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1994
GUNTHER — GURY


de la philosophie moderne un système nouveau, capable d’expliquer et de défendre rationnellement les dogmes. Sans cesser pour sa part ni de croire au fait historique de la révélation, ni de méconnaître L’impuissance de la raison naturelle à découvrir les mystères, Gùnther prétendit que l’esprit humain, mis en possession des formules de la foi, peut en pénétrer le sens et en démontrer scientifiquement la vérité. Prétention superbe et vaine, qui va, en renversant les rôles traditionnels, à accommoder la théologie aux exigences de la philosophie, et par suite à provoquer maintes contradictions avec les vérités révélées. Conséquent avec lui-même, Giinther n’attribue aux décisions de l’Église en matière de foi qu’une valeur provisoire ; il tient que les formules dogmatiques, étant adaptées uniquement aux besoins de telle ou telle époque, sont révisables et perfectibles avec les progrès successifs de la science. Le système gunthérien reposait au fond sur la théorie de la connaissance qui en était le caractère distinctif ; il arrivait à reconnaître dans l’homme deux âmes, l’une raisonnable, l’autre sensible, ayant chacune ses pensées, ses vouloirs, sa conscience, et il faisait de l’homme la synthèse des deux mondes, le monde de la matière et le monde de l’esprit. L’application de ces idées philosophiques aux dogmes fondamentaux du christianisme ouvrait la porte aux plus grandes erreurs. Le mystère de la trinité en est complètement dénaturé. Car, selon Gùnther, c’est en partant de la conscience du moi et de ses actes extérieurs que l’homme parvient à s’expliquer le mystère de la sainte trinité. La personnalité, d’après lui, n’est pas autre chose que la possession de soi par la conscience de soi-même et de ses actes ; donc, autant de personnes, autant de consciences, autant d’êtres distincts et d’opérations diverses. Or, il y a trois personnes, c’est-à-dire trois consciences en Dieu ; il y a donc en Dieu trois substances, trois réalités absolues, distinctes l’une de l’autre ; la seule unité qui survit est l’unité morale découlant des relations d’origine. Cette même confusion entre la personne et la substance va également ruiner l’unité numérique de la personne du Christ et altère profondément le mystère de l’incarnation. Attaqué vigoureusement par ses adversaires, soutenu chaudement par ses champion. ;., le système gunthérien mit l’Allemagne intellectuelle en feu. Le tribunal de l’Index, appelé à se prononcer, ne le lit qu’au bout de six ans. Mais enfin, tout mûrement pesé, une sentence de condamnation fut portée le 13 janvier 1857 ; on y proclamait l’opposition absolue le la doctrine gunthérienne avec la tradition catholique, et l’on y réprouvait spécialement dans les livres de Giinther les méprises sur la trinité, sur la création, sur l’union hypostatique du Verbe incarné, en même temps que le dualisme anthropologique et les allures rationalistes de la théologie. Dès le 10 février suivant, Giinther se soumit à la sentence qui le frappait, et le pape Pie IX, dans une lettre du 15 juin 1857 à l’archevêque de Cologne, témoigna hautement de la joie que cet acte d’obéissance lui avait causée. Voir Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1655-1658. Giinther mourut presque octogénaire, après quelques jours de maladie, le 24 février 1863.

Knoodt, A. Giinther, 2 vol., Vienne, 1880 ; Wernor, Geschichle der kath. Théologie Deutschlands, Munich, 1866, p. 440 sq. ; Briick, Geschichte der kath. Théologie im neunrehnten Jahrhundert, Munster, 1903, t. ir, p. 471-473 ; Vacant, Etudes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. i, p. 128-134 ; Hurter, Nomenclator lilerarius, Inspruck, 1912, t. v, col. 1098-1101.

P. Godet.

    1. GURY Jean-Pierre##


GURY Jean-Pierre, moraliste et casuiste français, né à Mailleroncourt (Haute-Saône), le 23 janvier 1801,

commença ses études classiques au petit séminaire de Luxeuil et vint les achever à Lyon. Après avoir enseigné pendant trois ans la grammaire dans la maison du Blamont, succursale du petit séminaire de Saint-Acheul, près d’Amiens, il fut enfin admis dans la Compagnie de Jésus au noviciat de Montrouge, le 22 août 1824. Envoyé en 1826 comme surveillant au collège de Dôle, il partit pour Rome après les ordonnances du 16 juin 1828 pour faire ses études théologiques au Collège romain, et en 1833, après une année de ministère apostolique à Lyon, il fut chargé d’enseigner la théologie morale au scolasticat de Vais, près du Puy. Timide et fort défiant de lui-même, il accepta la charge comme une croix trop lourde pour ses épaules ; mais il ne tarda point à se révéler comme un professeur hors de pair, d’une méthode rigoureuse, d’une lucidité et d’une précision remarquables, et, au surplus, d’une bonhomie charmante. En septembre 1847, le R. P. Roothaan, général de la Compagnie, lui confiait la chaire de morale au Collège romain. Chasse de Rome par la révolution de 1848, il reprit à Vais ses cours de morale et prépara la publication de son Compendium theologiæ moralis et de ses Casus conscientiæ. Un ouvrage destiné à propager les doctrines de saint Alphonse de Liguori : Compendium thvologiamoralis S. A. M. de Ligorio, par M. Neyraguet, prêtre du diocèse de Rodez, avait paru en 1839, sous l’impulsion et avec les encouragements du P. Gury, qui avait libéralement prêté ses cahiers à l’auteur. Ce n’était toutefois qu’un abrégé de la doctrine de Busembaum et de saint Alphonse. Le P. Gury, en s’inspirant des mêmes doctrines et en utilisant les travaux du cardia nal Gousset, se proposa surtout de composer un traitù qui appliquât aux besoins des temps présents les prin^ cipes généraux de la morale. L’ouvrage parut à Lyon* en 1850, sous ce titre qui n’a pas varié depuis : Compendium llwologiæ moralis, 2 in-18. La clarté de la disposition générale et de la méthode, l’enchaînement des principes généraux, des règles particulières, des questions attenantes aux détails de la pratique, firf " lb admettre bien vite dans presque tous les séminaires cet excellent manuel, qui fut tiré régulièrement chaque année à cinq ou six mille exemplaires, sans compter les contrefaçons ou éditions publiées à l’insu de l’auteur en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre, en Espagne. Le Séminaire romain, la Propagande, le Collège romain l’adoptèrent comme livre de cours sur une édition adaptée à la législation du pays. Quelques vives critiques s’étaient élevées pourtant au sujet des opinions émises par le savant théologien relativement à la portée obligatoire de certains décrets pontificaux en France. Le P. Gury, qui s’appuyait d’ailleurs sur la Théologie morale du cardinal Gousset, t. ii, Traité des censures, c. ii, ne révoquait nullement en doute l’autorité du pape et supposait, dans les cas cités, une tolérance de fait. Il n’en fut pas moins accusé de gallicanisme et l’abbe Guettée s’autorisa indûment de cette opinion pour légitimer ses résistances aux condamnations de l’Index. Ce fut une peine amère pour le P. Gury, qui justifia aisément son attitude doctrinale dans une lettre à l’Univers, du 10 novembre 1856, et qui, pour éviter jusqu’à l’ombre d’une fausse interprétation, retrancha de la 5e édition les passages incriminés. Jaloux de faire disparaître de son ouvrage jusqu’aux plus légères défectuosités, il se rendit à Rome, en 1864, à la demande du R. P. Beckx, général de la Compagnie, pour travailler à une édition définitive de son traité, en prenant contact avec un certain nombre de théologiens éminents qui depuis plusieurs années se servaient du Compendium comme livre de texte et pouvaient lui transmettre d’utiles observations. La 16e édition parut en 1865, 2 in-8°, avec de nombreuses additions et modifications. Les Casas