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GRACE


gratia, 1. VII, c. xviv, Opéra, t. ix, p. 250, dit qu’il n’y a pas de répugnance physique à ce que la grâce soit conservée par Dieu dans une âme qui commet actuellement le péché mortel ; cette assertion est vraie. Mais nous n’admettons pas ce que Suarez dit, c. xx, n. 7, p. 254 : « Malgré l’opposition et la répugnance connaturelle (entre le péché mortel et la grâce), Dieu, de sa puissance absolue, peut passer outre et conserver la grâce dans celui qui a péché (mortellement) sans lui remettre le péché. » Nous sommes d’avis qu’une telle attitude répugne absolument à la sagesse divine et que, par conséquent, il est absolument impossible qu’elle se réalise en Dieu. Cf. Pesch, Præleetiones dogmatieæ, t. v, n. 335 ; Schiffmi, De gratia, n. 178 ; spécialement le cardinal Billot, De gratia Christi, p. 221 sq., où réminent auteur réfute l’opinion de Duns Scot.

3° Beaucoup de théologiens enseignent que, dans une pure créature (homme ou ange), la grâce sanctifiante la rend formellement fils adoptif de Dieu. Voici pourquoi : la grâce sanctifiante rend le sujet où elle réside formellement participant de la nature divine, confère le droit à la vision béatifique et amène d’autres dons qui déjà mettent le sujet en communication avec Dieu, priait est in semelipso. Par là, la créature devient participante du bien qui est propre à Dieu lui-même, et comme elle est, vis-à-vis de Dieu, une personne exlranea, il en résulte que, par la grâce sanctifiante, elle est constituée fils adoptif ; car l’adoption se définit : Persouie extraneæ in filium et hæredem graluita assumptio. D’après la doctrine que nous exposons, l’adoption n’emporte aucune réalité distincte de la grâce sanctifiante et n’est pas autre chose que la dignité qui, dans une pure créature, résulte immédiatement et nécessairement de la grâec sanctifiante. Nous adhérons à cette doctrine, mais nous croyons plus exact de dire que l’adoption surnaturelle est, dans la créature, la résultante immédiate et nécessaire de la grâce sanctifiante : d’abord parce que l’effet formel de la grâce sanctifiante est, à proprement parler, la déiformilé. Cf. card. Billot, De Vcrbo incarnalo, 5e édit., Prato, 1912, thés, xvi, ad l"" 1, p. 201. Ensuite, dans l’humanité du Christ, où il y a la grâce sanctifiante, il n’y a pas l’adoption ; la raison en est que, pour qu’il y ait adoption, il faut qu’il y ait une personne étrangère. Or l’humanité du Christ n’est pas une personne, elle n’est et ne peut pas être fils ; par conséquent elle ne peut pas être un fils adopté. Il n’y a en Jésus-Christ qu’une seule personne et celle-ci est le fils naturel de Dieu, elle n’est donc pas une personne étrangère. « Ce défaut d’extranéiié exclurait également l’adoption, si le Père ou le Saint-Esprit s’étaient incarnés : car ils n’ont pas le titre de Fils naturel, ils ne sont pas des personnes étrangères à la Trinité. » Portalié, art. Adoptianisme. t. i, col. 420 ; cf. col. 411.

Mais Lessius, qui a été suivi par Petau et par quelques théologiens, peu nombreux, défend une autre opinion : il soutient que la grâce sanctifiante rend l’homme formellement juste, mais ne le constitue pas fils adoptif de Dieu ; cette dernière dignité est constituée par la présence du Saint-Esprit dans l’âme sanctifiée. Cette opinion a été exposée et critiquée à l’art. Adoption surnaturelle, t. i, col. 428 sq. 434 sq. Bien que nous admettions que la notion de fils adoptif de Dieu est réalisée par la grâce sanctifiante infuse dans l’homme, nous admettons aussi que la présence du Saint-Esprit est inséparable de la grâce sanctifiante créée et que la participation Il la nature divine, telle qu’elle existe maintenant, comprend deux éléments que l’on peut distinguer, à savoir, la grâce créée et la grâce incréée. L’on peut dire aussi que la grâce créée est une disposition par rapport à la grâce incréée. Cf. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cyril von Alexandrien, p. 221 sq.

4° Ceci nous amène à un autre point de doctrine : V inliabilalion ou la présence de Dieu dans l’âme du

juste. Il est de foi que Dieu est présent d’une façon spéciale dans l’âme du juste ; cette vérité est énoncée plus d’une fois dans l’Écriture sainte, notamment Joa., xiv, 23 ; I Cor., iii, 16 ; vi, 10 ; Boni., viii, 9-11. Les Pères aussi l’ont fréquemment exposée : citons, à titre d’exemple, S. Athanase, Epist, i, ad Serapionem, n. 26, P. G., t. xxvi, col. 586 ; S. Basile, De Spiritu Sanclo, c. ix, n. 23 ; c. xxvi, n. 61, P. G., t. xxxii, col. 109, 180 sq. ; S. Cyrille d’Alexandrie, De sancta et consubsiantiali Trinitate, dial. vii, P. G., t. lxxv, col. 1089 ; cf. Weigl, op. cit., p. 184 sq. ; S. Augustin, Epis/.. clxxxvii, n. 26, P. L., t. xxxiii, col. 841.

Il n’y a aucun doute sur le fait de l’inhabitation du Saint-Esprit dans l’âme du juste, aucun doute non plus quant à l’inhabitation des trois personnes de la très sainte Trinité, mais il existe une controverse entre les théologiens sur la manière d’expliquer la présence divine qui est propre à l’homme justifié.

Petau, Theologia dogmalica, t. ii, De Trinitate, 1. VIII, c. vi, Anvers, 1700, p. 471 sq., enseigne que l’union de Dieu avec le juste est propre et spéciale au Saint-Esprit en ce sens que le juste est uni immédiatement à la troisième personne seule cl, par elle, médialement, aux deux autres. Voici ses paroles : lllam eum juslnrum animis conjunclionem Spiritus Sancti, sive statum adoptiviun filiorum, communi quidem personis tribus oonve-t nire divinilati : sed qualenus in hypostasi, sive persona incsl Spiritus Sancti : adeo ut cerla qusedam ratio sit qua se Spiritus Sancti persona sanctorum juslorumque mentibus applicat, qu.Be civleris personis eodem modo non competit. Op. cit., p. 473. Sur l’opinion de Petau, voir le judicieux article du P. Mahé, dans la Revue d’histoire ecclésiastique (Louvain), t. x (1909), p. 470-477. Le même auteur expose ensuite la doctrine de saint Cyrille d’Alexandrie et fait voir qu’elle ne coïncide pas avec l’opinion de Petau : saint Cyrille n’enseigne pas que la personne du Saint-Esprit est elle-même spécialement appliquée ou unie à l’âme des justes, de façon à ce que cette union soit propre à la troisième personne de la Trinité ; mais il enseigne que l’œuvre de la sanctification, réalisée dans l’âme par les trois personnes, et lu présence des trois personnes en l’âme, convient à un titre spécial à la personne du Saint-Esprit : ce litre est en réalité ce qui caractérise le Saint-Esprit en vertu même du mode dont il procède du Père et du Fils. Bien qu’il ne faille pas « chercher chez saint Cyrille la distinction entre propriétés et appropriation, » op. cit., p. 480, il nous semble que la doctrine de saint Cyrille est objectivement la même que celle des théologiens qui enseignent que la présence divine dans l’âme du juste est attribuée au Saint-Esprit par appropriation. mais saint Cyrille fait mieux ressortir le fondement ontologique de cette appropriation, c’est-à-dire le caractère personnel du Saint-Esprit : c’est précisément la raison pour laquelle on peut et on doit attribuer au Saint-Esprit l’œuvre de notre sanctification. La connexion objective entre la personnalité du Saint-Esprit et l’œuvre de notre sanctification semble être ce qui distingue la doctrine de saint Cyrille de l’opinion de Petau, d’une part, et de l’opinion des autres théologiens, d’autre part.

Chez les scolastiques, comme le fait observer Weigl, op. cit., p. 126, le rôle de la grâce incréée est au second plan, et l’attention est surtout portée sur la filiation divine conférée par la grâce créée elle-même. Le sentiment de saint Thomas concernant la présence divine en l’âme juste se résume en ceci : dans l’ordre naturel, Dieu est présent en toute créature, Sum. theol., I q. viii, a. 1, 3 ; Dieu est présent dans les créatures raisonnables d’une façon spéciale, c’est-à-dire en tant qu’il est l’objet de leur connaissance et de leur amour, a. 3. Dans l’ordre surnaturel, il y a d’abord l’infusion de la grâce (grâce sanctifiante et vertus connexes) ; ensuite