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GRACE


l’homme juste, une grâce spéciale excitante ou une série de grâces ; cette thèse n’est pas démontrée et nous ne l’admel I on : pas, comme nous l’exposerons plus loin. Le P. Portalié s’appuie sur l’expérience ; nous nous demandons en vain ce que l’expérience pourrait établir concernant le mode de l’influence de la grâce actuelle excitante sur l’acte de consentement. L’homme a la conscience psychologique de ses actes cognoscitifs et appétitifs, qu’ils soient indélibérés ou délibérés. L’homme peut donc avoir conscience d’une inclination puissante vers un bien, ou d’inclinations répétées vers telle bonne action, il pourra avoir conscience de sa délibération et du lait qu’il pose un consentement pleinement délibéré, il pourra, par la foi et par une connaissance conjecturale, savoir cpie telle inclination est l’effet d’une grâce actuelle, et que, par conséquent, il a librement consenti à une grâce ; mais il ne pourra pas avoir conscience de la nature intime de la connexion de la grâce actuelle excitante avec le consentement qui a suivi. Il en est de même lorsque, délibérément, il refuse le consentement à une inclination puissante ou à une série de motions vers un bien ; il aura conscience et de l’inclination et de sa résistance délibérée, mais son regard ne pourra pas pénétrer davantage dans son activité psychologique et savoir pourquoi il a refusé son consentement ; il ne peut que constater le fait de son refus délibéré et la possibilité du consentement. Il en est de même pour les actions faciles, qui ne sont précédées d’aucune lutte ; quand Dieu, par une grâce actuelle, fait surgir dans un homme bien disposé la pensée d’une bonne action et que cet homme immédiatement, bien que délibérément, consent et pose l’acte vertueux, il pourra savoir qu’il a librement consenti à l’impulsion susdite, mais sa conscience ne lui manifestera pas quelle est précisément l’influence exercée par cette grâce ; il n’y a pas de raison de nier que c’est de la congruité de cette impulsion que dépend le consentement, et que, par conséquent, cette grâce excitante a été une prédétermination morale. La notion de celle-ci n’implique pas nécessairement l’idée d’inclination véhémente ou d’impulsion irrésistible ou victorieuse d’une opposition. La prédermination morale ne dit pas autre chose qu’une inclination vers le bien telle qu’elle obtient de fait le consentement libre.

Mais ici surgit la question de l’infaillibilité de la connexion entre la grâce excitante et le consentement. Quand on parle d’infaillibilité on parle d’une connaissance : il ne peut s’agir ici que de la connaissance divine. Car lorsque l’homme consent librement, il a conscience qu’il pourrait ne pas consentir et que son consentement est contingent. Quand il s’agit de l’influence exercée par un homme sur un autre, le premier ne peut avoir qu’une connaissance conjecturale du consentement ou non-consentement du second. Dieu connaît infailliblement tous les actes libres que poseraient tous les hommes dans toutes les circonstances où ils pourraient se trouver ; nous tenons que Dieu connaît cela en lui-même et notamment dans sa causalité divine. Mais quel est précisément le moyen objectif dans lequel Dieu connaît ses actes ? Ce n’est pas le lieu de traiter cette question. Nous dirons simplement que la congruité de la grâce excitante, cette congruité qui est relative à chaque individu et qui constitue la prédétermination morale, est pour Dieu un moyen de connaître infailliblement le consentement, il la non-congruité, qui suppose toujours la suffisance de la grâce, est le moyen de connaître infailliblement le non-consentement. I.a prédestination est donc infaillible et les moyens dont elle se sert obtiennent immanquablement leur effet.

2° De ce que nous venons d’exposer, il résulte que la différence entre la grâce seulement suffisante et la

grâce efficace n’est pas une différence essentielle ; que, si l’on considère la grâce d’une manière absolue, cette différence n’est ni qualitative, ni quantitative ; la congruité, propre à la grâce efficace, est une congruité relative au sujet auquel elle est donnée ; il peut donc se faire que telle inspiration soit efficace chez tel individu dans telles circonstances et ne le soit pas chez un autre ; il peut se faire aussi qu’une inspiration plus intense soit inefficace chez tel homme, alors qu’une grâce moins intense soit efficace chez un autre.

3° Il faut rappeler encore qu’entre le terme de la causalité physique et efficiente de la grâce excitante, c’est-à-dire l’acte indélibéré, et le consentement délibéré il y a nécessairement, si on peut parler ainsi, solution de continuité. Le P. Guillermin, Revue thomiste, 1902, t. x, p. 673, explique très bien cette assertion : " Il y a une grande différence entre la manière d’agir de la volonté libre sous la motion divine et la manière d’agir des facultés d’ordre purement physique. En celle-ci, l’action divine A produit toujours une motion passive A’de laquelle découle ensuite nécessairement l’effet corrélatif a. Les agents physiques, en effet, agissent toujours conformément aux modifications qu’ils ont subies ; un corps soumis à l’action de la chaleur communiquera la chaleur au même degré où il l’aura lui-même reçue. Aussi dit-on des agents physiques qu’ils sont dans leurs opérations plutôt passifs qu’actifs, potius aguntur quam agunt. Il en va tout autrement pour la volonté libre. Sans doute ici encore l’action divine A produit dans la faculté une impulsion une motion passive A’. Mais la liberté de la volonté consiste précisément en ce qu’entre la motion passive A’et l’acte a correspondant il n’y a qu’un lien contingent et, puisque la volonté créée est défectible, il peut arriver, Dieu le permettant ainsi, qu’elle entrave le résultat de la motion et que l’acte a soit intercepté. Pour mieux entendre comment la défection peut se produire sous la motion actuelle de Dieu, on doit se rappeler que, d’après l’enseignement thomiste, il faut considérer dans la motion physique naturelle ou surnaturelle un double aspect. Sous le premier aspect, elle est un effet de Dieu, une motion passive reçue dans la volonté ; sous le second aspect, elle est principe actif, ou plutôt la faculté activée par la motion divine passivement reçue devient, par elle et avec elle, principe actif d’opération : Aclus procedil ab agente in aclu. Or, l’agent libre se distingue de l’agent nécessaire en ce que celui-ci, une fois activé, procède fatalement à la production de l’acte, tandis que l’agent libre y procède librement et suivant ce qu’il lui plaît de vouloir. Si cet agent libre est indéfectiblement parfait dans ses choix, il procédera immanquablement, quoique librement, à la production de l’acte auquel l’active la motion divine. Mais si cet agent libre est défectible, il pourra toujours défaillir, et sûrement il défaillira quelquefois, à moins que Dieu par une protection gratuite particulière, ne le préserve et ne le soutienne actuellement ; et sa défaillance consistera précisément en ce qu’il choisira de ne pas procéder activement à l’acte auquel il est mû et actionné par la motion passive reçue de Dieu. » Donc la motion divine qui est passivement reçue et qui a pour terme l’acte indélibéré ne prédétermine pas physiquement l’acte délibéré ; celui-ci est contingent. De plus, il ne faut pas, outre l’impulsion indiquée A, une nouvelle impulsion divine qui, physiquement, cause et détermine l’acte délibéré ; celui-ci émane de la volonté déjà en acte par l’impulsion A’et c’est la volonté elle-même qui le détermine. Nous concluons quc la division de la grâce actuelle en suffisante et en efficace concerne formellement la grâce excitante ; si celle-ci est congrue, au sens expliqué, c’est-à-dire si elle est telle qu’elle obtient immanquablement le consentement, elle est efficace ; elle est, au contraire,