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GRATRY

1756

polytechnique, où il demeura deux ans. A la sortie de l’École, il donna sa démission. Alphonse Gratry était né dans une famille où régnait l’indifférence religieuse (son père ne lit sa première communion que longtemps après celle de son fils) : il avait appris, par une expérience douloureuse, ce qu’étaient ces collèges du temps de la Restauration, dont Lacordaire, Montalembert et lui-même nous ont laissé l’attristante peinture. La grâce l’y attendait cependant, et le messager en fut pour lui un maitre d’études, d’une éminente vertu. M. Latrèche, cpii mourut prêtre à Lorette, en 1882. Redevenu chrétien (sa première communion avait été fervente), Alphonse Gratry voulut se donner sans réserve à Dieu et aux âmes ; et c’est ainsi qu’au grand chagrin de ses parents, il renonça à tous les avantages que l’Ecole polytechnique lui assurait, pour aller trouver à Strasbourg M. Rautain qui y avait groupé les hommes les plus distingués (MM. de Ronnechosc, Ratisbonne, Cari, de Régny, etc.). Si l’on excepte un séjour de quelques mois chez les rédemptoristes du Dischenberg qui furent dispersés par la révolution de 1830, Alphonse Gratry passa dans la société de M. Rautain, occupé à l’enseignement secondaire, les années qui vont de 1828 à 1840. Il reçut à Strasbourg l’ordination sacerdotale (22 décembre 1832). Mais, à vrai dire, il ne fut jamais le disciple de M. Rautain, pas plus qu’à La Chesnaie Lacordaire n’avait été le disciple de La Mennais ; le fidéisme du philosophe qui jadis avait étonné Hegel par sa facilité à inventer des systèmes (voir la notice de M. Campaux sur M. Rautain) l’attirait peu ; et le despotisme intellectuel d’un maître, dont il ne méconnaissait d’ailleurs ni le talent ni la foi profonde, répugnait à ses tendances et à sa raison. En 1840, il fut nommé directeur du collège Stanislas qui lui dut une impulsion bienfaisante ; et en 1846, il fut appelé à l’aumônerie de l’École normale supérieure. Son influence fut considérable sur les jeunes catholiques de l’École (le futur cardinal Perraud, Heinrich, Rarnave, Charaux, etc.) ; les incroyants ne refusèrent pas à l’abbé Gratry leur estime et leur sympathie. « Maîtres et élèves, tous sentaient en lui un homme supérieur, admirablement préparé à remplir le ministère délicat que lui avait confié Mgr Affre. » Cardinal Perraud, Le P. Gratry, sa vie et ses œuvres, p. 37. La publication par M. Vacherot, directeur de l’École normale, du iiie volume de V Histoire de l’école d’Alexandrie, émut l’abbé Gratry par des assertions qui sapaient les origines surnaturelles du dogme chrétien, et ne voyaient dans ses développements que des emprunts à la philosophie grecque ; il crut devoir composer, sous forme de Lettre à M. Vacherot, une réfutation de ce m c volume. « Non seulement, il eut soin d’avertir de son projet l’honorable directeur de l’École : mais… il lui omit de lui remettre son travail avant de l’envoyer à l’impression… M. Vacherot refusa de prendre connaissance du manuscrit. Toutefois, ayant reconnu qu’il avait traduit à faux un texte important de saint Jean Damascène…, il n’hésita pas à faire reprendre tous les exemplaires qui restaient en magasin et à supprimer la page où cette erreur (lait contenue. » Cardinal Perraud, op. cit., p. 49, 50. Avant de publier sa réfutation : Une étude sur la sophistique contemporaine, 1851, l’abbé Gratry donna sa démission d’aumônier. M. Vacherot fut mis en disponibilité par un gouvernement qu’alarmaient les doctrines philosophiques et religieuses du directeur de l’École normale. Entre les deux adversaires, la lutte n’avait eu rien de personnel ; entre eux subsista une mutuelle estime dont ils se donnèrent des preuves jusqu’à la fin. A. Chauvin, Le P. Gratry, c. vu. Dans son Élude sur la sophistique contemporaine, Gratry avait commencé avec éloquence cette guerre qu’il devait poursuivre sans se lasser contre le panthéisme ;

il avait réfuté l’exégèse erronée et l’insuffisante érudition palristique de M. Vacherot ; mais il n’avait peut-être pas fait sa place légitime à la doctrine du progrès dogmatique au sein de l’Église ; il était plus proche de Rossuet et de Mgr Ginoulhiac que de Petau et de Newman.

L’abbé Gratry avait cherché à Strasbourg, comme d’autres à La Chesnaie, un foyer de vie pieuse et fraternelle et un centre d’études et de travail en commun ; il espéra que l’Oratoire de France reconstitué lui offrirait ce foyer et ce centre ; de concert avec l’abbé Pététot, curé de Saint-Roch, et l’abbé de Valroger, chanoine titulaire de Rayeux, il essaya de le rétablir (1852). Le Saint-Siège approuva l’entreprise. Les années qui s’écoulèrent entre cette date et celle de sa mort furent certainement la période la plus laborieuse et la plus féconde de la vie du P. Gratry. Il publia en 1853 la Connaissance de Dieu ; en 1855, la Logique (qui a été traduite en allemand) ; en 1858, la Connaissance de l’âme (elle a aussi été traduite en allemand) ; en 1859, le Mois de Marie de V Immaculée Conception (le P. Faber, de l’Oratoire de Londres, a écrit l’Introduction de la traduction anglaise) ; en 1861, La paix, Méditations historiques et religieuses, et La philosophie du Credo (cet ouvrage a été composé pour répondre à des questions du général de Lamoricière, alors exilé à Rruxelles ; il a été discuté par lui, page à page, avec le futur cardinal Dechamps, pendant environ vingt séances de deux et trois heures chacune.) De ces années aussi datent la plupart des homélies et conférences prêchées dans la chapelle de l’Oratoire, dans celle des religieuses de la Retraite, à Saint-Éticnne-du-Mont. « Jusqu’à la fin, dit le cardinal Perraud, le P. Gratry a gardé dans sa parole publique l’exquise simplicité de forme qui accompagnait la profondeur et l’originalité de la pensée. » Op. cit., p. 57. Des raisons diverses l’amenèrent en 1861 à quitter la vie commune tout en conservant le titre d’oratorien. Dans sa résidence de la rue Rarbet-de-Jouy, il publia à part, en 1862, Les Sources, conseils pour la direction de l’esprit, qui formaient le 1. VI de la Logique. A l’édition de 1864 est joint un Discours sur le devoir intellectuel des chrétiens au xix c siècle et sur le devoir des prêtres de l’Oratoire ; les Sources (IIe partie) ou le premier et le dernier livre de la science du devoir ; en 1863, le Commentaire sur l’Évangile de saint Matthieu, et la Crise de la foi, trois conférences faites à Saint-Étiennedu-Mont ; en 1864, Les sophistes et la critique ; Jésus-Christ, Réponse à M. Renan ; Petit manuel de critique ; en 1866, Henri Perreyve. Le P. Gratry, élu membre de l’Académie française, le 2 mai 1867, en remplacement de M. de Rarante, fut reçu par M. Vitet, le 26 mars 1868. En cette même année 1868, il publia La morale et la loi de l’histoire, et en 1869, les Lettres sur la religion. Pitoyable à toutes les souffrances et à toutes les détresses, ennemi des périls et des maux que la guerre entraîne, effrayé des progrès de ce militarisme que devaient plus tard déplorer le cardinal Manning et le pape Léon XIII, le P. Gratry avait donné son adhésion à cette Ligue de la paix où se rencontraient de fâcheux voisinages et où retentirent des paroles à tout le moins équivoques. Une grande partie des catholiques français s’émurent, et le P. Pététot, général de l’Oratoire, infligea au P. Gratry un désaveu public. Univers du Il juillet 1869. Ce n’était que le commencement des événements qui allaient troubler et assombrir les dernières années du P. Gratry. Le concile du Vatican s’était ouvert le 8 décembre 1869 ; de bonne heure, le bruit se répandit qu’il ne se fermerait pas sans avoir défini l’infaillibilité pontificale. Telle était la pensée et tel aussi le désir de Mgr Dechamps, archevêque de Malines, pour ne nommer que lui. H. Saintrain, Vie du cardinal Dechamps, p. 165.