Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/345

Cette page n’a pas encore été corrigée
1921
1922
GUERRE


blique6, et à développer les sentiments de commisération entre des hommes qui ne cherchaient qu’à se nuire. Ceux qui, pendant quatre jours de chaque semaine, et pendant de longs espaces de temps, tout le cours de l’année, se voyaient obligés de suspendre les hostilités, perdaient peu à peu la violence de leur caractère. Il est moins diflicile de convaincre un homme de sa culpabilité que d’obtenir de lui qu’il cesse de marcher dans une voie qu’il sait fort bien être répréhensible. La conviction dans l’intelligence n’entraîne pas toujours l’adhésion de la volonté. Pour déraciner du cœur une habitude mauvaise, ce n’est pas assez d’en montrer la malice. De même qu’une habitude s’engendre par la répétition des actes, elle s’affaiblit par leur cessation, ou, du moins, par leur interruption répétée. Il y avait donc là, grâce à l’intervention énergique de l’Église, un triomphe très appréciable du droit sur la force, et une large brèche à l’axiome païen que la force prime le droit. C’était un frein puissant apporté aux passions les plus violentes. Il n’a pas tenu à l’Église que ce triomphe fût plus complet. Cf. Balmès, Le protestantisme comparé au catholicisme dans ses retalions avec la civilisation européenne et le droit des gens, 3 in-8°, Paris, 1857, t. ii, p. 102 sq. ; Léon Gautier, La chevalerie, in-8°, Paris, 1884.

3° Au XVIe siècle. Erreurs des prétendus réformateurs.

— Les chefs de la Réforme protestante, qui ont provoqué tant de guerres pour soutenir leur révolte contre l’Église, n’ont pas craint de se contredire formellement, en enseignant que la guerre était pour tous les chrétiens un péché mortel. Cf. Janssens, L’Allemagne et la lié/orme, 3 in-8°, Paris, 1892, t. iii, p. 419 sq. Œcolampade (Jean Hausschein, ou Hussgen), Érasme, Luther, les wiclefites, les anabaptistes et autres, renouvelèrent à ce sujet l’hérésie des manichéens déjà réfutée victorieusement par saint Augustin, plus de mille ans auparavant. Dans ses commentaires sur les c. m et xxii de saint Luc, Érasme s’attache à démontrer, avec prolixité, que la guerre est un de ces maux que Dieu avait tolérés parmi les Juifs à cause de la dureté de leur cœur, mais qui sont absolument défendus aux chrétiens par le Sauveur et ses apôtres. Les conseils que saint Jean-Baptiste donna aux militaires, et que nous avons rapportés plus haut, Luc, ni, 14, ne leur seraient pas donnés, selon Érasme, pour qu’ils vivent correctement, mais simplement pour qu’ils vivent moins mal. Cette explication ne cadre nullement avec les paroles prononcées peu auparavant par le saint Précurseur : Genimina viperarum, quis ostendet vobis jugere a ventura ira ? Facile ergo Jructus dignos pœnilenliæ ; jam enim securis ad radicem arborum posita est, et omnis arbor non faciens fructum bonum excidetur et in ignem milletur. Luc, iii, 7-9. C’est après cette vigoureuse apostrophe que les publicains et les soldats effrayés s’approchèrent de Jean pour lui demander ce qu’ils avaient à faire pour éviter cette colère de Dieu dont il les menaçait. Or, comme le remarque Bellarmin, en argumentant contre Érasme, ou bien Jean-Baptiste a trompé les soldats, ou bien ceux-ci peuvent se sauver dans leur profession, pourvu qu’ils suivent la règle de vie qui leur est indiquée. Cf. Il" Conlroversia generalis, De membris Ecclesiæ militanlis, 1. III, De laicis, c. xiv, Opéra omnia, t. ii, p. 326.

Entre autres paradoxes, Luther s’efforça aussi de démontrer que les chrétiens n’avaient pas le droit de faire la guerre, surtout aux Turcs, quoique les Turcs combattissent pour transformer tous les chrétiens en niahométans. Ce n’est pas que Luther considérât la guerre comme une chose intrinsèquement mauvaise, car, en même temps qu’il s’opposait à ce que les chrétiens fissent la guerre aux Turcs, il affirmait, et répétait à satiété qu’on devait la faire au pape, comme étant le plus Turc d’entre les Turcs, Turcissimum Turcarum ;

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

mais il invoquait d’autres raisons, et des plus curieuses, comme des plus singulières.

Dieu, disait-il, se servait des Turcs pour éprouver et châtier les chrétiens. Or, on n’a pas le droit de résister à la volonté de Dieu. C’est une folie et une impiété.

Si le raisonnement de Luther était juste, on pourrait l’appliquer tout aussi bien à la peste, à la famine, à la concupiscence même, qui sont des moyens par lesquels Dieu éprouve, ou châtie les hommes. Il s’ensuivrait que ce serait une folie et une impiété de prendre des mesures de précaution contre la peste, et des remèdes pour s’en guérir ; folie et impiété de cultiver la terre, pour éviter de mourir de faim ; folie et impiété de combattre la concupiscence, etc. ; conclusions absurdes, comme les raisonnements dont elles émanent, ainsi que le fait remarquer très justement encore Bellarmin, op. cit., 1. III, c. xvi, t. ii, p. 332. Luther déraisonne ici comme déraisonnait Tertullien tombé dans le montanisme, en affirmant qu’il valait mieux apostasier dans les tourments que de fuir la persécution, envoyée par Dieu pour éprouver, ou châtier les chrétiens. La fuir, c’était folie et impiété, car c’était résister à la volonté de Dieu. De juga in persecutione, c. n sq., P. L., t. ii, col. 104, 106 sq. Voir Fuite dans la persécution. Luther était assurément trop intelligent pour ne pas découvrir la fausseté de son argument ; mais la cause principale de son aberration voulue était évidemment sa haine aveugle contre le pontife romain : lanto enim odio pontificem Lutherus persequebatur, ut plane optant videre Turcam occupanlem omnia régna christianorum, ut, saltem eo modo, nomen pontificis extingueretur. Neque hoc fuisse volum ac desiderium ejus nos divinamus ; sed ex verbis ejus colligimus ; nam in libro Ad nobilitatem Germanise c. xxv, dicit nullum esse pulchrius regimen usquam quam apud Turcas, qui legibus Alcorani gubernantur ; nullum autem turpius quam apud christianos, qui jure canonico et civili reguntur… et pontificios esse multo pejores et truculentiores Turcis, et stultum esse pugnare pro pejoribus contra meliores. Bellarmin, loc. cit., p. 333. Il est vrai que, plus tard, Luther ne craignit pas de se contredire une fois de plus, en prêchant, avec une extrême virulence, qu’on devait, à tout prix, faire la guerre aux Turcs, comme étant les hommes les plus dépravés que la terre ait portés. De visitatione Saxonica. Cf. Suarez, De charitale, disp. XIII, sect. i, n. 5, Opéra omnia, t. xii, p. 738.

Sur les vraies raisons qui portèrent l’Église à réunir les princes chrétiens pour faire la guerre aux Turcs, dont les hordes sauvages menaçaient de submerger l’Europe chrétienne, et sur le rôle bienfaisant de la papauté s’efforçant de tirer les princes de leur insousciance et ds leur égoïsme coupable, voir Pastor, Histoire des papes, 10 in-8°, Paris, 1907-1913, t. i, p. 332 sq. ; t. ii, p. 227, 321, 371, 375 ; t. iii, p. 58, 60 sq., 72 sq., etc.

VI. Questions morales se rapportant aux préliminaires de la guerre. — 1° Des causes de la guerre. — 1. Nous ne reviendrons pas ici sur ce qui a été dit précédemment sur les causes justes de la guerre offensive, suivant les prescription ; du droit naturel ; mais il en est une qui mérite un examen spécial, soit pour sa complexité apparente, soit par l’importance que lui donne le droit international moderne. On s’est demandé souvent, et l’on se demande encore, si l’accroissement d’une nation voisine par laquelle on craint d’être un jour opprimé, n’est pas une cause suffisante pour lui faire 1 1 guerre, et si on n’est pas autorisé surtout à prendre les armes pour s’opposer à ses agrandissements ultérieurs, afin de l’affaiblir, pour éviter les dangers dont une puissance démesurée menace presque toujours les faibles.

Les politiciens qui ne s’inspirent pas du respect des droits d’autrui, répondent, sans hésitation aucune, affir mativement à cette question. Une guerre offensive, dans

VI. — 61