Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/354

Cette page n’a pas encore été corrigée
1939
1940
GUERRE

’nus aux barbares eux-mêmes, car ils n’avaient pas à leur disposition les moyens perfectionnés dont la science allemande, au service de l’injustice, avait abondamment fourni les envahisseurs. Qu’on lise à ce sujet les pages si tristement éloquentes du cardinal Mercier, archevêque de Malines. Après avoir fait cette lugubre énumération, dans sa lettre pastorale de Noël 1914, et jeté un regard douloureux sur son malheureux diocèse, il ajoute : < Nous ne pouvons ni compter nos morts, ni mesurer l’étendue de nos ruines. Que serait-ce, si nous portions nos pas vers les régions de Liège, de Namur, d’Andenne, de Dinant, de Tamines, de Charleroi ; vers Virton, la Semois, tout le Luxembourg ; vers Termonde, Dixmude, nos deux Flandres ?… »

2. Pour justifier de pareilles iniquités, les officiers allemands ont prétendu qu’ils voulaient punir des faits imputables à quelques francs-tireurs. Mais, d’abord, la constitution de corps de francs-tireurs, ou volontaires, n’est pas condamnée par la décision de la Convention de La Haye, du 15 juin au 15 octobre 1907. Au contraire, d’après cette Convention, les corps de francs-tireurs ont droit d’être traités camme des belligérants, pourvu, a. 1, qu’ils aient un chef à leur tête, un signe distinctif sur leurs personnes, et portent les armes ouvertement. En outre, l’art. 2 spécifie ceci : « La population du territoire qui, à l’approche de l’ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d’invasion, sans avoir eu le temps de s’organiser conformément à l’article 1 er, sera considérée comme belligérante, si elle prend les armes ouvertement. » On ne pouvait donc juger sommairement, et passer immédiatement par les armes, comme de vils assassins, ceux qui ne faisaient que défendre leur patrie injustement violée et indignement martyrisée. Et s’ils n’avaient pu encore s’organiser avec toute la perfection des règlements militaires que la culture allemande exige pour des milices régulières, précisément parce que les Allemands, par leur invasion soudaine et tout à fait injustifiée, ne leur en avaient pas laissé le temps, à qui la faute ? N’est-ce pas le comble du cynisme, de la part des bourreaux, de faire retomber leur propre culpabilité sur leurs innocentes victimes ? Et serait-ce vrai même, que quelques Belges, ainsi surpris dans leur vie pacifique, et mis subitement en présence de tant d’horreurs, dont leurs plus proches parents étaient l’objet, eussent dépassé en quelque point les droits de la légitime défense, était-ce à ceux qui les avaient ainsi exaspérés, à se montrer si rigides et si impitoyables pour l’application des lois ou coutumes de la guerre qu’ils violaient eux-mêmes si effrontément, et en toute rencontre ? Et, enfin, serait-ce vrai, ce qui n’a jamais été juridiquement démontré, que quelques Belges fussent coupables, était-ce une raison de raser jusqu’au sol des villages et des villes, ou d’exterminer des populations entières ? Cf. Gouvernement belge, Réponse au Livre blanc allemand du 10 mai 1915, au sujet d’une prétendue guerre de francstireurs et de prétendues atrocités commises contre les soldais et blessés ennemis, in-4°, Paris, 1916. Dans sa protestation du 10 avril 1915 à l’autorité allemande, Mgr Heylen, évêque de Namur, sans crainte d’un démenti, a pu dire hautement : » Il résulte de chaque cas particulier de destruction de villages, ou d’extermination de civils, que le châtiment est tellement hors de proportion avec la faute imputée, qu’aucune raison ne pourrait jamais le légitimer. En tant de localités ont été commises des scènes si atroces qu’elles soulèveront un jour la conscience universelle, et seront flétries par la justice allemande elle-même, quand elle aura une conscience exacte, et qu’elle aura recouvré son sang-froid. » En outre, continue l’évêque, « dans l’hypothèse d’une répression de francs-tireurs, pour quelques cas isolés, quel homme civilisé^osera

justifier chez des soldats les actes suivants : coups et blessures ; atrocités de tout genre ; procédés barbares et sanguinaires ; traitements cruels ou indignes, parfois à l’égard de simples otages ou de prisonniers ; achèvement de blersés ; traques aux civils paisibles et sans armes ; pillages à main armée et dans des proportions à peine croyables ; utilisation de prêtres, de jeunes gens, de vieillards, de femmes et d’enfants, comme d’un rempart contre les balles et projectiles ennemis ; imputation à la population civile et répression sanguinaire de faits légitimement posés par les soldats belges et français ; fusillades sommaires, sans aucune espèce d’enquête ou de jugement régulier ; incendies volontaires dans près de deux cents villages des deux provinces, indépendamment des destructions qui sont l’œuvre de la bataille elle-même ; tortures morales prolongées, infligées aux faibles et parfois aux populations entières ; viols, meurtres de femmes, de jeunes filles, d’enfants à la mamelle, etc. Or, ces crimes sont si nombreux, qu’ils se présentent, non seulement isolément, mais parfois simultanément dans des centaines de villages. Nos populations qui ont vécu ces scènes atroces et en ont souffert plus qu’on ne pourra jamais le dire, en ont conservé l’impression d’épouvante et d’horreur que provoque la barbarie. C’est, disent-elles, une guerre monstrueuse, faite non aux soldats, mais aux civils désarmés… Que de souffrances ressenties par toute une population désarmée, terrifiée, livrée à la merci de soldats farouches I… On a dit, serait-ce vrai ? que le nombre des civils tués n’est pas loin d’atteindre celui des soldats tombés à la bataille l… Tous ces faits, des milliers et des milliers de témoins oculaires sont prêts h les affirmer sous la foi du serment, lorsque sera établie une commission d’enquête régulière. » Cf. J.-B. Andrieu, La guerre vue des pays neutres. Ce qu’un Hollandais a constaté en Belgique, in-8°, Paris, 1915 ; Prûm, chef du parti catholique luxembourgeois et précédemment germanophile, Die denlsche Kriegsjùhrung in Delgicn und die Mahnungen Benedicl XV, in-4°, Luxembourg, 1915 ; Fernand van Lange nhove, Un cycle de légendes allemandes. Francstireurs et atrocités belges, in-12, Paris, 1916. Pour mieux convaincre ses lecteurs, cet auteur, poussant jusqu’au scrupule le souci de l’impartialité, n’a cité que des documents d’origine allemande, pour que même les envahisseurs de la Belgique ne puissent en nier ni l’authenticité, ni l’autorité. Ce volume est une réfutation officielle allemande des récits allemands et des prétextes invoqués par les Allemands pour se justifier. 3. Et qu’on ne dise pas que ce sont là des excès commis par des particuliers, à l’insu ou contre la volonté des chefs, comme cela peut arriver parfois dans les années les mieux disciplinées ; ce sont malheureusement des crimes collectifs, les uns tolérés, les autres accomplis par ordre, et qui, par leur amplitude et leur fréquence, ne sauraient s’expliquer que par la volonté réfléchie du haut commandement. Cf. Les violations des lois de la guerre par l’Allemagne, ouvrage publié par les soins du ministère des Aiîaires étrangères, in-12, Paris, 1915, p. 15 sq. L’ordre, en effet, vient de très haut, et, depuis longtemps, était donné pour des circonstances analogues. A son armée partant pour Pékin, l’empereur Guillaume II disait, le 27 juillet 1900 : « Soldats, quand vous rencontrerez l’ennemi, vous ne ferez pas de quartier… ; vous ne ferez pas un seul prisonnier. Que tout ce qui tombera entre vos mains soit à votre merci 1 Faites-vous la réputation qu’avaient les Huns d’Attila I » Cf. Dimier, L’appel des intellectuels allemands, in-12, Paris, 1915, p. 90. Malgré les articles du congrès de La Haye signés par lui, et interdisant de déclarer qu’il ne sera pas fait de quartier, Annexe à la Convention, a. 23 d, l’empereur, en 1914 et 1915, n’a pas modifié son langage, et, à la