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GRACE

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ont la foi, marrie à ceux qui sont obstinés dans le mal. Dieu accorde le secours suffisant pour qu’ils puissent se convertir.

1. La première partie de la proposition est considérée comme étant de foi ; la seconde, celle qui concerne les obstinés, comme théologiquement certaine. Cependant, remarque M. Van Noort, De gralia, Amsterdam, 1903, n. 90, à considérer les déclarations des conciles et la prédication ordinaire et universelle, telle qu’elle se fait de nos jours, on ne voit pas comment la seconde partie de la thèse ne soit pas de foi aussi bien que la première.

La démonstration de la thèse a son point de départ dans les assertions scripturaires concernant la miséricorde divine à l’égard des pécheurs. Celle-ci est décrite en des termes qui en font ressortir l’étendue, qui nous montrent Dieu voulant la conversion des pécheurs, même des plus misérables ; il faut donc admettre que I)ieu donne les moyens (c’est-à-dire les grâces actuelles) requis à la conversion. « Je suis vivant, dit Jéhovah ; je ne prends pas plaisir à la mort du pécheur, mais à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. » Ezcch., xxxiii, 11. La sollicitude spéciale du Christ pour les pécheurs est attestée par le fait qu’il accepte de prendre part à leur repas et par la réponse qu’il fait à ceux qui s’en étonnent : « Je ne suis pas venu appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs. » Luc, v, 32. Saint Paul exalte la longanimité de Dieu qui invite les pécheurs à la pénitence. Rom., ii, 4. Saint Pierre parle de même et assure que Dieu ne veut pas qu’aucun pécheur périsse, mais veut que tous viennent à la pénitence. II Pet., ni, 9.

Quant à la doctrine des Pères sur ce point, voir les indications de Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, 1. II, c. v ; de Pesch, Præleclioncs dogmaticæ, t. v, n. 224, 292, 297 ; de Rouët de Journel, Encluridion palrislicum, Fribourg-en-Brisgau, 1911, n. 346 de l’Index theologicus.

Suarez, De gralia, 1. IV, c. x, n. 1, Opéra omnia, t. viii, p. 305, invoque, à l’appui de la thèse dont il s’agit, deux déclarations du concile de Trente ; mais il semble qu’elles ne constituent pas un argument valide. En effet, l’une, sess. vi, c. xiv et can. 29, Denzinger-Bannwart, n. 807, 839, affirme que ceux qui, par leur péché, ont perdu la grâce de la justification peuvent récupérer celle-ci sous une excitation divine au moyen du sacrement de la pénitence. L’autre déclaration, sess. xiv, c. i, Denzinger-Bannwart, n. 894, établit la nécessité du sacrement de pénitence pour obtenir le pardon des péchés commis après le baptême. Certains théologiens proposent l’argument suivant : Tout pécheur a l’obligation de se convertir ; or, s’il ne recevait aucune grâce, il ne pourrait avoir cette obligation ; donc il n’est pas privé de toute grâce. Je concède la majeure ; mais je distingue la mineure ; s’il ne recevait aucune grâce, parce que lui-même met obstacle à la réception de cette grâce, je nie la mineure ; s’il ne recevait aucune grâce alors même qu’il n’y met pas obstacle, je concède. Je distingue de la même façon la conclusion. Voici comment se justifie la distinction : un homme qui a la foi, en état de péché mortel, peut naturellement, c’est-à-dire sans une excitation interne et surnaturelle, penser à l’obligation qu’il a de se convertir ; il peut, par exemple, rencontrer quelqu’un qui lui rappelle l’obligation de faire la confession pascale et il peut immédiatement refuser de satisfaire à ce devoir ; cet homme n’en reste pas moins obligé à se convertir et il a pensé à cette obligation, sans qu’une grâce surnaturelle soit intervenue. Cet homme cependant a eu l’occasion de faire un acte bon, au moins naturel ; s’il l’avait fait, il n’aurait pas mis obstacle à la grâce interne. L’homme peut donc transgresser la loi de Dieu et être formellement coupable sans qu’une

grâce surnaturelle ne l’ait auparavant excité à satisfaire à la loi ; par le péché, et par la répétition des péchés, l’homme met un obstacle à la réception de la grâce. Dans ces lignes nous avons apprécié l’argument proposé et montré qu’il ne répugne pas que, dans un cas particulier, l’homme soit oblige de se convertir, même hic et nunc, et que néanmoins il ne soit pas excité surnaturellement à cet acte, parce qu’il a lui-même mis obstacle, par un nouveau péché, à l’effusion de la grâce divine. Nous ne pouvons pas déterminer les cas particuliers où Dieu concède des grâces actuelles, mais, d’une manière générale, nous pouvons dire qu’il le fait surtout lorsque l’homme doit observer un précepte surnaturel et principalement au moment de la mort. Y a-t-il des hommes qui, après avoir passé un long temps dans le désordre moral, après avoir multiplié leurs péchés et résisté fréquemment aux grâces divines, n’en reçoivent plus ? Nous ne saurions donner à cette question une réponse péremptoire. Dieu peut permettre qu’un homme, dans l’acte même du péché mortel, perde l’usage de la raison, ou meure. II semble que Dieu pourrait aussi permettre qu’un homme, tout en conservant l’usage de la raison, ne reçoive plus de grâces actuelles internes ; notre thèse ne dit pas plus que ceci : à tous les pécheurs Dieu donne les grâces suffisantes à leur conversion. Quoi qu’il en soit de la question posée, il faut éviter certaines assertions, qu’on entend parfois, comme celle-ci : il y a pour chaque individu un nombre déterminé de péchés au delà duquel Dieu n’accordera plus de grâces. Cf. Tanquerey, Synopsis theologise dogmaticæ, 2e édit., Tournai, 1895, De gralia, n. 88.

2. Il n’y a aucun nombre de péchés, aucun degré de malice qui, considéré objectivement, pose une limite à l’exercice de la miséricorde divine ; c’est pourquoi les théologiens enseignent que Dieu accorde aux pécheurs, même obstinés, les grâces suffisantes à leur conversion. L’obstination consiste dans une certaine fermeté de la volonté dans son adhésion au mal moral. L’obstination est complète, quand il n’y a plus possibilité de conversion ; c’est le cas pour les démons et les hommes damnés. L’obstination est incomplète quand il y a possibilité, mais grande difficulté pour la volonté à changer son orientation. Sur cet état, voir S. Bernard, De considération ^ 1. I, c. ii, n. 3, P. L., t. clxxxii, col. 738 ; S.Thomas, De verilale, q. xxiv, a. Il ; Sum. theol., I a IL, q. lxxix, a. 3 ; Lessius, De divinis perfectionibus, 1. XIII, c. xiv, n. 31 ; Billot, De personali et originali peccato, Prato, 1910, p. 90 sq. L’obstination incomplète, celle à laquelle l’homme peut être sujet sur cette terre, a pour cause efficiente l’homme lui-même qui, par la répétition des péchés, engendre en lui l’habitude perverse, d’où dérivent l’inclination intense ainsi que la promptitude à commettre de nouveaux actes mauvais et la difficulté à renoncer aux habitudes invétérées ; l’homme devient aussi cause méritoire (causa meriloria), parce que, par l’abus qu’il fait des grâces précédentes, il s’attire, comme peine, la diminution de grâces ultérieures. Cf. Van Noort, op. cit., n. 90. Il pourrait se faire aussi qu’il résulte une certaine obstination d’un seul péché commis avec une malice extraordinaire.

Nous disons que Dieu accorde des grâces suffisantes même aux pécheurs obstinés, a) parce qu’il n’est aucun péché, ni aucun nombre de péchés dont l’homme ne puisse obtenir le pardon, cf. S. Thomas, Sum. theol., D II æ, q. lxxxvi, a. 1 ; b) parce que la miséricorde divine est décrite dans l’Écriture et par les Pères comme s’étendant jusqu’aux extrêmes misères ; c) parce que Dieu donne aux pécheurs, même obstinés, tant d’occasions de conversion, tant de secours externes : nous ne pouvons douter que Dieu n’accorde en même temps les excitations internes suffisantes à la conversion.

3° Tous les infidèles négatifs reçoivent de Dieu le