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GRACE


nous savons que la foi est distincte de la grâce : il faut néanmoins admettre entre la grâce (qui donne l’être surnaturel) et la foi (qui est le principe immédiat de connaissance surnaturelle) une relation, qui ne peut être que V antériorité de la grâce par rapport à la foi. La grâce est donc (par sa nature) antérieure à la foi et réellement distincte de celle-ci ; la foi est antérieure à la charité ; il est donc impossible que la grâce soit la même réalité que la charité, puisque celle-ci est (par sa nature) postérieure à la foi et que la grâce est, par sa nature, antérieure à la foi.

Corollaires. — 1. Puisque la grâce sanctifiante est réellement distincte de la charité et qu’elle est le principe éloigné de toute l’activité surnaturelle, elle est donc comme une nouvelle nature et elle a son siège propre dans l’essence même de l’âme humaine, tandis que les vertus infuses ont leur siège propre dans les facultés opératives de l’âme. Voir saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ex, a. 4 ; I a, q. c, a. 1, ad 2°", où il enseigne que la grâce sanctifiante est la radix jusiilise originalis ; c’est pourquoi la justice originelle avait primordialement son siège dans l’essence même de l’âme. Cf. I a II®, q. lxxxiii, a. 2, ad 2° m ; De malo, q. iv, a. 4, ad 1°™.

2. La grâce sanctifiante est formellement une participation de la nature divine. Nous avons exposé que la grâce sanctifiante est une qualité surnaturelle, le principe éloigné de l’activité surnaturelle, et une réalité qui se trouve dans l’essence même de l’âme humaine. Pour préciser ultérieurement ce que cette grâce est en elle-même, il faut considérer quelle est sa fonction propre : elle consiste à ordonner l’essence de l’âme à la fin surnaturelle, en d’autres termes, elle rend l’âme radicalement apte à la vision intuitive de Dieu et à l’amour qui en résulte ; par cette vision et cet amour l’âme participe elle-même à l’opération qui est propre à Dieu ; car se connaître et s’aimer en lui-même est pour Dieu l’opération qui lui est propre. Or par nature divine nous entendons formellement ce que nous concevons en Dieu comme le principe radical de l’opération qui est propre à Dieu : la nature est donc le principe radical de l’opération par laquelle Dieu se connaît et s’aime lui-même ; mais puisque l’homme, par la vision béalifique, participe à l’opération cognoscitive qui est propre â Dieu, et par l’amour béatifique à l’opération appétitive qui est propre à Dieu, il en résulte que la grâce sanctifiante, principe radical en l’homme de cette double opération, est formellement une participation de la nature divine. Cf. Terrien, La grâce et la gloire, Paris, 1897, t. i, p. 80 sq., 252 sq. ; card. Billot, De virtutibus in/usis, Rome, 1901, prolog., p. 30 ; Mazzella, De gratia, n. 1000 sq., qui expose aussi, n. 1002, une opinion différente défendue par Ripalda, De ente supernaturali, disp. CXXXII, n. 105. La participation, dont nous venons de parler, est physique, comme les vertus infuses et la vision béatifique sont des réalités physiques ; mais cette participation physique est analogue comme l’est nécessairement toute participation d’une perfection divine. Cf. de Bæts, op. cit., p. 45.

3. D’après ce qui précède, l’on comprend pourquoi la grâce sanctifiante est pour l’homme à l’instar d’une nouvelle nature : ce n’est pas une nature, au sens strict, parce que c’est un accident, mais elle est comme une nouvelle nature parce qu’elle rend l’âme, dans son essence, radicalement apte à l’activité surnaturelle et parce que les vertus infuses sont comme les facultés opératives de la grâce. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I" II 10, q. ex, a. 4, ad 4°™.

4. La grâce sanctifiante, bien qu’elle soit unique dans son espèce, a été considérée notamment sous deux aspects différents, d’après les effets qu’on lui assigne : les anciens scolastiques l’ont distinguée en grâce opérante et grâce coopérante. Quand l’homme justifié produit, par une vertu infuse, une opération surnaturelle,

la grâce sanctifiante en est le principe éloigné et le rend méritoire : à ce titre la grâce sanctifiante est dite coopérante ; quand l’homme n’agit pas, la grâce sanctifiante le rend cependant formellement agréable à Dieu : à ce titre elle est dite opérante. Voir S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXVII, a. 1, q. i, et dub. i, Opéra, l. ii, p. 651, 068 ; S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXVI, q. i, a. 5 ; Sum. theol., P II®, q. exi, a. 2 ; Capréolus, In IV Sent., 1. I, dist. XVII, q. i, concl. 3°, op. cit., t. ii, p. 73 ; Denys le Chartreux, Summa fidei orthodoxie, I. II, a. 119, op. cit., t. xvii, p. 327.

5. Nous avons exposé ce qui concerne l’essence de la grâce sanctifiante et sa surnaturalité ; considérons-la en relation avec la nature, et plus précisément, avec l’essence de l’âme où elle a son siège. L’âme humaine est une forme substantielle immatérielle ; c’est pour cela qu’elle est capable de recevoir en elle cette forme accidentelle, immatérielle, qui est à l’instar d’une nouvelle nature. Cette capacité de l’âme humaine est ce qu’on appelle une puissance obédicnlielle : c’est la simple capacité de recevoir, de la part de Dieu, une forme surnaturelle, une forme à laquelle la nature n’a aucune exigence ni aucune disposition positive. Sur la notion de la puissance obédientielle, voir S. Thomas, De veritate, q. xxiv, a. 3, ad 3° n ; De virtutibus in communi, q. i, a. 10, ad 13"" ; Sum. theol., IIP, q. xi, a. l ; Cajétan, Com. in D iii, q. i, a. 1 (n. 9) ; Sylvestre le Ferrarais, Com. in Sum. cont. gent., 1. IV, c. lxxxi, Lyon, 1586, p. 753.

La grâce sanctifiante, par conséquent, ne répond pas à un besoin d’expansion de la nature, ne complète pas celle-ci dans son ordre, mais elle l’élève intrinsèquement à un ordre de perfection supérieure, elle l’élève à un ordre d’activité qui est absolument au-dessus de la sphère d’activité de la créature, elle rend l’âme participante à la nature divine et positivement disposée ou ordonnée à la vision béatifique. De tout cela il résulte que la grâce sanctifiante c/i/re dans l’homme, bien qu’elle ne corresponde pas à un besoin de la nature humaine (ce qui se conçoit clairement quand on pense à l’infusion de la grâce chez les enfants, par le baptême), que la grâce sanctifiante y est un principe premier d’activité vitale et surnaturelle ; ce principe est complété, dans son ordre, par les vertus infuses, qui ont leur siège dans les facultés de l’âme et qui sont les principes immédiats des actes surnaturels. Il en résulte enfin que la grâce sanctifiante est, en même temps, une forme absolument surnaturelle et une vraie perfection de l’homme. Voir S. Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10, et le commentaire de Mgr Waffelært, Méditations théologiques, Bruges, 1910, p. 508, note 1. C’est dans la capacité de. la nature à recevoir de Dieu le surnaturel que se trouve le point d’insertion du surnaturel, c’est par là qu’il pénètre dans la vie de la créature. Cf. de Tonquédec, L’immanence, Paris, 1913, p. 169 ; Collationes Brugenses, t. xix (1914), p. 103 sq.

III. Effets.

Nous considérons ici l’effet formel

de la grâce en l’âme et ce qui, sans être, d’après certains théologiens, l’effet formel, en est cependant une conséquence nécessaire.

1° L’effet formel de la grâce en l’âme est la déi/ormité, c’est-à-dire que l’âme, en recevant la grâce sanctifiante, est transformée et acquiert une ressemblance toute spéciale avec Dieu, précisément parce qu’elle est rendue participante de la nature divine.

2° L’effet formel de la grâce sanctifiante est aussi l’ablation ou rémission du péché mortel, comme le dit saint Thomas : formaliter enim gratia inhærendo expellit culpam. De veritate, q. xxviii, a. 7, ad 4° m. Il n’est pas possible que l’homme soit, en même temps, parla g.’àce (et la charité qui lui est indissolublement unie), positivement ordonné, orienté vers Dieu, et, par le péché mortel, positivement détourné de Dieu. Suarez, De