Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/450

Cette page n’a pas encore été corrigée
2131
2132
HELVÉTIUS
« C’est la législation d’un peuple qu’il faut modifier

pour extirper ses vices, » c. xv. Les lois peuvent tout sur les mœurs comme sur les esprits. Le législateur forme à son sré des héros, des génies et des gens vertueux. » c. xxii. Mais il doit d’abord détruire « les deux obstacles » qui s’opposent à tout progrès moi ? 1 : les fanatiques qui vivent de l’ignorance et les demi-philosophes « qu’effarouche le mot de nouveault » ; il doit ensuite, sachant « que les hommes sensibles pour eux seuls ne sont nés ni bons ni mauvais, mais prêts à être l’un ou l’autre selon leur intérêt » , organiser un habile système de récompenses et de punitions de l’ordre temporel et « les forcer par le sentiment de l’amour d’eux-mêmes d’être toujours justes envers les autres » ou vertueux, c. xxviii et xxix. Entre l’intérêt personnel de l’homme et l’intérêt du plus grand nombre, il n’y aura donc jamais une identification naturelle, mais une identification artificielle suggérée par la crainte et l’espérance. 3° Dès lors « la science des mœurs » , la morale, se confond avec la législation. Son œuvre propre est de rechercher par quels moyens le législateur pourra « lier l’intérêt personnel à l’intérêt général » et « nécessiter aussi les hommes à la vertu » , c. xxii. Cette science constituée, le législateur pourra prévoir et pourvoir avec une efficacité déterminante.

3° Aucune inégalité, pas même celle des sexes qui est due à des causes sociales et modifiables, ne vient de la nature, c. xx. L’inégalité des esprits « entre les hommes communément bien organisés » ne peut lui être attribuée davantage. Elle ne peut, en effet, avoir d’autre cause que l’inégale capacité d’attention. Discours III, c. iv. D’où naît cette inégale capacité ? De l’inégale puissance des passions, car d’elles naît toute activité. « Elles sont dans le mojal ce qui, dans le physique, est le mouvement, » c. vi. Mais de cette inégale puissance des passions dans les hommes normaux, quelle est la cause ? Toutes nos passions ont leur source dans la sensibilité physique, c. ix-xiv. « C’est à la sensibilité physique que l’homme doit ses passions et à ses passions qu’il doit tous ses vices et toutes ses vertus, » c. xvi. C’est pourquoi l’amour qui parle plus aux sens est de toutes les passions la plus puissante et l’attrait de ses plaisirs fournirait au législateur d’irrésistibles moyens d’agir, c. xv. Or « tous les hommes sont sensibles » , partant « susceptibles de passions » . Ibid. Ils sont même tous « susceptibles d’un degré de passion plus que suffisant pour les douer de la continuité d’attention à laquelle est attachée la supériorité d’esprit » , c. xxvi. L’inégalité des esprits ne vient donc pas de la nature ; « elle dépend uniquement de la différente éducation que reçoivent les hommes et de l’enchaînement inconnu des diverses circonstances dans lesquelles ils se trouvent placés, » c. xxii. « Le génie est commun et les circonstances propres à le développer très rares, » c. xxx. Parmi ces circonstances, l’une des plus influentes est la forme du gouvernement et le despotisme a sur les esprits de funestes effets, c. xvii-xxi. En conséquence, « l’art de l’éducation consiste à placer les jeunes gens dans des circonstances propres à développer en eux le germe de l’esprit et de la vertu, » c. xxx. Ainsi l’homme est soumis à une sorte de déterminisme moral et la connaissance de sa véritable nature lui donne sur elle un pouvoir illimité. Ainsi encore, loin de combattre les passions comme le voudrait l’ascétisme chrétien, l’éducation doit au contraire les développer, sous cette seule réserve de les ordonner au bien public. Mais cette tâche ne peut être remplie que par le législateur ; il devra y avoir en chaque pays un plan d’éducation nationale.

4° S’il y a un art pédagogique dont les principes sont t aussi certains que ceux de la géométrie » , Dis cours II, c. xxv, logiquement, Helvétius eût dû conclure par un plan d’éducation, mais comme « dans les mœurs actuelles » , ce plan ne serait pas mis en pratique, il se borne à quelques indications, en étudiant le sens des différents noms donné ; à l’esprit et à ui* chapitre, le dernier du livre, xvii, sur Y éducation. « L’art de l’éducation, dit-il, n’est autre chose que la connaissance des moyens propres à former des corps plus robustes, des esprits plus éclairés et des âmes plusvertueuses » . Pour former des corps plus robustes, « c’est sur les Grecs qu’il faut prendre exemple » - r des esprits plus éclairés : « il faut choisir les objets qu’on place dans la mémoire » ; des âmes plus vertueuses : « il faut allumer des passions fortes et les d ; riger au bien général. » Législation et éducation sont donc des forces à peu près toutes-puissantes pour créer le génie et la vertu. Où elles seront à la hauteur de leur tâche, ce ne sera plus le hasard qui présidera, comme jusqu’alors, à la formation et à la révélation de trop rares hommes de mérite : le mérite sera une conséquence nécessaire et multipliée. « Aucun livre en son temps n’a fait plus de bruit » , Brunetière, loc. cit. Le livre cependant était énorme, touffu, mal composé et de to is points médiocre. Les idées qui en faisaient la trame étaient connues. Locke, Berkeley, Hume, Condillac avaient fourni la psychologie ; Hobbes, Diderot, Voltaire, Montesquieu et les salons philosophiques, les vues politiques, sociales ou religieuses ; Fontenelle et Bufîon, les principes scientifiques ; les moralistes anglais, La Rochefoucauld et Vauvenargues, les théorie* fondamentales, de la toute-puissance de l’amour-propre, de la fécondité des passions et de la transformation de la question morale en question sociale. Les faits qui servaient de preuves étaient choisis sans critique ou n’étaient que des anecdotes où figurent les nègres, les Hottentots, les Caraïbes, les Giagues, etc., à côté des Grecs, des Romains et des Orientaux ; le style était sans charme. Mais les anecdotes étaient licencieuses, les lois formulées et les conclusions déduites, paradoxales ; les institutions politiques, sociales et religieuses, violemment attaquées, et par un homme de la maison de la reine, car tous connaissaient l’auteur, bien que l’ouvrage fût anonyme : ce fut un succès de scandale.

Au point de vue religieux, la méthode expérimentale la tendance matérialiste, les doctrines sensualistes, agnostiques et utilitaires de l’Esprit, presque toutes ses théories morales et sa tentative de constituer la vraie morale en dehors de la religion étaient en opposition formelle avec l’esprit et les doctrines du catholicisme. Helvétius avait essayé de se couvrir du reproche par ces sophismes, que « toute morale dont les principes sont utiles est nécessairement conforme à la morale de la religion, qui n’est que la perfection de la morale humaine » , Préface, et qu’il parle en politique, non en théologien, mais il n’avait fait que souligner ainsi son affranchissement vis-à-vis des doctrines catholiques. De plus., l’Esprit formule d’incontestables attaques contre l’Église ; ce sont les attaques du temps avec la tacticnie du temps. Helvétius. comme Voltaire, ou bien attaque le catholicisme à travers toutes les religions, ou bien distingue entre Jésus-Christ et ses ministres, entre l’Évangile et la théologie et fustige violemment les ministres du Christ et leur enseignement. Il tend à donner de toutes les religions l’idée de puissances non seulement inutiles, mais funestes, sources d’ignorance et de guerre, et à les déshonorer en leur attribuant les plus honteuses turpitudes. « Les motifs d’intérêt temporel » sont « aussi efficaces, aussi propres à former des hommes vertueux que les peines et les plaisirs éternels, » c. xxiii. « Les fanatiques sont les grands ennemis du progrès, parce qu’ils maintiennent les peuples dans l’ignorance-