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GRACE


p. 180 : t. ii. ]). 58 ; Pignataro, De gratin (lithogr.)i p. 127 : Billot, Or virtutibus in/usis, thés, vii, p. 173 ; De gratia Christi, thés, v, § 2, p. 109 ; Konings, De gratia divina, Louvain, 1907, prop. a, p. 20 ; Merkelbach, Revue ecclésiastique de Liège, t. vin (1912-1913), p. 237 sq. Cette seconde opinion, que j’ai défendue dans mon traité De gratia divina, ii, 338, exige d’abord quelques éclaircissements.

a) Saint Thomas, Sum.theol., I a II æ, q. cix, a. 9, parlant de la nécesstié de la grâce actuelle, enseigne que l’homme juste en a un double besoin : d’abord, il a la nécessité générale en vertu de laquelle aucune créature ne peut commencer à agir sans une motion divine ; ensuite il a une nécessité spéciale qui dépend de la condition présente de la nature humaine : cette nécessité est l’impuissance morale de l’homme à faire le bien, impuissance qui a son origine dans la corruption de la chair et l’ignorance de l’intelligence. D’après cela il semblerait, à première vue, que pour tout acte salutaire chez le juste il faut une grâce actuelle et que celle-ci consiste dans la prémotion physique requise à l’opération. Mais il nous faut considérer les choses de plus près. Saint Thomas distingue ici la ^ràce sanctifiante : habituale donum per quod natura humana corrupla sanetur, et etiam sanata elevctur ad operanda opéra meriloria vitiv seternse quæ exeedunt proportionem naturæ, et la grâce actuelle : auxiltum gratiæ ut a Deo moveatur [homo] ad agendum. Ce qui est appelé moveri a Deo est une motion générique ; cette motion divine comprend deux espèces bien distinctes : la motion par laquelle Dieu applique à l’action la faculté opérative, et la motion spéciale par laquelle Dieu, suscitant des actes indélibérés dans l’intelligence et dans la volonté, excite l’homme à des actes délibérés salutaires. La motion de la première espèce a sa raison d’être dans l’incapacité physique où se trouve toute créature de passer, par elle-même, de la puissance à l’acte, de passer de l’état de repos à l’état d’activité. Cette nécessité est la même pour tout commencement d’opération, et par conséquent l’homme justifié a besoin, lui aussi, de cette prémotion divine ; car les habitus surnaturels, pas plus que les habitus naturels, ne mettent la faculté opérative en mouvement, ne lui font produire un acte. Si l’on donne le nom de grâce actuelle à cette motion, que nous venons de décrire, on dira qu’il faut une grâce actuelle pour toute opération salutaire de l’homme juste, mais elle n’est pas entitativement surnaturelle, cf. Billot, De viriutibus in/usis, p. 174, et ne mérite le nom de grâce que parce que cette motion se termine à un acte surnaturel, à un acte surnaturalisé par Yhabilus infus et dépendant de Dieu en tant qu’il est l’auteur de l’ordre surnaturel.

Cette motion n’est pas un secours spécial : elle est exigée par la faculté qui (étant donné les conditions dans lesquelles elle se trouve) doit émettre son acte ; mais elle n’ajoute rien à l’énergie de l’homme au point de vue de l’acte salutaire. Tandis que, pour la motion de la seconde espèce, il en va tout autrement : cette dernière est l’illumination et l’inspiration du Saint-Esprit, elle est un secours spécied, car elle ajoute à l’énergie de l’homme en vue des actes salutaires ; elle dissipe les ténèbres de son esprit : elle incline sa volonté à choisir le bien ; elle remédie aux blessures occasionnées par le péché originel.

b) C’est donc de ce secours spécial qu’il s’agit, de ce qu’on appelle proprement la grâce actuelle excitante. Nous soutenons l’opinion qui dit qu’une telle grâce n’est pas requise pour chaque acte salutaire délibéré dans l’homme justifié.

La démonstration de celle thèse se résume dans l’argument suivant : Si la grâce actuelle excitante était requise pour chaque acte salutaire de l’homme justifié, elle le serait ou bien à cause de la surnaturalité de

l’acte salutaire, ou bien à cause de l’application de la faculté opérative â son acte, ou bien à cause de la faiblesse humaine vis-à-vis du bien à accomplir, ou bien à cause d’une loi établie par Dieu ; or aucun de ces litres n’implique cette nécessité ; elle n’est donc pas admissible.

La mineure s’explique : a. Les facultés opératives, notamment l’intelligence et la volonté, sont, chez le juste, intrinsèquement élevées et portent en elles ces diverses inclinations surnaturelles qui ordonnent la faculté à émettre les actes correspondants : ce sont les vertus infuses théologales et morales. Celles-ci, quand l’homme justifié émet un acte de foi, de charité ou d’une autre vertu, le surnaturalisent intrinsèquement, à peu près comme les vertus naturellement acquises influent sur l’acte, qui leur correspond, quand il est émis. Il n’est donc pas requis qu’un aulre principe de surnaturalisation soit ajouté à l’instant où s’émet l’acte correspondant à une vertu infuse.

b. La grâce actuelle excitante n’est pas requise pour appliquer la faculté opérative à son acte. Cette application n’est pas autre chose que la motion de la cause première, motion requise pour que la faculté passe de l’état de non-activité à l’opération actuelle. Mais la cause première, comme telle, doit mouvoir, au même titre, toute cause seconde, comme telle ; que celle-ci soit dans l’état simplement naturel, ou qu’elle soit, par les dons infus, élevée à l’ordre surnaturel, la prémotion physique remplit la même fonction : faire passer la faculté opérative à l’acte qu’elle doit émettre ; cet acte est spécifié et déterminé entitativement, non par la prémotion physique, mais par la faculté d’où il sort ; c’est la faculté qui le fait être tel ; cet être tel dépend et de l’objet auquel tend hic et nunc l’activité de la faculté et des habitus dont la faculté est pourvue. Donc la surnaturalité intrinsèque de l’acte ne provient pas de l’application de la faculté à son acte, mais de la virlus /luens supernaturalis (quand il n’y a pas de vertu infuse), ou de Vhabitus surnaturel infus. Cette conclusion n’est pas infirmée par la doctrine qu’expose saint Thomas, Sum. theol., I a IL 1 *, q. lxviii, a. 2, où il parle de la nécessité des dons du Saint-Esprit. Les vertus infuses, parce qu’elles sont surnaturelles, ne sont pas possédées par l’homme aussi parfaitement que le sont les habitus naturels ; c’est pourquoi les vertus infuses ne suffisent pas pour que l’homme puisse, d’une façon aussi sûre que ferme, marcher, en tout et continuellement, vers sa fin surnaturelle ; il faut qu’il ait en lui l’instinct même de celui qui a cette fin pour connaturelle, c’est la personne même du Saint-Esprit. Les dons du Saint-Esprit sont concédés précisément pour que l’homme soit rendu docile à cet instinct du Saint-Esprit, c’est-à-dire à ces illuminations de l’intelligence et à ces inspirations de la volonté, qui constituent la grâce excitante. La nécessité de celle-ci n’est donc pas du tout celle de la prémotion physique à chaque commencement d’opération, mais elle est d’un ordre tout différent. Quand saint Thomas, dans sa réponse à la 2e objection de l’article cité, dit : per virtutes theologicas et mondes non ila per/icitur homo in ordine ad ultimum finem, quin semper indigcal moveri quodam superiori instinetu Spirilus Sancti, ratione jam dicta, il n’affirme pas la nécessité d’une grâce excitante à chaque acte salutaire du juste, mais « il veut dire simplement qu’il n’est aucun moment ni aucun acte où cette motion ne puisse pas être requise ; mais non qu’elle soit en effet toujours requise et pour chaque acte. C’est pour tout sujet destiné à la fin surnaturelle et non pour chaque acte ordonné à cette fin, que saint Thomas requiert, comme une chose absolument nécessaire, les dons du Saint-Esprit. » Telle est la remarque du P. Pègues, qui interprète avec beaucoup de précision l’article cité. Commentaire français littéral de la