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GRACE

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col. 110 sq. L ; i raison de cette infirmité morale est bien expliquée par saint Thomas. Sum, theol., P IF’, q. cix, a. 8 : < L’homme qustifié) ne peut pas éviter tout péché véniel à cause de la corruption de l’appétit inférieur de la sensualité ; l’homme peut bien (physiquement ) par sa raison réprimer chacun des mouvements (désordonnés) ; c’est pourquoi ils deviennent (si on ne les réprime pas) volontaires et sont péché ; mais il ne peut pas (moralement) les réprimer tous : quand il s’efforce de résister à l’un d’eux, il arrive qu’un autre surgisse, et la raison ne peut pas toujours veiller de façon à les réprimer tous. » Cf. S. Thomas, De vcrilalc, q. xxiv, a. 12.

Saint Thomas examine encore une autre question concernant la nécessité de la grâce : est-elle nécessaire pour que l’homme puisse se relever de l’état de péché ? Il répond qu’à cet effet sont requises et la grâce actuelle et la grâce habituelle : la grâce actuelle pour mouvoir la volonté à se soumettre à Dieu ; la grâce habituelle pour rendre à l’âme la splendeur surnaturelle qu’elle a perdue par le péché. Sum. Iheol., F IF’, q. cix, a. 7. Déjà le IIe concile d’Orange avait exprimé la nécessité de la grâce pour la délivrance du péché : « Un malheureux ne peut être délivré de sa misère que par la miséricorde divine qui le prévient. — Si la nature humaine ne peut sans la grâce conserver le salut qu’elle a reçu, elle peut encore bien moins le recouvrer si elle l’a perdu. » Can. 14, 19, Denzingcr-Bannwart, n. 187, 192.

IV. Distribution de la grâce.

Ce titre nous amène à parler d’un des plus grands mystères du traité de la grâce. En effet, remarque le P. Hurter, op. cit., n. 73, si l’on se demande pourquoi Dieu a distribué moins libéralement ses grâces avant l’avènement du Christ qu’après celui-ci, pourquoi maintenant il l’accorde avec parcimonie à tant de peuples plongés jusqu’à ce jour dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, pourquoi tel homme est appelé par Dieu, efficacement, de façon à ce qu’il réponde à sa vocation, et tel autre ne l’est pas de cette façon, alors qu’il eût été possible à Dieu d’obtenir cet effet ; pourquoi de deux hommes, coupables des mêmes crimes, l’un en vient à se repentir et l’autre reste endurci dans le mal, on ne peut donner d’autre réponse que celle de saint Paul : « O profondeur inépuisable et de la sagesse et de la puissance de Dieu 1 Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles. » Rom., xi, 33. Nous ne chercherons donc pas à connaître le pourquoi de la distribution inégale des bienfaits divins, nous nous contenterons de la persuasion que toute l’œuvre de Dieu est réglée par son infinie sagesse et sainteté, que, de sa part, il n’y a aucun manque d’équité, que sa bénignité et miséricorde sont infinies.

Mais cette conviction n’empêche pas d’examiner s’il y a des règles générales d’après lesquelles Dieu accorde de fait ses dons salutaires. Nous passerons successivement en revue différentes classes de personnes : les justes, ceux qui sont déjà en état de grâce ; les pécheurs, ceux qui, par leur faute personnelle, ont perdu l’état de grâce ; les infidèles, notamment ceux à qui la révélation chrétienne semble n’être pas parvenue. Nous ne parlerons pas des enfants et de ceux qui ne sont jamais parvenus à l’usage de la raison : ceux-ci ne peuvent et c sauvés que par le baptême, voir Baptême, t. ii, col. 192 sq. ; la question de savoir comment à leur égard se réalise la volonté salvifique de Dieu doit être exposée à l’art. Prédestination.

1° Tous les justes reçoivent les ejrûccs suffisantes pour qu’ils puissent observer tous les commandements, l>ar conséquent persévérer dans la justification et se. sauver. - — Cette assertion est un point de foi, comme nous le verrons dans les documents que nous citerons. Elle est contenue d’abord dans l’enseignement de

Jésus : « Car mon joug est doux et mon fardeau léger. » Matth., xi, 30. « Le joug est une image rabbinique qui exprime la direction ou la discipline. » Rose, Évangile selon saint Matthieu, Paris, 1906, p. 91. Le Christ parle donc ici de l’ensemble de ses préceptes que ses disciples doivent mettre en pratique : la réalisation de cette perfection est à leur portée et n’est pas une discipline insupportable comme était celle des Pharisiens. Mais, comme nous savons, d’autre part, que l’homme, même justifié, a besoin de grâces actuelles pour observer les commandements divins, nous concluons de la parole de Jésus que tous les justes auront ces grâces, de telle sorte que le fardeau imposé par le Christ leur sera réellement léger. C’est dans le même sens qu’il faut entendre les paroles de saint Jean : « Car c’est aimer Dieu que de garder ses commandements. Et ses commandements ne sont pas pénibles, parce que tout ce qui est né de Dieu remporte la victoire sur le monde, et la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi. » I Joa., v, 3, 4. C’est par la foi que l’homme devient fils de Dieu, qu’il reçoit la grâce sanctifiante et a droit aux grâces actuelles au moyen desquelles il peut vaincre les assauts de l’esprit mondain ; c’est grâce à cette force que les commandements divins ne sont pas pénibles pour celui qui est né de Dieu, c’est-à-dire justifié.

Saint Paul enseigne que les justes, comme tels, sont dans la condition voulue pour être sauvés, que par conséquent rien ne leur manque pour atteindre ce but. Rom., v, 8-10 ; vin. Spécialement il leur promet le secours divin requis pour résister aux tentations. I Cor., x, 13.

Saint Augustin inculque cette assertion : que Dieu n’abandonne pas le juste si celui-ci ne se sépare pas de lui, que Dieu accorde à l’homme tout ce qu’il lui faut pour persévérer. Enarr. in ps. xxxix, n. 27, P. L., t. xxxvi, col. 450 sq. ; De natura et gratia, n. 29, P. L., t. xliv, col. 261.

Le IIe concile d’Orange a porté cette définition : « D’après la foi catholique nous croyons qu’après avoir reçu, parle baptême, la grâce, tous les baptisés, par le secours et la coopération du Christ, peuvent et doivent, s’ils veulent fidèlement coopérer, accomplir tout ce qui est requis au salut de leur âme. » Denzinger-Bannwart, n. 200. Le concile de Trente définit aussi que l’observation des commandements n’est pas impossible à l’homme justifié. Sess. vi, c. xi, Denzinger-Bannwart, n. 804, et can. 18, n. 828. Ensuite Innocent X a déclaré hérétique cette proposition de Jansénius : « Certains préceptes de Dieu sont impossibles aux hommes justes, (même) s’ils veulent (les observer) et s’y efforcent, avec les forces qu’ils ont dans cette vie : il leur manque aussi la grâce au moyen de laquelle l’(observation) en deviendrait possible. » Denzinger-Bannwart, n. 1092. Enfin le concile du Vatican affirme de nouveau que les justes, par la grâce de Dieu, peuvent persévérer. Sess. iii, c. iii, Denzinger-Bannwart, n. 1794.

La providence divine dispose donc les événements et distribue ses secours de façon que tous les justes soient en état d’éviter toujours le péché mortel ; ceci est vrai de tous les justes, même de ceux qui se trouveraient en dehors de la vraie Église du Christ ; néanmoins ceux qui sont réellement incorporés à la société instituée par Jésus reçoivent, en général, plus de grâces que les autres, et c’est dans cette société que le Sauveur choisit ces hommes dans lesquels il réalise, avec leur libre coopération, la sainteté héroïque. L’abondance des secours divins internes et leur efficacité se manifestent dans cette sainteté, qui est la note caractéristique de la vraie Église du Christ.

2° Les pécheurs doivent, dans la matière qui nous occupe, être l’objet d’une mention spéciale et les théologiens leur consacrent une thèse qui, communément, s’énonce dans les termes suivants : Aux pécheurs qui