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GRATIEN

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A propos de l’autorité pontificale, leurs commentaires

intéressent de près le traité De Ecclesia et de romano pontip.ce. Car l’on ne peut nier que ie Décret de Gratien et les travaux des canonistes suivants n’aient favorisé l’exercice de la suprématie romaine, contrairement à l’appréciation défavorable que portait le cardinal Pitra, Analecta novissima, t. i, p. 144, appréciation dont les attaques de Luther, des gallicans et de Dôllinger avaient du reste fait justice par avance. L’expression dont on a si souvent donné une interprétation fantaisiste, sur l’étendue des droits du pape : Romanus ponlifex omnia jura… ccnsetur habcre, remonte en substance jusqu’à l’époque d’Huguccio. Voir Gillmann, Romanus pontifex omnia jura in scrinio peclorissui eensetur habere, dans YArchiv fur katholisches Kirchenrecht, 1912, t. xcii, p. 3-17.

Mais le traité des sacrements surtout appelle ici l’attention : les nombreux problèmes touchés par Gratien à propos de l’ordre, de la pénitence, du mariage et de l’extrême-onction dans les deux premières parties, et les longs développements donnés dans le De consecrationc à divers sacramentaux, comme la dédicace des églises, à l’eucharistie surtout, au baptême et à la confirmation, amènent sans cesse les glossateurs à faire des incursions dans le domaine des théologiens. Ce serait sortir du cadre de cette notice que de donner l’exposé de toutes ces questions ; qu’il nous suffise d’en indiquer quelques-unes avec leurs sources ; à un moment où la systématisation des doctrines sacramentaires occupait principalement l’attention des théologiens, les renseignements offerts par les écrits des canonistes peuvent être d’une fort grande utilité ; ils le sont d’autant plus qu’il y a divergence entre eux dans la manière d’envisager certaines questions ; par suite, la pleine lumière ne peut se faire que par la connaissance des productions de l’une et de l’autre branche. Il n’est pas rare, du reste, qu’une idée, avant tout chère aux canonistes, ait son représentant chez les théologiens, et réciproquement. Contentons-nous d’en mentionner quelques-unes. Pour le détail des œuvres, l’on pourra recourir aux travaux cités dans la bibliographie ; les sources inédites sont plus nombreuses encore que les ouvrages déjà imprimés ; le nombre de ces derniers heureusement ne tardera pas à augmenter.

3° Développement des principales questions sacramentaires. - — La définition des sacrements, qui depuis Bérenger, Yves de Chartres et Abélard, a attiré l’attention des canonistes comme des théologiens, tend à placer l’essence du sacrement dans l’objet matériel ; cette manière d’envisager les choses, familière aux canonistes comme Gandulphe et Huguccio, par exemple, se retrouve aussi chez Hugues de SaintVictor ; c’est ce qu’a fait remarquer Pourrat, La théologie sacramentaire, Paris, 1910, p. 35. La définition que donne le célèbre Victorin est copiée par divers glossateurs, tels qu’Huguecio et Rufin ; elle a quelque temps la préférence sur celle de Pierre Lombard ; mais cfUe-ci finit par l’emporter.

C’est au canon 32 de la dist. II du De consécration/’, ou parfois en tête du De consecralionc, que nous trouvons habituellement ces développements sur la définition des sacrements : ils se rangent autour de la définition succincte, attribuée à saint Augustin, et qui, depuis Bérenger, ne cesse plus de se répandre à l’abri de cet illustre patronage ; elle a de la vogue avant l’enseignement d’Abélard ; car Yves de Chartres, un canoniste, l’emploie déjà avant lui. Voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique, p. 341, note 3.

La nomenclature des sept sacrements se rencontre fréquemment chez les glossateurs et l’on voit par là combien inexacte est l’affirmation de J. Freissen dans son ouvrage, fort précieux du reste : Geschichte des J<anonischi n Eherechfs bis zum Verfall der Glosscnli teratur, 2e édit., Paderborn, 1893, p. 33 sq., qui réduit au seul Rufin, parmi les canonistes, les témoins du nombre septénaire. Le fait est d’autant plus à signaler que, parmi les successeurs immédiats de Pierre Lombard, les théologiens ne sont pas aussi nombreux que les canonistes dans la série de ces témoins. Mais, en même temps, se fait remarquer toute une classification des sacrements et des sacramentaux, qui se rattache de fort près aux idées de Hugues de SaintVictor ; elle est reproduite ou développée, avec des nuances variées, par des glossateurs comme Rufin, Etienne de Tournai, Jean de Fænza et Sicard de Crémone, par l’auteur de la Summa Lipsiensis et Huguccio de Ferrare, par des théologiens, comme Simon de Tournai, et par un annotateur anonyme de Pierre Lombard. Pour le détail, voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique, p. 359369. Les longues pages données toujours à la consécration et à la dédicace des églises, d’après une habitude qui datait de loin, comme on l’a vu plus haut, attiraient l’attention sur cette matière des sacramentaux.

A propos du caractère sacramentel, les glossateurs offrent une ample matière : ce qui montre jusqu’à quel point l’affirmation ancienne était fantaisiste, qui faisait d’Innocent III le créateur de cette doctrine. Pierre Lombard emploie déjà le mot, et les travaux des canonistes, inédits ou imprimés, donnent une riche moisson bien avant Innocent III. Par suite, le travail de Brommer, Die Lehre vom Sacramentalen Charakler in der Scholastik bis Thomas von Aquin, dans les Forschungen

ur christlichen Literaturund Dogmengeschichte, Paderborn,

1907, t. viii, solide d’ailleurs, mais uniquement basé sur les sources imprimées, peut se compléter par un bon nombre de documents inédits.

La réitération des sacrements, surtout celle de l’ordre, est fréquemment étudiée dans les recueils canoniques ; ce qui a été dit, à propos des collections issues pendant la querelle des investitures, doit se répéter à propos des glossateurs ; les discussions sur cette matière continuent à se produire dans l’école jusqu’au triomphe de la théorie de Gandulphe ; Pierre Lombard et d’autres théologiens avec lui demeurent hésitants pour certaines applications. Voir Saltet, op. cit., passim.

La terminologie même des traités théologiques sur les sacrements peut largement puiser dans les Glossx et les Summæ des canonistes. Il a déjà été question des termes : characlcr et sacramentalia ; l’on peut y ajouter des expressions, comme opus opcralum ou opérons, etc., qui donnent l’occasion, sous la plume des glossateurs, à des développements instructifs, ou comme forma, materia, etc., qui vont se précisant de plus en plus. L’on peut mentionner ici encore le mot transsubstantiatio, qui est fréquemment employé par les canonistes, si bien que parmi les vingt ou trente témoins de l’usage du terme, antérieurement à 1215, un groupe imposant est fourni par les canonistes ; ceux-ci viennent presque tous en tête dans la série chronologique. Voir Eucharistie au xii c siècle, t. v, col. 1290-1293, et compléments dans les Recherches de science religieuse, l9V2, {. iii, p. 255, par J. de Ghellinck, A propos du premier emploi du mol transsubsluntiation.Vne autre formuledont l’histoire littéraire remonte d’ailleurs bien plus haut que l’époque de Gratien : sacramentononeslfacienda injuria, revient souvent chez tous les auteurs. Dès l’époque des investitures, elle apparaît dans les écrits des polémistes ou des canonistes, comme on peut le voir dans les Libellide lite imperalorum et rom. pontiftcum, dé’yd mentionnés ailleurs, et dans l’ouvrage de Saltet, Les réordinations, passim.

Parmi les sacrements in specie, il y aurait trop à citer pour que l’on puisse y songer ici. Les quelques indications suivantes donneront une idée de tout ce qu’il y a à recueillir chez les canonistes à côté des théologiens. C’est surtout la théologie de l’eucharistie qui se