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GUERRE

qui les accompagnent, beaucoup, néanmoins, se frappent la poitrine, confessent leurs fautes et les expient. En outre, ceux qui déjà étaient bons deviennent généralement meilleurs. C’est là un résultat qui échappe absolument par son caractère essentiel aux spéculations des faux sages de la terre, mais dont le retentissement est immense dans le monde invisible, et dont l’écho se répercutera, sans jamais s’éteindre, durant les siècles éternels.

De leur côté, les nations, ou groupements humains, qui ne peuvent pas, comme tels, recevoir leur châtiment ou leur récompense dans le monde à venir, les reçoivent parfois d’une façon tangible dans le monde actuel. C’est l’application de la vérité énoncée par le psalmiste, quand il dit : Quoniam judicas populos in æquitate, et gentes in terra dirigis. Ps. lxvi, 4. Souvent, en effet, le résultat d’une guerre est, pour une nation, tout différent de celui qu’il paraissait devoir être, en s’en tenant aux prévisions humaines, même les mieux fondées. Des nations paraissaient devoir sortir glorieuses et puissantes d’une guerre savamment préparée : elles en sortent avilies pour longtemps et profondément affaiblies ; d’autres, blessées à mort, renaissent extraordinairement, comme le phénix de ses cendres, et compensent bientôt par un excès de naissances, des pertes momentanées. Le spectacle d’une population qui s’accroît au milieu des combats les plus meurtriers n’est pas chose rare dans l’histoire. On a vu aussi, chose plus étrange encore, le vainqueur absorbé par le vaincu, qui lui impose sa langue, sa littérature, ses coutumes, ses mœurs, de sorte que, au milieu de ses tristes lauriers, le vainqueur est dégradé, humilié, appauvri de bien des manières, tandis que le vaincu relève la tête, et, au sein de sa défaite même, trouve une vengeance imprévue.

On prête à Turenne cette boutade que Dieu est toujours avec les gros bataillons. Ce n’est pas toujours ainsi, et l’on peut, au contraire, souvent constater que le succès d’une bataille, ou le résultat ultime d’une guerre, est déterminé par une force indéfinissable, qui échappe absolument aux calculs des hommes les plus habiles et les plus compétents, comme elle avait échappé absolument à leurs prévisions. Ce n’est pas sans motif que si fréquemment Dieu, dans l’Écriture sainte, se fait appeler le Dieu des armées. Il semble même tenir spécialement à ce titre, car, maintes fois, il le revendique comme un de ses attributs essentiels, et il ne permet pas qu’on l’oublie.

Assurément, comme dans le gouvernement de sa providence, Dieu ne déroge pas aux lois générales qu’il a établies ; et, comme une armée d’un million d’hommes est, toutes choses égales par ailleurs, deux fois plus forte qu’une armée qui n’en compte que cinq cent mille, ce serait demander à Dieu une dérogation aux lois générales, c’est-à-dire un miracle, que cette armée, si inférieure en nombre, fût victorieuse d’une autre deux fois plus forte qu’elle. Mais ces lois générales se combinent de tant et tant de manières, que le résultat de cette combinaison peut être tel, que les faibles triomphent finalement des forts. Des exemples de ce genre abondent, depuis l’antiquité la plus lointaine jusqu’aux temps les plus récents. Qui a oublié qu’un seul Horace a fini par triompher des trois Curiaces ? Sa tactique fut, à une époque présente encore à toutes les mémoires, celle de Napoléon Ier, séparant ses ennemis supérieurs en nombre, pour les battre l’un après l’autre, malgré son infériorité numérique ; ce fut encore, pendant les deux premières années de la guerre européenne, celle de l’Allemagne qui, par la concentration rapide de ses troupes sur certains points, grâce à la multiplicité de ses lignes de chemin de fer stratégiques, pouvait asséner de vrais coups de massue, tantôt en Occident, tantôt en Orient, et obtenir, presque avec les mêmes troupes, sur des théâtres si éloignés les uns des autres, des succès retentissants, signalés par la conquête momentanée de vastes provinces. Voilà donc qu’avec l’effectif des bataillons, un autre facteur de souveraine importance : la mobilité ou la vitesse de déplacement, intervient pour le succès, et cela toujours aussi en vertu d’une loi générale, quoique différente de celle qui ne concerne que les effectifs. Un autre facteur aussi doit intervenir, et non des moins importants : le temps ; non celui qui est synonyme de mobilité et de vitesse de déplacement, c’est-à-dire indiquant le nombre d’heures ou de jours nécessaires à une armée pour effectuer ses mouvements ; mais le temps indiquant la capacité de résistance, d’endurance, de ténacité ; car il peut y avoir chez une nation puissante des forces considérables, capables d’un grand effort et de brillants succès, mais qui s’épuiseront par leurs propres victoires ; tandis qu’il peut y avoir chez une autre nation des forces latentes, insoupçonnées, lentes à se dégager de mille entraves, mais croissant peu à peu, pendant une longue série de défaites, tandis que les forces rivales s’épuisent en succès, dans le même laps de temps ; de sorte que, entre les deux puissances rivales, l’équilibre arrivera à s’établir, puis à se rompre de nouveau, mais, cette fois, en faveur du vaincu de la veille, qui obtiendra ainsi, plus tard, une indéniable prépondérance. Nous pourrions multiplier à l’infini les exemples montrant le nombre extraordinaire de facteurs qui interviennent dans cette sorte d’équation algébrique immense, posée sur un vaste champ de bataille, par deux ou plusieurs puissances qui en viennent aux mains. Et cette équation se modifiera à chaque instant dans sa formule, par les mille et mille combinaisons que peuvent avoir entre eux les innombrables facteurs qui entrent dans sa composition. Qui donc, à chaque instant, pourra être sûr de la solution finale ? Quoique tous la désirent favorable à leurs desseins, les plus habiles ne pourront que la conjecturer, sans néanmoins pouvoir absolument déposer toute crainte d’insuccès final, toujours possible, au milieu de tant d’imprévu.

Mais ce qui échappe à toute intelligence humaine, même la plus perspicace et la plus pénétrante, est entre les mains du Dieu des armées, qui prévoit tout, qui sait tout, qui peut tout, et qui dispose toutes choses, ainsi que le veut sa justice, ou sa miséricordieuse bonté. C’est là cette force indéfinissable, qui détermine la solution finale de ce problème si complexe. Cette force indéfinissable et souveraine, qui, malgré les agitations des hommes, dispense la victoire ou la défaite suivant ses impénétrables décrets, a été reconnue, de tout temps, par les grands capitaines, depuis la plus haute antiquité jusqu’à notre époque. Malgré son génie, Napoléon Ier ne croyait-il pas à son étoile ? Et tout dernièrement encore, la victoire inattendue de la Marne n’a-t-elle pas été regardée comme un miracle, même par les grands chefs ? Non pas que Dieu soit intervenu par un miracle évident ; mais, par une de cet combinaisons dont lui seul a le secret, il a fait avorter, en dépit de tous les calculs de l’habileté militaire, un des projets les plus savamment ourdis, et dont le succès paraissait assuré par la plus formidable des préparations. « Ainsi, écrivait le comte Joseph de Maistre, il y a plus d’un siècle, lorsqu’une puissance trop prépondérante épouvante l’univers, et que l’on s’irrite de ne trouver aucun moyen de l’arrêter…, Dieu emploie deux moyens bien simples : tantôt le géant s’égorge lui-même ; tantôt une puissance très inférieure (nous dirions aujourd’hui la Belgique en face de l’Allemagne) jette sur son chemin un obstacle imperceptible, mais qui grandit ensuite, on ne sait comment, et devient insurmontable ; comme un faible rameau, arrêté dans le courant d’un fleuve, produit enfin un atterris