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GUYON

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quer encore : peut-être se trouvera-t-il dans vos sentime ts quelque chose qui n’est pas assez débrouillé ; et je serai toujours prêt à l’entendre. Pour moi, j’ai voulu exprès m’expliquer au long, et ne point épargner ma peine, pour satisfaire au désir que vous avez d’être instruite. Je vous déclare cependant que je loue votre docilité. »

L’évêque de Meaux se méprenait ; M me Guyon n’Olait pas docile, car elle n’était pas persuadée. Inquiète d’une opinion publique qui suspectait sa doctrine et même ses mœurs, elle demanda à M me de Maintenon des commissaires, moitié ecclésiastiques, moitié laïques, qui prononçassent sur celles-ci et sur celle-là. Les commissaires laïques, auxquels aurait incombé l’examen des mœurs, lui furent refusés : « Je n’ai jamais rien cru des bruits que l’on faisait courir sur les mœurs de M rae Guyon, écrivait M me de Maintenon au duc de Beauvillier> ; je les crois très bonnes et très pures ; mais c’est sa doctrine qui est mauvaise, du moins par les suites. En justifiant ses mœurs, il serait à craindre qu’on ne donnât cours à ses sentiments, et que les personnes déjà séduites ne crussent que c’est les autoriser. Il vaut mieux approfondir une bonne fois ce qui a rapport à la doctrine, après quoi tout le reste tombera. » Les commissaires étaient Bossuet, Noailles, encore évêque de Châlons, et Tronson, supérieur de Saint-Sulpice ; ces deux derniers avaient été choisis sur la demande deM me Guyon. Celle-ci déclara n’avoir jamais voulu s’écarter de l’enseignement de l’Église ; elle pria même Bossuet de la recevoir à la Visitation de Meaux où elle arriva au commencement de janvier 1695. Après avoir rendu, sur M mo Guyon, ce que je nommerais un arrêt de non-lieu, les deux évêques et Tronson résolurent d’exposer, dans des réunions qui n’avaient et qui ne prétendaient avoir aucun caractère canonique, la doctrine orthodoxe sur les points controversés. De là, les célèbres conférences d’Issij, qui se tinrent, avec des interruptions, du 16 juillet 1694 au 10 mars 1695, dans la maison de campagne du séminaire de Saint-Sulpice, où Tronson était retenu par ses infirmités. Sur ces entrefaites, mécontent que des évêques étrangers traitassent dans son diocèse d’une question théologique sans l’avertir, Harlay* par une ordonnance du 16 octobre 1694, condamna, avec des qualifications sévères, l’Analyse de l’oraison mentale par le P. La Combe, le Moyen court de faire oraison et l’Explication du Cantique des cantiques, de M me Guyon.

Fénelon, nommé à l’archevêché de Cambrai (4 février 1695), fut admis aux conférences d’Issy. « Il est clair comme le jour que j’étais le principal accusé, » a-t-il dit. Réponse à la Relation sur le quiétisme, c. il, xix. Incontestablement, c’était pour s’assurer de sa doctrine, pour désabuser, s’il était nécessaire, des rêves de M me Guyon, un homme qu’elle aimait encore, que M me de Maintenon avait encouragé ces conférences. Le futur archevêque de Cambrai, tout en réservant discrètement la question de l’amour de bienveillance, sur laquelle avec toute l’École il était invincible, faisait alors à Bossuet des protestations de docilité qui nous semblent dépasser la mesure. Lettres du 28 juillet et du 16 décembre 1694. Aux trente articles rédigés par’ses collègues, il demanda qu’on en ajoutât quatre autres, pour établir plus clairement l’amour désintéressé, et pour définir l’oration passive. Ayant obtenu gain de cause, le futur archevêque de Cambrai souscrivit avec eux les trente-quatre articles d’Issy (10 mars 1695). Voir t. v, col. 2146-2149. Bossuet et Noailles étaient convenus de publier dans leurs diocèses respectifs les articles d’Issy, et la condamnation des ouvrages de M me Guyon. L’ordonnance de l’évêque de Meaux est du 16 avril 1695 ; elle censurait, outre des ouvrages de Molinos, de Malaval et de La Combe, trois ouvrages de M me Guyon, laquelle d’ailleurs n’était pas

nommée : le Moyen court de faire oraison, l’Explication du Cantique des cantiques, et la Règle des associés de l’enfance de Jésus. L’ordonnance de Noailles est du 25 avril 1695 ; M me Guyon n’y fut pas nommée non plus.

M me Guyon s’était soumise à l’ordonnance de Bossuet, qui lui accorda sans hésitation le certificat le plus avantageux sur sa conduite, ses intentions et ses dispositions (Bausset). Plus tard, dans l’emportement de la controverse, Bossuet parut regretter cette pleine justification qu’il avait accordée à M me Guyon. « Il y a un point, écrira-t-il, où je lui ai laissé déclarer ce qu’elle a voulu pour sa justification et son excuse, et c’est celui des abominables pratiques de Molinos, où mon attestation porte que je ne l’ai « point trouvée impliquée « ni entendu la comprendre dans la mention que j’avais « faite dans mon Ordonnance du 16 avril 1695. » C’est qu’en effet je ne voulais pas entamer cette affaire pour des raisons bonnes alors, mais qui pouvaient changer dans la suite… Ainsi, j’ai tâché, suivant la parole et l’exemple de Jésus-Christ, à garder toute justice, et à satisfaire ainsi à tout ce que la charité et la vérité demandaient. » Remarques sur la Réponse à la Relation sur le quiétisme, a. 2, § 6. Nonobstant le ton chagrin de ce passage, l’attestation donnée par Bossuet subsiste, et rien ne l’a infirmée.

M me Guyon quitta la Visitation le 12 juillet 1695, non pas, « en sautant les murailles du couvent, » comme elle écrit en souriant qu’on l’en avait accusée, mais avec toute liberté. C’est dans les jours qui précédèrent ce départ qu’avaient eu lieu entre Bossuet et M me Guyon ces entretiens racontés par elle, où les moins bienveillants adversaires de l’évêque de Meaux ne le reconnaîtraient pas. « Lorsqu’il venait, c’était, disait-il, mes ennemis qui lui disaient de nie tourmenter : qu’il était content de moi. D’autres fois, il venait plein de fureur me demander cette signature (le désaveu d’une erreur sur l’incarnation dont son quiétisme la faisait soupçonner). Il me faisait menacer de tout ce qu’on m’a fait depuis. Il ne prétendait pas, disait-il, perdre pour moi sa fortune, et mille autres choses… » Et ailleurs : « Ce que je savais, c’est qu’il établissait une haute fortune sur la persécution qu’il me ferait… »

Étranges et invraisemblables confidences faites à une femme pour qui Bossuet n’éprouva jamais qu’une pitié qui finit par s’aigrir 1 Quand elle croyait les avoir entendues, et qu’elle les écrivait, M me Guyon, rêveuse obstinée et sujette à d’indéniables hallucinations, rêvait une fois de plus. Elle rêvait, quand elle prêtait à Bossuet ce mot de fortune qu’il se serait appliqué à lui-même. Où donc avons-nous trouvé Bossuet préoccupé de sa fortune ? « Notez, dit M. Bébelliau, que ce poste envié de précepteur du Dauphin, Bossuet l’avait occupé sans en rien retirer ; qu’après avoir vécu dix ans a la cour dans le voisinage le plus proche du roi, il était rentré dans le rang sans garder de cette grandeur aucune influence réelle. » Bossuet, p. 168. Il est le théologien de Louis XIV, il n’est que cela ; d’autres ont la faveur. Évêque de Condom d’abord, puis de Meaux, il laisse des candidats mieux appuyés obtenir de plus grands sièges. En 1688, on prononce son nom, à propos de la coadjutoreiïe de l’opulent évêché de Strasbourg, en 1695 de l’archevêché de Paris. « Il y a toute apparence, et, pour mieux dire, toute certitude, écrivait-il à M me d’Albert, que Dieu, par miséricorde autant que par justice, me laissera dans ma place. » Lettre du 22 août 1695.

Sortie de Meaux, M me Guyon se cacha quelque temps à Paris ; arrêtée au bout de quelques mois, elle fut emprisonnée à Vincennes (27 décembre 1695). Peu de temps avant cette arrestation (21 novembre 1695), l’évêque de Chartres avait publié contre les écrits du P. La Combe et de M me Guyon une ordonnance très