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GRACE


du bien qui lui est oclroyé par Dieu ; mais l’excitation surnaturelle à l’acte surnaturel est et reste un réel secours concédé par Dieu.

Cependant, dira-t-on, Dieu prévoit que l’homme ne consentira pas à cette grâce ; il prévoit qu’en maintes circonstances l’octroi de la grâce seulement suffisants devient une occasion de péché et de damnation éternelle. Par conséquent, au moins dans ces cas, la grâce seulement suffisante n’est pas un bienfait de Dieu. A cela on répond que l’octroi des grâces suffisantes est et reste toujours l’effet de la volonté salvitique de Dieu, de cette volonté par laquelle Dieu veut sincèrement, bien que conditionnellement, le salut de tous les hommes et l’octroi des moyens nécessaires à leur salut ; chaque fois que Dieu accorde une grâce suffisante, il le fait afin que, par elle, l’homme puisse agir salutairement et il donne ce pouvoir parce qu’il veut le salut de cet homme. La prévision de l’absence d’effet de cette grâce (absence qui est duc à la libre résistance de l’homme) ne change pas la disposition bienveillante d’où procède la concession de la grâce, et ne lui enlève pas sa raison de bienfait. Si l’on dit : cependant il vaudrait mieux pour l’homme n’avoir pas reçu la grâce suffisante ; cela est vrai, mais ce mal dépend, non de la grâce suffisante comme telle, mais du libre refus d’y coopérer de la part de l’homme. On peut dire aussi que, pour l’homme damné, il vaudrait mieux n’avoir jamais vécu, cf. Matth., xxvi, 24 ; cependant la vie est toujours un bienfait de Dieu. Cf. Mazzella, De gratia Christi, n. 525 sq. L’explication de la conciliation de la volonté salvitique de Dieu avec la prédestination et la réprobation doit être donnée ailleurs.

6. Ce que nous avons exposé jusqu’ici, en prenant comme point de départ la définition nominale de la grâce suffisante et efficace, fait partie de la doctrine catholique elle-même. La controverse entre les théologiens catholiques concerne la réalité de la grâce, l’entité dans laquelle se vérifie la notion expliquée jusqu’ici. Ainsi les auteurs de l’école bafiésienne défendent l’existence d’une grâce véritablement suffisante quoique inefficace, et la disent réalisée dans les motions divines internes qui se terminent aux actes indélibérés ; c’est ainsi que l’homme a le pouvoir d’agir salutaircment ; c’est la grâce suffisante ; mais pour que l’homme produise de fait l’acte libre du consentement, il faut une nouvelle grâce actuelle, qui prédétermine physiquement l’acte délibéré ; cette seconde motion est la grâce efficace. Cf. Billuart, De gratia, diss. V, a. 2, p. 130. De ce que nous venons de dire il résulte que, pour toutes les écoles catholiques, la grâce actuelle excitante exerce toujours une causalité objective ou intentionnelle ; en effet, les illustrations intellectuelles, qui sont produites physiquement par Dieu dans l’intelligence, exercent une influence en tant qu’elles présentent dans la connaissance le bien ou le mal et qu’elles sont connaturellement accompagnées de l’affection correspondante dans la volonté, amour ou aversion ; c’est ainsi que ces actes intellectuels meuvent objectivement ou intentionnellement la volonté. Cf. S. Thomas, Sam. theol., P II 1 ", q. ix, a. 1 ; Billuart, op. cit., diss. V, a. 5, p. 141. L’all’cction elle-même, produite aussi par Dieu, et constituant un acte indélibéré, ne détermine pas physiquement le consentement ; elle le rend possible et y incline ; mais cette inclination vis-à-vis de la détermination de l’acte libre, est formellement une influence, qui appartient à la motion objective. Cette assertion est commune à l’école moliniste, à l’école bafiésienne et à l’école augustinienne, au moins à celle qui professe l’augustianisme modéré. Ce que nous venons de dire au sujet de la motion objective ne tranche pas une autre question, celle-ci : la grâce prévenante exerce-t-elle sur l’acte du consentement une influence d’ordre purement objectif

ou moral, comme est l’influence de persuasion qu’on exerce sur la volonté d’un homme par les conseils, les exhortations, ou bien exerce-t-elle aussi une influence physique. Les auteurs, même dans l’école moliniste, ne semblent pas d’accord pour répondre à cette question. Voir sur ce point quelques indications dans Schifiini, De gratia divina, n. 154 ; une note du P. Guillermin, dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 68. On peut admettre que la grâce excitante exerce une influence physique sur le libre arbitre sans en conclure que cette influence entraîne, par son efficacité intrinsèque, le consentement, l’acte bon délibéré.

IV. Efficacité.

r. AVANT i CONTROVERSE m vi> siècle. — Les théologiens ne semblent pas avoir fait, avant cette époque, de l’efficacité de la grâce actuelle un objet spécial de leurs recherches. Nous indiquerons brièvement ce que l’on peut trouver sur ce sujet dans saint Augustin et dans saint Thomas.

D’après saint Augustin.

Dans l’exposé doctrinal

concernant la grâce, on peut, distinguer chez saint Augustin trois périodes : d’abord celle qui va jusqu’à l’année 396, pendant laquelle il s’était représenté la grâce comme un salaire que l’homme doit mériter par sa foi, comme une récompense que Dieu octroie à ceux qui s’en sont rendus dignes ; ensuite vers la fin de l’année 396 ou au plus tard au cours de l’année 397, par la méditation des paroles : Quis enim te disccrnil ? I Cor., iv, 7, il reconnaît qu’il a fait fausse route, et il comprend que ce n’est pas par la foi que l’homme mérite la miséricorde divine, mais que c’est la miséricorde divine qui donne la foi, en d’autres termes, que tout acte salutaire, tout commencement du salut, dépend de la grâce divine, d’un don accordé gratuitement par Dieu ; enfin la troisième période commence en 416-417 avec le commentaire d’Augustin sur l’Évangile de saint Jean ; il y expose la gratuité absolue de la grâce, en connexion avec la prédestination ; celle-ci est absolument certaine en Dieu et indépendante de la présence des œuvres faites par les hommes en dehors de la grâce ; d’où il résulte que le salut de tout homme est un effet entièrement produit par la grâce divine, et celle-ci le réalise indeclinabiliter cl insuperabiliter. De correplionc et gratia, c. xii, n. 38 ; cf. c. xiv, n. 43, P. L., t. xliv, col. 839, 942 ; cf. Opus imperfection contra Julianum, 1. III, c. clxvi, P. L., t. xlv, col. 1217. Nous donnons ce résumé d’après Weinand, Die Gotlesidee der Grundzug der Wellansehauung des ni. Augustinus, Padcrborn, 1910, c. ix, p. 115 sq.

Tels sont les principes généraux d’Augustin sur l’efficacité de la grâce considérée en général. Il enseigne donc que le salut de l’homme est un effet inéluctable de la prédestination divine, mais l’activité divine sur l’âme ou la grâce infuse dans l’âme ne détruit pas la liberté humaine : la coopération de l’homme reste libre. Ce point a été démontré à l’art. Augustin, t. i, col. 2387 sq. Nous n’avons pas à exposer ici la notion augustinienne de la prédestination : sur ce sujet on lira l’art. Augustin, t. i, col. 2390 sq., mais aussi les observations et réserves exposées par M. Van Crombrugghe et par le P. Jacquin dans la Revue d’histoire ecclésiastique (Louvain), t. iv (1903), p. 534 ; t v (1904), p. 732 sq. Sur la notion augustinienne de la volonté salvitique en Dieu, voir les mêmes auteurs, loc. cit., t. v, p. 498 sq., 740 sq. La question qui nous occupe est celle-ci : saint Augustin a-t-il expliqué le mode de causalité exercée par la grâce actuelle excitante sur le consentement libre ? Saint Augustin enseigne qu’il y a une action de la grâce sur la volonté, que néanmoins celle-ci demeure fibre, et que cependant c’est à l’influence de la grâce divine qu’il faut attribuer le fait du consentement libre de l’homme.

Mais cette influence est elle physique ou consiste-