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GRACE

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à l’homme le pouvoir de bien agir ; mais pour que, de fait, il agisse bien, c’est-à-dire pour qu’il utilise, de fait, le pouvoir qui lui est conféré, il faut une nouvelle grâce, plus puissante, c’est-à-dire la grâce efficace. Sur ce système, voir Alvarez, De auxiliis, disp. XXII, p. 177 sq. ; disp. LXXII, n. 3, p. 611 ; disp. LXXI1I, n. 2, p. (.1 1 : disp. LXXXIII, p. 660 sq. ; Goudin, De gratia Dei, q. v, a. 4, § 4. p. 306 ; Billuart, De gratia, diss. V, a. I. Opéra, t. iii, p. 138.

Quant à la connaissance divine concernant le consentement de l’homme, elle s’explique précisément par cette prédétermination physique : Dieu a décidé, de toute éternité, de donner telles et telles prédéterminations physiques ; c’est dans le décret ayant pour objet ces prédéterminations que Dieu connaît tous les actes délibérés salutaires.

b) Les arguments sur lesquels s’appuie cette doctrine sont d’abord la nécessité d’admettre la complète dépendance de l’homme et de toutes ses opérations visà-vis de l’influence divine ; si l’on rejette la prédéterminât ion physique, il faut admettre que l’acte libre, comme tel, est indépendant de l’influence divine et lui échappe ; l’homme serait lui-même cause première de cet acte. Ensuite, on dit encore que la prédétermination physique explique seule l’infaillible connexion entre la uiàce et le consentement humain, que, par conséquent, il faut que cette prédétermination physique se démontre par la science infaillible que Dieu doit avoir de tous les actes de l’homme.

2. Critique.

a) Les théologiens, qui appartiennent

i l’école dont nous venons d’esquisser l’enseignement,

professent sincèrement la doctrine catholique sur la grâce suffisante et la liberté humaine, mais l’explication qu’ils proposent de ces dogmes est, à notre avis, logiquement inconciliable avec eux.

a. Quant à la grâce suffisante, elle est telle, d’après ces théologiens, parce qu’elle donne le pouvoir d’agir salutairement, parce qu’elle met l’homme dans la condition où il peut poser l’acte libre du consentement ; cependant une autre grâce, réellement et spécifiquement distincte, est requise pour que l’homme émette, de fait, le consentement ; ainsi donc la grâce suffisante ne perfectionne la faculté opérative que dans l’ordre potentiel et la laisse à l’état statique, elle ne fait pas passer à l’exercice le libre arbitre considéré strictement en lui-même et n’atteint pas l’acte second. Cf. Billuart, loc. cit. ; Guillermin, Revue thomiste, 1902, t. x, p. 671 sq. Si l’on objecte que l’on ne peut appeler suffisante une grâce à côté de laquelle une autre grâce est requise pour que l’effet soit obtenu, ces théologiens répondent : cela est vrai si l’on tient au sens grammatical du mot, mais ce n’est plus vrai si l’on considère le sens théologique. Car cette grâce est suffisante dans son genre ; la grâce requise en outre est dans un autre genre. Voici comment s’exprime Billuart, op. cit., p. 139 : Equidem non est sufficiens in omni génère et ordine, cum requirahir (ilm allerius generis et ordinis, sed est sufficiens in suo génère et ordine : et dicimus quod sic loqui sit loqui in sensu proprio et prout communiter loquimur. Billuart cite ensuite divers exemples pour montrer que, d’après la façon ordinaire de parler, on peut appeler suffisante la grâce dont il a indiqué la nature. En admettant qu’on puisse justifier l’expression au point de vue de la terminologie, on ne peut nier que la notion de grâce suffisante, défendue par ces théologiens, ne répond pas a la réalité qui fait l’objet de notre étude. En effet, il s’agit de l’acte délibéré salutaire ; or, la doctrine catholique enseigne qu’il existe vis-à-vis de cet acte-là une grâce réellement suffisante et cependant inefficace, une grâce, par conséquent, qui confère réellement à l’homme tout ce qui lui est nécessaire pour le consenlomenl cl qui cependant ne l’obtient pas. Mais dans l’opinion, que nous critiquons, une telle grâce n’existe

pas, car celle qui est appelée suffisante finit à l’acte premier, elle n’atteint pas physiquement l’acte second, c’est-à-dire l’acte salutaire délibéré ; mais celui-ci ne peut pas se produire, si Dieu n’ajoute à la grâce, dite suffisante, une autre qui physiquement et immédiatement cause le consentement ; donc si cette seconde grâce, la grâce efficace, n’y est pas, l’homme ne peut pas consentir à la première grâce ; celle-ci n’est donc pas réellement suffisante à obtenir l’effet auquel elle est destinée. Non seulement le consentement de l’homme est requis, mais ce consentement ne peut pas se produire avec cette grâce ; il en faut une autre plus puissante d’un autre ordre. Donc, dans ce système, il n’y a pas de grâce réellement suffisante, qui soit inefficace par la libre résistance de l’homme.

A cette dernière assertion, les théologiens bafïésiens répondent : Dieu est prêt à donner la grâce efficace à tous ceux à qui il donne la grâce suffisante ; il ne la refuse qu’à celui qui, par sa faute, résiste à la première grâce, faute qui est, par sa nature, antérieure à la dénégation de la grâce efficace. Cette explication ne résout pas la difficulté. En elîet, on dit : Dieu, en concédant la grâce suffisante, offre en même temps de donner la grâce efficace, et la donnera si l’homme n’y met pas obstacle par sa résistance. Mais dans la doctrine banésienne, cette résistance est un acte libre, délibéré ; cet acte ne se produit que par une prédétermination physique infuse par Dieu dans la volonté ; l’homme ne peut résister à la grâce suffisante que pour autant que Dieu le prédétermine physiquement à cet acte de résistance ; on devrait donc admettre que Dieu, en même temps, offre la prédétermination physique au consentement et cependant prédétermine physiquement l’homme au dissentiment, c’est-à-dire à l’obstacle qui empêche la concession de cette grâce qu’on dit offerte. Il en résulte cjue ce qu’on appelle offrir la grâce efficace ne correspond pas à la réalité. Ce qui confirme cette conclusion, c’est que, d’après l’opinion critiquée, les décrets de Dieu concernant l’octroi des grâces efficaces ne présupposent par notre choix, mais le précèdent ; donc on ne peut pas dire : Dieu prédétermine physiquement la volonté de tel homme à la résistance de telle grâce parce qu’il a prévu que l’homme refuserait son consentement ; mais c’est Dieu qui est cause de cette prédétermination antérieurement à la prévision de l’acte humain.

b. La liberté humaine n’est pas mieux sauvegardée que la grâce suffisante. La liberté humaine consiste essentiellement dans la propriété que l’homme possède de choisir, c’est-à-dire de vouloir ceci plutôt que cela. A cet effet, il faut que la volonté humaine elle-même détermine physiquement cet acte qui est choisir, c’est-à-dire qu’à l’instant où émane cet acte, existe cette indifférence active, au moyen de laquelle la volonté elle-même émet et détermine le choix. Cette indifférence active est absolument requise pour qu’il y ait imputabilité du choix ; en effet, si la volonté ne peut pas se déterminer elle-même à vouloir ceci ou cela, l’acte de volition ne peut pas lui être imputé, elle ne peut pas être responsable, elle ne peut pas mériter ou démériter. Par exemple, si Dieu, par une grâce actuelle excitante, meut moralement ou objectivement un homme à entendre la messe le dimanche, cet homme doit vouloir ou bien aller à la messe, ou bien ne pas aller à la messe (soit directement, soit indirectement, en voulant, par exemple, ne pas songer à cela, ou en voulant autre chose) ; pour que le choix lui soit imputable, il faut qu’à l’instant où il émet la volition, il soit réellement et physiquement indifférent à l’un et à l’autre objet ; si une cause qui lui est extrinsèque produit physiquement la détermination du choix, sa détermination ne peut pas lui être imputée. Par conséquent, dans le système banésien, la liberté humaine,