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1829
1830
GRÉGOIRE XVI


Église polonaise. Les mesures les plus rigoureuses furent prises à l’égard des catholiques ; les plus larges amnisties accordées à ceux qui passaient au schisme. Ne communiquant avec Rome que par l’intermédiaire et sous le contrôle du gouvernement, les évoques étaient incapables de renseigner exactement le pape. C’est seulement en 1839 que la défection de l’Église uniate commença à ouvrir les yeux du pontife ; protestant dans l’allocution consistoriale du 22 novembre 1839 contre la conduite schisniatique des évêques ruthènes, il flétrit les prélats coupables et ajoute, presque timidement, un mot de regret sur l’attitude du gouvernement russe. Huit mois auparavant, dans une lettre adressée au tzar (G avril 1839), il lui avait encore demandé protection pour les catholiques de son immense empire, et lui avait promis de rappeler une fois de plus aux fidèles le devoir d’obéissance aux pouvoirs civils. A partir de 1840, les protestations de Grégoire XVI commencent, d’abord par une série de notes diplomatiques transmises par la secrétairerie d’État, puis se font jour avec beaucoup de véhémence dans l’allocution consistoriale du 22 juillet 1842. Elle ; restèrent lettre morte. Lors de la visite que le tzar Nicolas lui fit à Rome, en 1845, le pape aurait adressé au tout-puissant empereur de très vifs reproches, qui l’auraient profondément troublé. Le tzar négocia un nouveau "concordat, qui ne fut signé qu’en 1847 et qui d’ailleurs n’améliora pas sensiblement la situation du catholicisme en Russie.

6. Avec la France.

La France causa moins de difficultés à Grégoire XVI. Le gouvernement de Louis-Philippe, d’abord hésitant entre la politique révolutionnaire et antireligieuse et la politique conservatrice, dut tenir compte du renouveau chrétien qui se manifesta à partir de 1835. En 1837, Grégoire XVI pouvait dire à Montalembert : « Je suis très content de Louis-Philippe, je voudrais que tous les rois d’Europe lui ressemblent. » Toutefois, l’agitation créée par les catholiques libéraux autour de la liberté d’enseignement amena quelques légers nuages entre le Saint-Siège et le gouvernement français. Effrayé de la violence que prenait la campagne menée contre les jésuites, Guizot voulut obtenir du pape la dissolution de la Compagnie en France. Rossi (le futur ministre de Pie IX), accrédité comme ambassadeur auprès de Grégoire XVI, obtint finalement une demi-victoire, qu’il transforma dans ses dépèches en un succès complet. Le pape, arrêté par le S. C. des Affaires extraordinaires, avait refusé de donner aux jésuites français l’ordre de se disperser ; mais le général des jésuites, travaillé par le secrétaire d’État, se décida finalement à donner à ses religieux le conseil de disparaître pendant un certain temps.

En résumé, une période de conflits plus ou moins violents avec les gouvernements succède à la période d’accord ; dans plusieurs pays le pape dut entrer en lutte avec les principes du libéralisme révolutionnaire d’une part, du césaro-papisme d’autre part, d’accord, malgré leur opposition, pour imposer à l’Église la mainmise du pouvoir civil.

Gouvernement intérieur de l’Église.

1. Le mennaisianisme.

— La situation créée à Grégoire XVI par les conflits que nous venons d’énumérer explique une bonne partie de ses actes doctrinaux, et tout particulièrement son attitude dans l’affaire de Lamennais. Ce publiciste voit dans la séparation de l’Église et de l’État le meilleur moyen pour l’Église de retrouver son indépendance ; il accepte, avec toutes leurs conséquences, les principes de la Révolution et propose à l’Église de les utiliser : principe démocratique de la souveraineté populaire, principe de la liberté personnelle sous toutes ses formes : liberté de conscience, de presse, d’enseignement, d’association. Ces principes.

l’Église doit non seulement s’en servir, mais les revendiquer comme la condition la plus favorable de son action à l’époque moderne. On voit assez comment la conception mennaisienne est directement opposée à la thèse classique de l’alliance des deux pouvoirs, ecclésiastique et civil, unissant leurs efforts pour promouvoir le bien spirituel autant que matériel des peuples. Elle tend à mettre l’Église du côté de la démocratie contre les pouvoirs absolus, à l’associer aux revendications politiques et sociales surexcitées par la Révolution, à lui faire proclamer les droits imprescriptibles de l’individu, en face de ceux de l’autorité publique. Le plus paradoxal de toute cette affaire, c’est que Lamennais avait la confiance absolue que non seulement l’Église ne condamnerait pas une systématisation si hardie de vues si nouvelles, mais encore qu’elle la protégerait contre les attaques qui lui venaient de divers côtés. Le voyage à Rome qu’il entreprend en décembre 1831 n’est pas autre chose qu’une mise en demeure au souverain pontife d’approuver formellement son attitude

Rien ne pouvait davantage offenser Grégoire XVI qu’une pareille démarche. Les idées libérales et démocratiques n’apparaissaient guère au pape que sous la forme des insurrections qui venaient d’éclater dans ses États. Le pape se sentait menacé par la Révolution à laquelle on prétendait lui faire tendre la main et se soutenait seulement par l’appui des gouvernements absolus qu’on lui demandait de maudire. Tout concourait donc à faire échouer la démarche de Lamennais, les permanentes exigences de la vérité, comme les intérêts passagers de la politique, la sagesse supérieure de l’Église comme les opinions particulières des hommes qui le représentaient en ce moment. Nous n’avons pas à raconter ici les diverses phases de l’alîaire Lamennais. Qu’il suffise de rappeler qu’après avoir essayé de donner au publiciste français la délicate leçon du silence, Grégoire XVI se crut obligé, sur l’avis de la S. C. des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, de signaler dans son encyclique inaugurale du 15 août 1832 les erreurs principales de la théorie mennaisienne.

L’encyclique Mirari vos est fort loin d’avoir le caractère magistral et la haute tenue des documents consacrés par Pie IX et Léon XIII à cette question du libéralisme. La première partie, où le souverain pontife se plaint des malheurs des temps et donne aux évêques quelques conseils appropriés, n’a rien à faire avec la question mennaisienne. C’est seulement dans la seconde partie que les idées de Lamennais sont visées, sans que d’ailleurs le publiciste soit nommé. « Une des causes les plus fécondes de tous ces malheurs de l’Église, poursuit le pape, c’est Yindijjérenlisme, c’est à savoir cette funeste opinion qui professe que toutes les croyances sont bonnes pour le salut éternel, à condition que les mœurs soient réglées selon la justice et l’honnêteté. C’est de cette source corrompue que dérive l’opinion absurde et erronée d’après laquelle il faut affirmer et revendiquer pour n’importe qui la liberté de conscience. A cette erreur pestilentielle, la voie est préparée par la liberté d’opinion, pleine et immodérée, qui progresse au grand détriment de la société civile et ecclésiastique, et que plusieurs néanmoins, avec une souveraine impudence, prétendent mettre au service de la religion. C’est au même but que tend cette abominable liberté de la presse, qu’on ne saurait assez exécrer et détester, et que certains prétendent réclamer et promouvoir avec tant d’audace. » Après avoir rappelé les règles ecclésiastiques sur la matière, le pape continue : « Ayant appris que cette liberté impudente de la presse ébranle la fidélité duc aux princes et allume partout les flambeaux de la rébellion, nous engageons les évêques à rappeler aux peuples la doctrine de l’apôtre sur l’origine du pouvoir, et l’exemple des premiers chrétiens acceptant sans se