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GRACE

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divine ; nous savons que l’homme est libre, que cette liberté consiste essentiellement dans le pouvoir de choisir : d’autre pari, que Dieu ne détruit pas son œuvre, niais qu’il meut toute créature de la manière qui convient à sa nature ; nous concluons donc que celle liberté, que cette indépendance qui lui est essentielle, doivent subsister, que par conséquent Dieu ne meut pas l’homme de façon à ce que cette liberté disparaisse. Si donc la prédétermination physique est incompatible avec la liberté que nous connaissons, nous devons logiquement nier la prédéterminât ion physique. Cette négation doit être maintenue alors même que nous ne parviendrions pas à trouver une explication adéquate de la manière intime dont Dieu agit dans ses créatures. Dans ce cas, il faudrait se contenter du principe général énoncé par saint Thomas : « La providence divine ne détruit pas la nature des choses, mais la conserve. Puis donc que la volonté est un principe actif qui n’est pas déterminé à un objet, mais qui est indifférent vis-à-vis d’un grand nombre (principium aclivum non détermination ad unum, sed indifferenter se habens ad mulla), Dieu la meut de telle façon qu’il ne la détermine pas nécessairement à un objet, mais son mouvement (son acte) reste contingent et ne devient pas nécessaire, si ce n’est quand il s’agit des objets vers lesquels elle est mue naturellement » Snm. theol., F IV, q. x, a. 4. Saint Thomas, en répondant à la question concernant le mode d’après lequel Dieu agit dans la volonté, exclut avant tout ce qui serait inconciliable avec la liberté, notamment une détermination physique qui enlèverait la contingence île l’acte, c’est-à-dire l’indifférence active qui est le propre de la liberté.

b. Nous donnons une réponse semblable à l’argument tiré de la connaissance divine. Il faut admettre e1 l’on démontre que Dieu doit connaître tous les actes libres de l’homme, qu’il les connaît en lui-même, in semelipso ; mais la difficulté surgit quand il faut assigner le moyen objectif dans lequel Dieu connaît les actes libres. On propose comme moyen de connaissance les décrets déterminants, c’est-à-dire les décrets de la volonté divine qui décident de donner à tel homme dans de telles conditions telle prédétermination physique qui produit l’acte de volonté ; ce moyen de connaissance, nous le rejetons comme inconciliable avec la liberté humaine. Cette incompatibilité étant démontrée, il faut la maintenir alors même que l’on ne parviendrait pas à assigner d’une manière absolument satisfaisante le moyen objectif dans lequel Dieu connaît les actes libres. Il ne serait pas logique d’affirmer a priori que nous devons connaître ce qui, dans l’essence divine, est le moyen objectif dans lequel Dieu connaît les actes libres. Quant à nous, nous ne voyons aucune contradiction dans la science moyenne, bien que cette explication ne résolve pas pleinement toutes les difficultés. Mais ce n’est pas ici le lieu d’exposer ce cpii concerne la science divine.

Doctrine de Bellarmin. — 1. Exposé. — Cet éminent

théologien n’est ni moliniste ni banésien dans son enseignement concernant l’efficacité de la grâce actuelle. Il tient pour fausse l’opinion de Molina qui dit tpie l’efficacité de la grâce dépend de la volonté humaine, et il n’admet pas sans restriction l’assertion d’après laquelle une même grâce obtiendrait chez un individu la conversion et ne l’obtiendrait pas chez un autre, ni l’assert ion d’après laquelle une grâce moindre obtiendrait la conversion chez l’un, alors qu’une grâce plus puissante ne l’obtiendrait pas chez l’autre. Il lient pour fausse l’opinion de Banez qui dit cpie la grâce clïï ice prédétermine physiquement la volonté au consentement.

Il enseigne que l’efficacité de la grâce dépend d’elle, c’est-à-dire que la grâce est efficace « 6 inlrinseco. Celte

efficacité consiste dans la congruité du secours donné, et ce secours détermine moralement la volonté au consentement, de façon que le consentement suive immanquablement, non nécessairement, mais librement. Quand Dieu veut que quelqu’un se convertisse, il lui parle intérieurement, l’exhorte et l’inspire de la façon qui lui convient, de sorte que cet homme ne repousse pas l’appel divin. Cette opinion, ajoute Bellarmin, est incontestablement celle de saint Augustin. Cette opinion, dit-il, sauvegarde et l’efficacité de la grâce et la liberté humaine ; parce que la grâce ne détermine pas physiquement la volonté, elle laisse l’homme réellement libre de consentir ou de ne pas consentir ; parce que la grâce détermine moralement la volonté, elle fait que l’homme y consente immanquablement. Cette explication sauvegarde encore la prédestination, lui conserve la certitude, la gratuité en même temps que l’indépendance de la prévision des œuvres humaines. Bellarmin admet aussi la science moyenne. L’exposé de la doctrine de Bellarmin se trouve principalement dans son écrit : De novis controversiis inter patres quosdam ex ordine prædieatorum et P. Ludovicum Molinam, dans Le Bachelet, Auclarium BeUarminianum, p. 101 sq. Voir aussi Bellarmin, De (jratia et libéra arbitrio, 1. I, c. xii, p. 243 sq.

2. Critique.

Cet exposé dans ses grandes lignes nous semble vrai et exact ; il resterait à déterminer davantage en quoi consiste la congruité de la grâce.

Doctrine de Sucerez.

1. Exposé. — Suarez enseigne

que la grâce est efficace ab extrinseco, c’est-à-dire que la grâce est rendue efficace par le consentement humain. Il admet aussi que la grâce ne sera efficace que si elle est congrue ; mais cette congruité semble réalisée principalement par des circonstances externes à la grâce et non par la qualité ou l’intensité intrinsèques de la grâce ; d’où il résulte qu’un homme se convertira avec une grâce en elle-même inférieure, mais donnée à un moment opportun pour le sujet auquel elle est concédée. Opuscula theologica, opusc. I, 1. III, c. xxi, n. 5 sq., Opéra omnia, t. xi, p. 284 sq. Cette congruité n’est pas telle qu’elle soit par elle-même la cause de la connexité objective entre la grâce actuelle excitante et le consentement ; cette connexion n’est réalisée que pour autant que Dieu connaît que tel homme consentira de fait à telle grâce. Sur la doctrine de Suarez et les autres opinions qui appartiennent au congruisme, voir Congruisme, t. iii, col. 1120 sq., mais l’opinion de Bellarmin concernant l’efficacité de la grâce n’est pas la même que celle de Molina.

2. Critique.

En faisant abstraction de ce qui dans la doctrine de Suarez concerne le concours général de Dieu, la science divine et la prédestination, la notion qu’il donne du congruisme et de la connexion entre la L ; iàce excitante et le consentement semble insuffisante. Dans ce système sont sauvegardés le libre arbitre et la réalité d’une grâce suffisante quoique inefficace.

Doelrinc des augustiniens.

Elle a été exposée

et critiquée à l’art. Augustinianisme, 1. 1, col. 2485 sq. 6° Doctrine de Tournély.

1. Exposé. — Elle se

sépare de la précédente, notamment en ce qu’elle distingue la grâce accordée pour les œuvres faciles et la grâce donnée pour les œuvres difficiles : il y a une grâce actuelle excitante qui par elle-même suffit à obtenir le consentement libre : c’est la grâce qui est donnée pour des œuvres faciles et aussi pour la prière. Si [’homme consent à cette grâce, il en obtiendra d’autres qui seront alors suffisantes pour l’accomplissement d’oeuvres difficiles. De gratia Christi, t. ii, q. vii, a. 4, concl. 5, p. 448 sq. Saint Alphonse de Liguori admet la même opinion en la précisant : pour les œuvres difficiles, il faut une grâce efficace ab inlrinseco, qui détermine la volonté au consentement et qui ordinairement consiste en une délectation victorieuse, parfois en