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GRACE


meté semble s’obtenir quand on a un témoignage constant et universel concernant un fait, par exemple, l’existence de Rome. Le degré infime semble s’obtenir quand on a le témoignage de plusieurs ou d’un grand nombre de témoins occulaires, dignes de foi, surtout quand il n’y a aucune raison probable de soupçonner le mensonge, ou bien quand la qualité des personnes qui témoignent augmente leur crédit. Entre ces deux degrés, qui viennent d'être décrits, il y a place pour plusieurs degrés intermédiaires, n. 1-2, p. 546 sq. Après cela Suarez établit que l’homme peut avoir une certitude morale de son état de grâce, bien qu’elle ne se trouve pas ordinairement chez tous les justes, n. 3-8, p. 547549. Quant au degré de fermeté, n. 9, qu’il faut reconnaître à cette certitude, il semble être un intermédiaire entre le degré suprême et l’infime degré, dont il a été parlé ci-dessus ; notamment il peut exister sans aucune crainte actuelle de se tromper, sans aucun doute actuel, n. 10 ; cependant il ne semble pas pouvoir atteindre le degré de certitude que peut avoir de l’existence de Rome celui qui n’y a jamais été. Soto cependant admettait, pour l'état de grâce, ce degré de certitude, n. Il sq. Parmi les théologiens récents, les uns défendent la thèse de Suarez. Hurter, Compendium théologie dogmatiese, t. iii, n. 217, admet la certitude conjecturale et morale, plus ou moins ferme, mais qui exclut toute crainte actuelle et tout doute prudent. La même assertion est défendue, semble-t-il, par le P. Pesch, Prœleclioncs dogmatiese, t.v, n. 369 ; Tabarelli, De gratîa, Rome, 1908, p." 349 ; Pohle, Lerbueh (1er Dogmatik, t. ii, p. 589 ; je l’ai défendue dans mon traité : De gratia divina, Rruges, 1910, n. 199 sq. Cependant, Schifiini, De gratia divina, n. 319, et le cardinal Billot, De gratia Christi, p. 200 sq., n’admettent pas que l’homme puisse avoir, sans révélation spéciale, une certitude quelconque proprement dite, concernant son état de grâce ; ils n’appellent certitude que l’adhésion d’une connaissance qui, de sa nature, ne peut jamais être sujette à l’erreur, qui exclut donc tout doute logiquement possible. Il nous faut mentionner encore l’opinion exposée par M. Gaucher, dans son opuscule : Le signe infaillible de l'état de grâce, le Perreux (Seine), 1907. L’opinion de l’auteur peut se résumer ainsi : a) tout acte surnaturel de charité parfait implique la justification : b) or, dans l’ordre providentiel actuel, tout acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout est un acte surnaturel de charité parfaite, tout au moins chez celui qui a la connaissance et la certitude de la révélation chrétienne. c) Mais il est possible au chrétien adulte d’avoir la certitude absolue d’avoir émis un acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout, d) Donc il est possible au chrétien adulte d’avoir la certitude absolue, théologique, d'être actuellement en état de grâce. Cette thèse, quant à son fond, n’est pas condamnée par la définition du concile de Trente, mais appelle cependant, à notre avis, des réserves. En effet, d’abord l’expression signe infaillible est inexacte : il s’agit du jugement que l’homme adulte doit porter sur son propre acte de volonté et ce jugement peut être fréquemment erroné, parce que les hommes se font facilement illusion sur leurs propres dispositions ; ensuite des théologiens éminents sont d’avis que l’homme ne peut guère savoir avec une certitude absolue s’il a fait un acte d’amour parfait, par lequel il aime Dieu apprêt ialive par-dessus tout. Dans ces conditions, on ne peut présenter l’acte d’amour comme un signe infaillible de l'état de grâce ; considéré objectivement, cet acte n’est pas un élément de connaissance suffisamment significatif ; de plus, la conclusion qu’on en tire suppose plusieurs assertions, concernant la sumaturalité, le degré requis pour qu’il y ait acte d’amour parfait, etc., assertions sur lesquelles existent des controverses, qui empêchent de présenter comme infaillible le moyen de connaître l'état de grâce.

Qnant au fond de la thèse : a) la première proposition : « tout acte surnaturel de charité parfaite implique la justification » n’est pas, à proprement parler, définie, mais elle est certaine et la conviction des Pères du concile de Trente sur cet objet est exprimée dans un considérant du décret concernant le sacrement de pénitence. Sess. xiv, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 898 ; voir Charité, t. ii, col. 2236 sq. b) La seconde proposition est celle-ci : dans l’ordre actuel de la providence tout acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout est un acte surnaturel de charité parfaite, tout au moins chez celui qui a la connaissance et la certitude de la révélation chrétienne (je suppose que l’auteur veut dire : chez celui qui a la foi). Cette assertion n’est pas théologiquement certaine, c) La proposition suivante : « il est possible au chrétien adulte d’avoir la certitude absolue d’avoir émis un acte d’amour de Dieu pour lui-même et par-dessus tout » est controversée ; elle est niée ou mise en doute par des théologiens de grande valeur et elle est connexe avec d’autres questions controversées, notamment avec la question de savoir ce qui est réellement requis pour qu’il y ait acte d’amour parfait à l'égard de Dieu, comme avec la question de savoir si un acte d’amour parfait peut s’accomplir par les seules forces de la nature. Si donc l’on tient compte de l’enseignement théologique, tel qu’il existe aujourd’hui, on ne peut pas admettre cette conclusion : l’acte do charité est un moyen pour le fidèle adulte d’avoir la certitude absolue, théologique, d'être actuellement en état de grâce.

Après cet exposé de la doctrine défendue par les théologiens, nous exprimons brièvement notre conclusion.

1. L’homme adulte, sans révélation spéciale, ne peu ! pas croire de foi divine et, par conséquent, ne peut pas connaître avec la certitude qui est propre à cette foi, c’est-à-dire infailliblement, qu’il est en état de grâce. Cette proposition est la doctrine même qui fut établie au concile de Trente ou, du moins, en résulte immédiatement. Sur l’infaillibilité de l’acte de foi, voir Foi. col. 369 sq., 387 sq. Ici il convient de remarquer la différence entre l’objet qui nous occupe et un autre objet qui peut être connu de foi divine. Les théologiens enseignent que l’homme qui a baptisé un enfant peut croire de foi divine, et avec une certitude absolue, que l’enfant baptisé est en état de grâce. Voici pourquoi : il est révélé que si quelqu’un reçoit validement le baptême et ne met aucun obstacle à son effet, il est justifié ; or, l’enfant ne peut pas mettre obstacle à l’effet de baptême ; celui qui baptise, d’autre part, peut connaître, avec certitude absolue, qu’il a eu l’intention requise au baptême valide, qu’il a bien prononcé les paroles de la forme sacramentelle et qu’il a versé de l’eau véritable sur le corps de l’enfant ; par conséquent, dans le cas indiqué, celui qui a baptisé peut savoir de certitude absolue que la condition exprimée dans la proposition révélée est vérifiée et dès lors il peut croire de foi divine que la conséquence est réalisée aussi : si cet enfant est validement baptisé, il est justifié ; or cet enfant est validement baptisé par moi ; donc il est justifié. Remarquons bien que la mineure est connue par la conscience psychologique de celui qui a baptisé ; en effet, son intention, la prononciation des paroles, l’acte de verser de l’eau sont objet immédiat de la conscience psychologique. C’est pourquoi l’homme peut en avoir une certitude absolue. Je dis que l’homme peut en avoir une certitude absolue, et j’admets qu’il peut aussi ne pas l’avoir. Cette certitude ne s’obtient plus quand il s’agit de l’adulte, comme nous le verrons plus loin : ce qui est requis et suffit à son état de grâce n’est pas l’objet immédiat de sa conscience psychologique.

2. L’adulte ne peut pas avoir une certitude scientifique, au sens propre du mot, de son état de grâce. D’abord, nous excluons cette certitude qui est propre