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GRÉGOIRE (HENRI


détruire tous ses papiers et fit promettre à sa fidèle hôtesse que, lorsqu’il serait mort, elle irait à Emberménil pour apprendre la fatale nouvelle à sa mère et la consoler.

En dépit de ses appréhensions, Grégoire ne fut pas arrêté ; ses antécédents révolutionnaires le préservèrent et aussi les amitiés qu’il conservait dans le camp le plus avancé. En revanche, il ne craignit pas de donner des gages au jacobinisme, notamment, au cours de la séance du 31 mai, où il occupa le fauteuil présidentiel. Par la suite, il eut conscience de ce que sa conduite et ses discours de cette époque eurent de peu épiscopal et son ami Hippolyte Carnot, chargé de rééditer ses œuvres, avait reçu l’ordre d’en faire disparaître quelques pages que Grégoire regrettait, tout en s’excusant de les avoir écrites « en des heures caniculaires. »

Après la chute de Robespierre, il devenait moins périlleux de parler. C’est à la fin de l’année 1794, les 31 août, 29 octobre et 14 décembre, que parurent les trois rapports de Grégoire sur la destruction des objets et monuments d’art accomplis pendant la Terreur. Il trouva des accents indignés pour flétrir les nouveaux barbares et, sous l’inspiration d’une sainte colère, introduisit dans la langue française l’expression vengeresse de vandalisme, qui a fait fortune. On a cherché depuis à contester, ou du moins à atténuer la portée de ses critiques, mais les apologistes de la Révolution n’ont pas réussi à faire honorer les jacobins comme les gardiens vigilants du patrimoine artistique de notre pays. Tout au plus peuvent-ils dire que les Vandales de 1793 ont fait école et qu’ils ont eu de nombreux imitateurs.

Le 1 er nivôse an III (21 décembre 1794), commence une nouvelle période de la vie de Grégoire. Il paraît renoncer aux préoccupations d’ordre laïc, dans lesquelles la prudence l’avait retenu et il plaide résolument la cause de la liberté religieuse. Il parla impassible devant un auditoire hostile dont les formidables rumeurs couvraient sa voix. On put croire que son intervention avait été intempestive, et cependant elle produisit ses fruits, car un mois plus tard, le 3 ventôse, la Convention votait une loi, semée de restrictions vexatoires, mais qui reconnaissait pourtant aux croyants le droit de célébrer publiquement leurs exercices religieux.

Au début de 1795, l’Église constitutionnelle avait presque complètement disparu. La loi de 1790, qui était sa raison d’être, s’était trouvée implicitement abrogée le jour où l’Église avait été séparée de l’État ; de plus, ses ministres avaient fait preuve d’une telle lâcheté sous la Terreur qu’elle avait sombré sous le mépris universel. La plupart des jureurs avaient abandonné leur état et ceux qui avaient tenu bon devant la persécution en étaient venus à comprendre la faute qu’ils avaient commise en se séparant de la véritable Église. Les rétractations se multipliaient et il semblait que la cruelle épreuve du schisme allait prendre fin.

Obstinément attaché à ses opinions gallicanes et à ses rancunes antiromaines, Grégoire entreprit d’enrayer ce mouvement de réconciliation, et il n’y réussit que trop bien. Sa courageuse attitude au milieu de la panique de 1793 lui donnait un prestige dont il fit le plus déplorable usage. Servi par sa débordante activité, par ses talents de polémiste et par une volonté de fer, il allait rendre pour sept ans une apparence de vie au parti constitutionnel. Mais son expérience des petitesses humaines l’aida à comprendre que son pouvoir ne serait incontesté que s’il ne s’exerçait pas ouvertement. Les ex-constitutionnels ne voulaient pas de pape, ils n’accepteraient pas davantage un antipape.

Grégoire recruta parmi ses collègues de la Convention quelques confrères qui formèrent avec lui le

DICT. DK THKOL. C.VI’HOL. « Comité des évêques réunis » et c’est en se dissimulant derrière ce léger rideau qu’il allait exercer une autorité presque dictatoriale.

Il fonda un journal, les Annales de la religion, dont il sera, sauf pendant de courts intervalles, le rédacteur principal et l’inspirateur ; il y luttera avec une infatigable persévérance contre tous ceux qui ne partageaient pas ses idées. Lutte circonspecte, mais courageuse, contre l’athéisme officiel du pouvoir civil, contre les blasphèmes des conventionnels, la persécution tantôt sournoise et tantôt violente du Directoire ; mais aussi lutte acharnée contre les catholiques soumis au pape, qu’il poursuit de ses sarcasmes, qu’il diffame en répandant contre eux les accusations les plus perfides, qu’il s’efforce de compromettre par des dénonciations empoisonnées.

Il a rédigé coup sur coup deux « Lettres encycliques » où il formule les règles nouvelles qui serviront de charte à l’Église constitutionnelle restaurée et qu’il réussira à faire accepter dans les trois quarts de la France. Il réprimande les timides et les fait rougir de leurs défaillances ; il soutient ceux qui ont perdu courage, se tient en garde contre les jaloux, ménage les esprits ombrageux, exploite les vanités et passe entre tous les obstacles avec l’habileté d’un politique consommé ; il forme un faisceau presque homogène en groupant des hommes des caractères les plus disparates. En 1797, il réunit à Paris un concile qui ratifie les mesures qu’il a improvisées sous le couvert des « réunis » . Dans la province de Bourges, dont il est le plus ancien évêque, il assemble un concile provincial par lequel il fait adopter un projet de statuts synodaux ; partout où l’évêque est mort, ou apostat, il organise des « presbytères » qui exerceront provisoirement le pouvoir spirituel et travailleront à mettre fin à la viduité de leur Église ; c’est ainsi que, sous son impulsion, trente départements ont procédé, entre 1797 et 1801, à une élection épiscopale. Il étend le cadre de la Constitution civile aux colonies d’Amérique, où il crée des diocèses nouveaux auxquels il sait trouver des titulaires ; il envoie des prélats qu’il a sacrés à Cayenne et à Saint-Domingue et travaille ainsi à une œuvre qui lui tient particulièrement à cœur, celle de l’évangélisation des noirs, dont il s’est déjà fait l’avocat à la Constituante et à la Convention.

L’annonce d’une réconciliation officielle du Saint-Siège et du gouvernement consulaire menaçait le développement et même l’existence de l’Église constitutionnelle. Quelques esprits superficiels se bercèrent d’abord de l’illusion que le Premier Consul imposerait au pape la reconnaissance d’un épiscopat gallican dont Grégoire aurait été le patriarche ou le primat. On comprit bien vite qu’à aucun prix Pie VII ne se prêterait à un tel accommodement. N’ayant pu tirer du futur concordat les profits qu’ils en avaient attendus, les constitutionnels s’en firent les adversaires irréconciliables et faillirent le faire avorter. Le second concile dit « national » réunit à Paris en 1801 un grand nombre de prélats constitutionnels ; il avait pour but principal de masquer le discrédit où était tombée déjà l’Église schismatique, de donner le change sur l’influence qu’elle exerçait encore et d’arracher par l’intimidation ce qu’on n’avait pu obtenir par les flatteries. Mais Bonaparte n’était pas de ceux qu’on fait reculer par de pareils moyens, et, le 15 août 1801, le pseudoconcile fut brusquement invité à se dissoudre. Peu après, les membres de l’épiscopat constitutionnel étaient prévenus qu’on attendait leur démission.

Se soumettant extérieurement, Grégoire et ses amis reprirent le combat sous une autre forme : ils avaient partie liée avec les adversaires de toute idée religieuse, avec la coterie de l’Institut de France où dominaient les tendances matérialistes et sectaires ; se posant en

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