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GUERRE


royaume n’a pas été un résultat facile à obtenir. C’est, depuis 1830, le seul avantage que nous ayons acquis au dehors… Il y a là pour nous une garantie de sécurité sur notre frontière, une garantie politique de paix et d’équilibre européen… Il n’a pas été facile de contenir et de déjouer toutes les ambitions qui voulaient autre chose. Et, vous le savez aussi : celle autre chose, c’est la guerre, la conflagration de l’Europe ! Qu’on ne s trompe pas : les mêmes passions, les mêmes ambitions qui, en 1830 et en 1831, voulaient autre chose que ce qui a été fait, subsistent encore. » Mémoires pour l’histoire de mon temps, 8 in-8°, Paris, 1858-1867, t. vi, p. 285.

En 1914, la même lettre aurait pu être adressée par notre ministre des affaires étrangères à notre ambassadeur à Londres. Les mêmes traités, renouvelés en 1870, garantissaient, sous la foi jurée, la neutralité de la Belgique. Mais aussi les mêmes passions et les mêmes ambitions voulaient autre chose. Et cette autre chose, en 1914 comme en 1830 et en 1831, c’était la guerre, la conflagration de l’Europe, voulue très délibérément par la nation qui, consciente de l’illégalité qu’elle commettait, a déchiré, comme un vil ♦ chiffon de papier » , les traités solennels qui garantissaient la paix universelle et l’équilibre européen. Cf. Jean Pélissier, L’Europe sous la menace allemande en 1914, in-12, Paris, 1916.

Le 31 juillet 1914, il devenait extrêmement probable que l’Autriche et la Russie allaient s’entendre, le comte Szapary et M. Sazonofl ayant trouvé un terrain d’accord. L’espoir renaissait dans tous les cœurs ; mais l’empereur Guillaume II, sentant lui échapper l’occasion qu’il cherchait depuis si longtemps et qu’il avait fait naître, choisit précisément cet instant pour détruire toutes les chances de paix, en lançant ses ultimatums à la Russie et à la France. Cependant l’Angleterre restait encore indécise. Ce ne fut que le 4 août, à la nouvelle de la violation de la frontière belge, qu’elle prit part elle-même au conflit. Cf. Le Livre blanc anglais. Correspondance du gouvernement britannique relative à la crise européenne, document officiel publié par ordre de Sa Majesté le roi d’Angleterre et déposé sur le bureau des deux chambres du Parlement, in-8°, Paris, 1914. Cette correspondance avec les diverses chancelleries, pendant toute la durée de la crise qui a précédé immédiatement la guerre, est un dossier désormais historique et forme un réquisitoire accablant contre la puissance provocatrice. Non moins important ni moins décisif est le Livre jaune français. Ministère des affaires étrangères. Documents diplomatiques, 1914, La guerre européenne, m-4°, Paris, 1914. Cf. E. Durkheim et E. Denis, Qui a voulu la guerre ? Les origines de la guerre, d’après les documents diplomatiques, in-12, Paris, 1915 ; Daniel Bellet, Chiffons de papier. Ce qu’il faut savoir des origines de la guerre de 1914, in-12, Paris, 1915 ; Auguste Gauvin, Les origines de la guerre, in-12, Paris, 1915 ; Charles Rep, L’agression allemande d’après les documents officiels, in-12, Paris, 1915 ; Take Ionesco, Les origines de la guerre, in-12, Paris, 1915 ; Charles Baillod, Pourquoi. l’Allemagne devait faire la guerre, ln-12, Paris, 1915 ; le baron Beyens, ministre de Belgique à Berlin, L’Allemagne avant la guerre. Les causes et les responsabilités, in-12, Paris, 1915 ; Paul Dudon, La guerre : qui l’a voulue ? in-12, Paris, 1915 ; Pierre Bertrand, L’Autriche a voulu la grande guerre, in-8°, Paris, 1916.

Comment, après cela, l’Allemagne, par la voix de sa diplomatie menteuse et par l’organe de ses intellectuels, oeut-elle prétendre qu’elle est très pacifique, et que spécialement elle n’a pas voulu la guerre actuelle ? C’est en ce sens que, si les autres peuples, reconnaissant l’incontestable supériorité de race que très généreuse ment elle s’arroge, pliaient devant toutes ses exigences, la laissaient libre de faire tout ce qu’elle veut : déchirer les traités qui la gênent, prendre tout ce qu’elle désire, et satisfaire son insatiable ambition de dominer le monde, alors, certes, elle ne ferait pas la guerre, et se contenterait de jouir des immenses avantages que lui procurerait cette mainmise sur l’univers entier. Mais si les autres nations osent vouloir garder leur place au soleil, conserver leur indépendance, et n’acceptent pas l’état de vasselage dans l’empire mondial auquel l’Allemagne aspire, alors, ce sont elles qui veulent la guerre, et, puisqu’elles la veulent, elles l’auront aussi implacable, atroce et inhumaine que possible. Comme la Belgique, elles seront seules responsables de leur malheur : ruines, dévastations, massacres, tout cela leur est imputable, et imputable à elles seules. Quant à l’Allemagne, elle est parfaitement innocente, et, n’ayant rien à se reprocher, n’a à s’excuser de rien, comme le proclament doctoralement ses intellectuels « représentants de la science et de l’art » . Cela ressemble de fort près à la colossale prétention de Nabuchodonosor, roi des Assyriens et régnant à Ninive, qui, après avoir vaincu Arphaxad, roi des Mèdes, sentit sa poitrine se gonfler d’orgueil, et résolut de soumettre la terre entière à son empire. Mais les diverses nations auxquelles il envoya ses messagers pour leur faire une proposition aussi alléchante, n’ayant pas goûté ce projet d’annexion et d’absorption, Nabuchodonosor indigné jura, par son trône et sa puissance, que, malgré ses instincts pacifiques, il se défendrait, quod defenderet se, contre toutes ces nations, dont aucune, cependant, n’avait jamais songé à l’attaquer ; et il lança contre elles ses hordes dévastatrices. Judith, i, 5-12. C’est de cette façon que la pacifique Allemagne ne veut pas la guerre. Elle est obligée de se défendre contre ceux qui ne songeaient pas à l’attaquer, mais qui ne consentent pas à se laisser absorber par elle, ou réduire à l’état de vassaux. Néanmoins, que l’Allemagne ait réellement pensé à la guerre, qu’elle l’ait longuement et méthodiquement préparée, qu’elle l’ait souhaitée et voulue comme une source abondante de richesses, c’est ce qui est exposé, avec une stupéfiante audace et un affreux cynisme, dans l’ouvrage publié par M. Daniel Frymann, deux ans avant la déclaration de la guerre et qui eut une énorme diffusion en Allemagne, Wenn ich der Kaiser wâr l in-8°, Leipzig, 1912. L’aveu est non moins significatif dans l’ouvrage du colonel von H. Frobenius, publié, quelques mois avant la guerre, avec la haute approbation du kronprinz d’Allemagne, et qui eut en peu de temps jusqu’à treize éditions, Des Deuisches Reiches Schicksalstunde, in-8°, Berlin, 1914. Ces ouvrages et beaucoup d’autres du même genre démontrent combien est encore vrai le mot de Tacite : Gallos pro liberlate, Germanos ad prœdam 1 ou, comme disent les théologiens : libidine dominandi, ce que, d’ailleurs, exprime assez bien leur devise actuelle : Deulschland ûber ailes !

2. Les preuves des innombrables crimes commis par l’armée allemande, à la suite de son injuste agression, ont été réunies dans de nombreux volumes. Citons ici, d’abord, deux publications émanant du ministère des affaires étrangères en France : Rapports et procèsverbaux de la Commission instituée en vue de constater les actes commis par l’ennemi en violation du droit des gens, in-4°, Paris, 1915. Plus de 471 dépositions y affirment toutes sortes d’excès commis par les Allemands, en Seine-et-Marne, dans la Marne, l’Oise, l’Aisne, la Meuse et en Meurthe-et-Moselle. Cf. Marius Vachon, Les villes martyres de France et de Belgique, in-12, Paris, 1915. Une autre publication officielle intitulée : Les violations des lois de la guerre par l’Alle-I magne, in-8°, Paris, 1915, répartit les chefs d’accusa-I tion, surabondamment preuves, en dix chapitres