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GERSON


jusqu'à la moelle. » Opéra, t. il, col. 247 ; Zaccaria, p. 716. C’est à cause de ces opinions très ouvertement énoncées que Gerson passe encore aujourd’hui, comme d’Ailly son maître, pour un préparateur de la Réforme. C’est aussi pour cette raison que des écrivains protestants comme A. Jepp et Winkelmann, en Allemagne, Schmidt, de Bonnechose et Jean Muller, en France, ont pu le comparer à Wiclef et à Jean Huss. Tout ce que nous avons dit jusqu’ici prouve que ces comparaisons sont injustes jusqu'à l’outrage envers notre docteur. Cf. Féret, p. 272.

D’autres protestants, comme l’anglican Burnet, ont étrangement exagéré certaines affirmations de Gerson et ont mérité comme lui ce reproche de Bossuet : « Peut-on souffrir qu’abusant d’un traité que Gerson a fait De auferibilitale papæ, Burnet en conclût que, selon ce docteur, on peut fort bien se passer du pape ? au lieu qu’il veut dire seulement, comme la suite de cet ouvrage le montre d’une manière à ne laisser aucun doute, qu’on peut déposer le pape en certain cas. Quand on raconte sérieusement de pareilles choses, on veut amuser le monde, et on s'ôte toute croyance parmi les gens sérieux. » Histoire des variations, 1. VII, cxi.

Du côté catholique, nous avons aussi le devoir de constater que certains théologiens ont fait à notre docteur des reproches sévères et qu’ils n’ont guère admis d’excuses en sa faveur. En France, nous trouvons Bouix, très monté contre le chancelier, De papa, t. i, p. 456 et 476, Petitdidier qui estime l'œuvre de Gerson digne d’un éternel oubli. Diss.de concil. Constant., p. 3. En Italie, il fut attaqué par Bellarmin et par Carrara, qui l’appelle fanatique et furibond, De primatu romani poniificis, p. 243, en Allemagne, par Ziegelbauer. Hurter, Nomenclator, t. ii, col. 1069.

Presque tous s’appuient surtout pour le condamner sur le traité De modis uniendi qui, on le croit généralement aujourd’hui, n’est pas de lui. C’est l’opinion de Hergenrôther, Histoire de l'Église, trad. Belet, t. iv, p. 243 ; de Pastor, Histoire des papes, t. i, p. 203 ; de Finke, Forschungen and Qucllen, et d’Erler, Dietrich von Nieheim, p. 473.

Et pourtant, d’après ce que nous avons dit jusqu’ici, il est facile de retrouver la genèse des erreurs de Gerson, l'évolution de ses fausses doctrines et de reconstituer l’histoire de ses variations. Découragé par la conduite et les tergiversations des papes rivaux, consterné par l'échec de la voie de cession et des autres moyens employés pour rétablir l’unité, il en est arrivé à ne voir de remède nécessaire que dans la convocation d’un concile général qui serait, dans l’hypothèse, maître général et souverain infaillible dans l'Église, et qui imposerait à tous la paix compromise depuis près de quarante ans. De examinatione doclrinarum, Opéra, t. i, col. 8.

Ce sont les ravages persistants du schisme, dit Ballerini, qui poussèrent Gerson et les docteurs à proposer et à soutenir la supériorité du concile général, et le chancelier le déclare lui-même ouvertement. Migne, Theologise eursus complelus, t. iii, col. 1360 ; De potestate ecclesiastica, Opéra, t. ii, col. 239 sq. « Le premier ou un des premiers dans la tradition de la chrétienté, le chancelier a soutenu et fait accepter le principe de la supériorité du concile général dans l'Église et la non-infaillibilité doctrinale des papes. Il ne voulut pas s’apercevoir qu’il rompait avec la tradition unanime des Pères et des docteurs et même avec les sentiments de toute cette école de Paris dont il était fier d'être le disciple et dont il avait jadis partagé les opinions. » De potestate eccles., consid. xii, Opéra, t. ii, col. 246 sq.

t Les décisions de Constance, en effet, inspirées en partie par lui, changeaient la constitution essentiel lement monarchique de l'Église et en faisaient une sorte de gouvernement représentatif dont le parlement aurait été le concile général périodiquement convoqué.

Aussi, sur la conduite de Gerson en cette affaire, nous adoptons entièrement le jugement équitable, et au fond sympathique, de l'éminent cardinal bénédictin C. Sfondrate : Gcrsonem nimio zelo, quo sui lemporis abusus eljlagitia prosequebatur, extra justi reclique limites abreplum esse, ne illi quidem neganl qui ejus palrocinium maxime susceperunt… Nemo negaveril fuisse Gersonem seleclæ doctrines et pietalis et tamen opinionem imbiberai pontificio adversam ; idque, ut persuasum omnino habeo, zelo Ecclesiam adjuvandi ambitione trium pontificum misère collisam… Ignosce mihi, Gerson, non sunt hxc verba Parisiensi toga, iantoque digna doclore, luimanialiquid es passas, elquod ratio nondebuit, impelus cdixil. Gallia vindicala, t. ii, p. 125-126, 128.

Peut-être serait-il opportun de rappeler à ce propos les paroles de Léon XIII adressées à M. Brunetière. Il s’agissait d’un prélat qui a été lui aussi très attaché aux idées gallicanes, et qui, à cause de cela, a été critiqué parfois sans indulgence ; « Ce qui a vieilli dans Bossuet, a-t-il dit, c’est son gallicanisme. On peut excuser cette erreur et l’oublier aujourd’hui, en considération de tant de génie et de tant de services rendus. » Le grand pape n’aurait-il point parlé de la même façon à propos de notre chancelier ?

Gerson ne s’adonna guère à la philosophie et à la théologie purement dogmatique. Il n’a composé sous ce rapport que quelques traités qu’on trouve aux t. i et ii de ses œuvres. Il s’en occupa juste assez pour laisser percer quelques opinions nominalistes qu’il tenait de ses maîtres, et pour manifester ses défiances et son dédain à l’endroit des subtilités d’une scolastique de décadence. Qu’on lise la lettre très courte et très substantielle que notre docteur a écrite à Bruges, en 1400, et qui a pour titre De rejormatione Ecclesiæ. Opéra, t. i, col. 121. Il se plaint amèrement des thèses inutiles, sans fruit ni solidité, qui sont exposées et défendues au sein de la faculté de théologie de Paris. Il dénonce les étudiants qui font profession de mépriser la Bible et les docteurs, et qui dédaignent de se servir des termes employés par eux. n s'élève contre les erreurs et les scandales ainsi produits par ceux qu’il nomme les curiosi et les phantastici. Il a bien raison de réclamer des maîtres la répression de ce dévergondage d’idées et la condamnation de ces disputes purement verbales qui montrent une profonde déviation de l’esprit théologique.

Ses préférences sont tout acquises à la théologie pratique, soit morale, soit mystique.

III. Sa théologie morale.

Constatons d’abord, pour le regretter, le principe faux que place notre docteur à la base de sa morale. La cause de tout devoir, dit-il, est la volonté divine, qui décide souverainement du bien et du mal, et rend nos actions bonnes ou mauvaises, en permettant les unes et en défendant les autres. Rien de juste ni d’injuste en soi : la justice est ce qui est conforme au décret suprême, l’injustice est ce qui s’en écarte. Comme si Gerson craignait qu’on ne se méprît sur sa pensée, il la précise de manière à rendre le doute impossible. « Dieu ne veut pas certaines actions, dit-il, Opéra, t. iii, col. 13, parce qu’elles sont bonnes ; mais elles sont bonnes, parce qu’il les veut, de même que d’autres sont mauvaises parce qu’il les défend. » « La droite raison, dit-il ailleurs, Opéra, t. iii, col. 26, ne précède pas la volonté, et Dieu ne se décide pas à donner" des lois à la créature raisonnable, pour avoir vu d’abord dans sa sagesse qu’il devait le faire ; c’est plutôt le contraire qui a lieu. » Il suit de là que la loi du devoir n’a rien d’absolu ni d’invariable, et que les actions que nous jugeons criminelles auraient pu tout aussi