE


est formellement hérétique. Sans doute, il ne sera pas soumis aux peines qu’inflige l’Église aux hérétiques externes, voir plus loin, col. 2245, puisque extérieurement et en fait il croit ce que l’Église croit et enseigne, mais il n’en commet pas moins réellement un acte dont la note caractéristique est la révolte contre la règle de la foi et qui, par là même, devient acte d’hérésie.

b) L’acte d’hérésie est un jugement commandé par la volonté. — Les théologiens, voir Suarez, De fide, loc. cit., sect. iii, n. 1, en donnent trois raisons : a. l’acte d’hérésie s’oppose à l’acte de foi ; or, il est de l’essence de l’acte de foi d’être volontaire ; donc la volonté aura pareillement sa part dans l’acte d’hérésie ; b. l’hérésie peut devenir un péché ; or, il n’y a pas péché sans acte de la volonté ; c. l’ignorance invincible excuse du péché d’hérésie, précisément parce qu’elle fait que l’hérésie n’est plus voulue en elle-même.

Laissant de côté la question du volontaire dans le péché d’hérésie, il suffît présentement de considérer les conditions psychologiques de l’acte d’hérésie pour se rendre compte que cet acte est volontaire, en tant que, comme on l’a expliqué pour l’acte de foi, voir Foi, col. 434, le jugement de l’intelligence est commandé par la volonté. En effet, l’acte d’hérésie étant formellement constitué par un jugement erroné en matière de foi divine et catholique, aucun motif cogent ne peut exister qui entraîne l’assentiment de l’esprit. L’assentiment de l’esprit ne peut se produire nécessairement qu’en raison de l’évidence intrinsèque de la vérité (dans le cas de la science) ou, s’il s’agit de vérités inévidentes, qu’en raison de l’évidence de la véracité du témoignage qui les affirme (dans le cas de la foi scientifique). Voir Évidence, t. v, col. 1728-1729. Or, ni l’évidence de la vérité, ni l’évidence de la véracité d’un témoignage ne peuvent exister à la base d’un assentiment erroné en matière de foi. Quelle que soit la théorie psychologique que l’on accepte pour expliquer le rôle de la volonté à l’égard des jugements erronés en général, il est donc trop clair qu’en l’espèce, l’assentiment erroné de l’intelligence dans l’acte d’hérésie requiert l’intervention de la volonté libre.

Cette intervention n’implique pas nécessairement la conscience de l’opposition dans laquelle on se met par rapport à la règle de la foi catholique. Il est possible que cette règle de la foi soit, comme telle, complètement ignorée ; il est possible que l’hérétique ait des motifs de crédibilité purement respective par rapport à certains prétendus articles de foi admis par lui ; il est possible enfin que la volonté soit entraînée par des motifs subjectivement louables : ces cas se rencontrent chez les hérétiques de bonne foi. Nous n’avons pas à faire l’exposé des motifs qui peuvent ainsi incliner la volonté ; nous trouverions des motifs variant à l’infini tout autant que les déterminations de la volonté elle-même, l’opposition à la règle de la foi pouvant se manifester d’une infinité de manières. Quant à la règle choisie en opposition avec l’enseignement de l’Église, que ce soit le principe du libre examen, ou le principe des articles fondamentaux, ou le principe des sept conciles œcuméniques, ou simplement renseignement des doctrines de la secte à laquelle on appartient, peu importe : la réalité de son opposition avec la véritable règle de la foi suffît à expliquer l’acte d’hérésie. Mais c’est la conscience de cette opposition, si elle existe chez l’hérétique, qui doit servir de critérium pour juger de la culpabilité de cet acte.

2. Moralité de l’acte d’hérésie : le péché matériel et le péché formel. — Lorsque la volonté n’intervient dans l’acte d’hérésie qu’à titre d’élément psychologique générateur de cet acte, sans qu’il y ait intention de s’opposer à la règle véritable de la foi, il y a sans doute tous les éléments constitutifs du péché d’hérésie, mais le péché n’existe pas en réalité, car la malice, c’est-à dire la volonté du mal, est absente. C’est, appliquée à l’hérésie, la distinction courante du péché matériel et du péché formel. Sur cette distinction, voir Lehmkuhl, Theologia moralis, t. i, n. 220. Pour qu’il y ait péché formel, il ne suffît pas de la liberté de l’acte, il faut encore l’advertance de la malice de cet acte ou tout au moins un doute sérieux à cet égard. S. Alphonse, op. cit., 1. V, n. 1. Lors donc que le jugement erroné de l’intelligence se produit sans connaissance de la règle véritable de la foi catholique, telle que l’a instituée le Christ, il y a simplement hérésie matérielle ; lorsqu’il y a advertance de l’opposition dans laquelle on se met par rapport à l’autorité de l’Église du Christ, il y a hérésie formelle : dividuntur hæretici in formates et maleriales. Formates Mi sunt, quibus Ecclesiæ auctoritas est sufficienter nota ; materiales vero qui invincibili ignorantia circa ipsam Ecclesiam laborantes, bona fide eligunt aliam rcgulam directivam. Billot, De Ecclesia, th. xi. Le péché n’existe donc que dans l’hérésie formelle, qui est en conséquence seule considérée par les théologiens et les canonistes comme la véritable hérésie. C. Dixit apostolus, 29, caus. XXIV. q. ni ; c. Damnamus, 2, De summa Trinitatc. Cf. Ferraris, loc. cit., n. 3.

Ce principe général est en lui-même très clair. Il soulève cependant dans l’application concrète deux problèmes importants :

a) Quelle connaissance de l’autorité de l’Église comme règle de la foi est requise pour qu’il y ait hérésie formelle ?

— Entre la connaissance parfaite et l’ignorance invincible, il y a place à une infinité de degrés. Il y a, en effet, d’une part, plusieurs degrés possibles de connaissance, et, d’autre part, plusieurs degrés d’ignorance invincible ou coupable.

a. Sous son premier aspect, à savoir la possibilité de plusieurs degrés de connaissance, le problème est résolu, en substance, par Suarez, loc. cit., sect. iii, n. 14, de la manière suivante : il n’est pas nécessaire que l’hérétique soit persuadé et croie que l’Église catholique a une autorité doctrinale telle qu’il faille s’y soumettre comme à une règle infaillible en matière de foi ; il suffît qu’il connaisse l’existence de l’Église catholique, et qu’on lui ait proposé cette Église comme étant la vraie Église du Christ. D’ailleurs, il possède sur elle le témoignage des Écritures : ainsi, il sait que l’Église catholique est une autorité doctrinale, qu’elle entend obliger les hommes à croire ce qu’elle enseigne, qu’elle prétend, par cet enseignement, proposer aux hommes la vérité. Il est donc tenu, sous peine d’hérésie formelle, ou de s’y soumettre ou tout au moins de ne pas se refuser à chercher quel est son devoir vis-à-vis

d’elle.

b. Pour empêcher l’hérétique d’adhérer à la véritable règle de la foi, il peut se rencontrer, en son esprit, de graves préjugés, provenant d’une ignorance plus ou moins vincible ; c’est là le second aspect du problème. Quelle ignorance excuse de l’hérésie formelle ? Il ne saurait être question d’ignorance invincible, car l’ignorance invincible, ôtant toute malice à l’acte qui en procède, lui enlève a fortiori le caractère d’hérésie formelle. Rappelons tout d’abord les principes : l’ignorance vincible est celle qui peut être chassée de notre intelligence, moyennant un certain effort. Elle peut être affectée, si on la cherche pour elle-même, dans la crainte d’être gêné par la connaissance de la vérité ; non affectée, si on reste dans l’erreur, par simple crainte de l’effort nécessaire pour en sortir, par suite d’autres occupations ou obligations, etc. L’ignorance non affectée est crasse, si on ne fait absolument aucun effort pour en sortir ; elle est simplement vincible, si l’on fait quelque effort, mais insuffisant. — a. Les théologiens et canorristes sont généralement d’accord pour dire que l’ignorance vincible non affectée, par conséquent même crasse, excuse de l’hérésie formelle. Voir