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GERTRUDE LA GRANDE


vers 1302 ou 1303, plutôt qu'à la date de 1310 proposée par Prcgcr, op. cit., p. 78. Cf. G. Ledos, Sainte Ger trude, Paris, 1901, p. C4-66, note.

II. Doctrine.

Sainte Gertrude écrivit, en langue vulgaire, des traités, malheureusement perdus, où elle expliquait des passages obscurs de l'Écriture et reproduisait les plus belles sentences des Pères. Cf. ReveL, 1. I, c. ii, vin. Elle paraît avoir été l’une des deux sœurs qui rédigèrent le Livre de la grâce spéciale de sainte Mechtilde de Hackeborn. Cf. E. Michæl, Geschichle des deulschen Volkes vom drcizelinten Jahrhunderl bis zum Ausgang des Mittelalters, Fribourgen-Brisgau, 1903, t. iii, p. 181. Elle composa un petit recueil d’Exercices (il y en a sept), dont un bon juge, Mgr Gay, a déclaré, Les Exercices de sainte Gertrude, dans la Revue du monde catholique, Paris, 1863, t. vi, p. 665 qu' « on n’en peut dire le nombre, la plénitude, la rigueur théologique et en même temps la splendide poésie. Il rappelle tout ensemble et la richesse de l’Aréopagite et la précision de saint Thomas. » Enfin et surtout, nous possédons ses révélations. Écrites en latin, comme les Exercices, elles se divisent en cinq livres : le IIe est l'œuvre de la sainte, le I er a été écrit après sa mort par une moniale de son entourage et les trois derniers l’ont été sur des notes prises sous sa dictée. Le titre est Lcgalus divinæ pielalis, Le héraut ou Le messager de l’amour divin, ou, selon la remarque délicate du P. Bainvel, voir t. iii, col. 309, « pour rendre autant qu’il est possible la nuance indéfinissable du mot pielalis, Le héraut de la bonté aimante de Dieu. »

On a dit que sainte Gertrude fut « la sainte de l’humanité de Jésus-Christ, comme sainte Catherine de Gênes fut la sainte de la divinité. Ce caractère général éclaire sa vie et nous explique son attrait qui fut la familiarité. » E. Hello, Physionomie de saints, Paris, 1875, p. 405. On a dit également que sainte Gertrude « a enseigné d’une manière admirable la théologie de l’incarnation, » A. Lepître, Sainte Gertrude la Grande, dans L’université catholique, 2e série, Lyon, 1897, t. xxv, p. 232, qu’elle a été « la théologienne du SacréCœur, » Granger, Les archives de la dévotion au SacréCœur de Jésus et au Saint-Cœur de Marie, Ligugé, 1893, t. i, p. 306, et que, si elle n’a pas été choisie pour être l’apôtre du Sacré-Cœur, « elle en a été, en même temps que l’amante radieuse, le poète exquis et le prophète. » Voir t. iii, col. 311 ; cf. col. 309-311. Incarnation, miséricorde de Jésus et intimité confiante avec lui. Sacré-Cœur, tel est, en effet, le domaine de sainte Gertrude. Il convient d’y ajouter l’eucharistie ; peu ont poussé à la communion fréquente autant qu’elle et avec un sens si juste des conditions requises. Cf. dom A. Basquin, La doctrine de l’eucharistie dans les œuvres de sainte Gertrude, dans O salularis hostia, Paris, 1903, t. ii, p. 10-12, 22-24. Et tout cela baigne, en quelque sorte, dans une atmosphère liturgique. « C’est généralement d’un mot, d’une expression, d’un verset, d’une strophe, d’une pensée, d’une nuance, d’un geste, d’une circonstance de la liturgie que naît pour elles (sainte Gertrude et sainte Mechtilde de Hackeborn) le rayon qui vient illuminer leur intelligence, échauffer leur cœur, fournir un point de départ à leurs visions ou à leurs extases. » Dom M. Fcstugière, La liturgie catholique, dans la Revue de philosophie, Paris, 1913, t. xxii, p. 773.

Quand clic approuve des révélations, l'Église n’exige pas qu’on leur accorde un assentiment de foi catholique, mais seulement un assentiment de foi humaine, juxta régulas prudentise, juxla quas prscdictæ. revelationes sunt probabiles et pie credibiles, dit Benoît XIV, De servorum Dci bcalifualione et bealificalorum canonizalione, 1. III, c. ult. (lu), n. 15 ; on peut, poursuitil, rejeter ces révélations, dummodo id fiât cum débita

modestia, non sine ralionc et citra conlemptum. Cette règle vaut même pour les révélations d’une sainte Brigitte, d’une sainte Hildegarde, approuvées formellement par l'Église, à plus forte raison pour celles de sainte Gertrude, qui n’ont pas été approuvées aussi explicitement : le martyrologe romain (17 novembre ; cf., dans le bréviaire, la ve leçon de l’office de la sainte) dit seulement que dono revelationum clara extitit. Toutes ses affirmations ne s’imposent donc pas à notre croyance. N’insistons pas sur telle donnée pseudo-historique, par exemple, 1. IV, c. xlv, qui a pu provenir de la Légende dorée. Rappelonsnous surtout que le langage des saints et des mystiques demande à être bien compris ; il ne faut pas toujours en presser à l’excès la lettre ; il importe de tenir compte de l'époque, du milieu, des habitudes intellectuelles et religieuses du mystique. Puis, comment raconter dignement les choses divines ? C’est ce qu’ont remarqué deux écrivains très « profanes » . Les mots, dit M. Mæterlinck, L’ornement des noces spirituelles, de Ruysbroeck l’admirable, traduit du flamand, 2e édit., Bruxelles, 1908, p. 18, « ont été inventés pour les usages ordinaires de la vie, et ils sont malheureux, inquiets et étonnés, comme des vagabonds autour d’un trône, lorsque de temps en temps quelque âme royale les mène ailleurs. » Et, dans un ouvrage qui, par ailleurs, n’est pas irréprochable, Le verger, le temple et la cellule. Essai sur la sensualité des œuvres de mystique religieuse, Paris, 1912, p. 184, C. Oulmont, parlant des vocables par lesquels s’exprime « l'état terrible et doux des cœurs saisis de l’amour divin » et des « saintes folies » du langage des mystiques, dit : « Les mots sont matériels, sans doute, mais, illuminés par les lumières de la foi, ils deviennent diaphanes ; les mots sont alors comme les verrières que traverse le soleil pour inonder de clarté l'édifice, sans les briser au passage. Ils montent…, et les hommes qui sont assez déraisonnables pour s’attarder à l’enfantillage d’une formule, au mauvais goût d’une métaphore, sont, disons-le, aveuglés, non par le brasier ardent mais par la fumée mauvaise et épaisse qui cache ce brasier pur et beau. » Faute d’avoir eu la patience de pénétrer l'œuvre de sainte Gertrude, W. James, L’expérience religieuse. Essai de psychologie descriptive, trad. Abauzit, Paris, 1900, p. 298-299, a traité de fadaises, de compliments naïfs et absurdes, de puériles tendresses, les échanges d’amour entre sainte Gertrude et le Seigneur Jésus. Il oublie que ce langage, tout en revêtant la forme du temps où vécut Gertrude, « enveloppe une vérité éternelle, aussi douce et aussi consolante au xxe siècle qu’elle put l'être au xiii e… Gertrude nous montre à quel point l’amour de Dieu daigne s’individualiser, entrer dans les menues circonstances d’une vie… Ces pauvres et obscures petites vies que méprisent les grands de la terre, elles sont l’objet de toute la sollicitude divine… Beaucoup de ceux qui s'étonnent de voir Gertrude demander à Dieu son aiguille (perdue dans la paille) comprendront qu’une reine lui demande sa couronne, mais la vie des saints nous transporte dans ce monde de la charité dont parle Pascal, où le moindre acte d’amour vaut plus que toutes les pensées de tous les esprits et que tous les astres de toute la création…, et nous pouvons songer que, dans cette naïve et profonde anecdote, ce qui importe, c’est la valeur de l’amour qui accompagne la demande et l’action de grâces, et non celle que nos expertises humaines accordent à l’objet demandé. » L. Félix-Faurc-Goyau, Christianisme et culture féminine, Paris, 1914, p. 204208.

Quant au fond même des choses, certains passages méritent un examen. E. Amort, De revelalionibus, visionibus et apparilionibus privatis, Augsbourg,