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GRACE

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ordonnées par Dieu à des grâces ultérieures, surnaturelles quoad substanliam. Sur cette notion de la grâce naturelle quoad inodum tantum, voir Suarez, op. cit., 1. I, c. xxiv, n. 20 sq., p. 495 sq. ; Ripalda, op. cit., 1. I, disp. I, sect. iv, p. 5 sq.

Certains théologiens posent la question d’une manière générale : quel secours est requis à l’observation de la lui naturelle ? Les uns répondent : il faut la grâce surnaturelle quoad substanliam, ainsi répond la Theologia Wirceburgensis, Paris, 1853, t. iv, n. 313, p. 315 ; d’autres répondent : il suffît de la grâce surnaturelle quoad modum, ainsi Mazzella, op. cit., n. 384, 390, p. 258, 265.

Mais il est nécessaire de distinguer ici diverses questions. D’abord, la grâce sanctifiante est-elle, de fait, requise à l’observation de toute la loi naturelle, prolongée pendant un temps considérable ? Saint Thomas répond affirmativement, Sum. Iheol., l" IV, q cix, a 8 ; et après lui Cajétan, In /"" 77", q. cix, a. 8 ; Suarez, op. cit., 1. I, c. xxvii, n. 3 sq., p. 511, qui remarque : cette opinion est celle que défendent maintenant le plus grand nombre de théologiens ; Gotti, Theologia scholastico-dogmatica, Venise, 1750, t il, tr. VI, dub. vii, n. 31, p. 313 ; Hugon, op. cit., p. 133 sq. ; Schiffîni, 73c gratia, n. 98 ; Billot, - De gralia, p. 101 sq. Ce sentiment est solidement étayé par les arguments suivants : a. la doctrine de saint Paul, Rom., vii, 24-vin, 2, établit ce qui suit : l’homme sous le régime de la loi mosaïque, comme tel, ne peut pas éviter le péché mortel ; pour être délivré de cet état, l’homme a besoin de la grâce du Christ. La grâce, dont il est ici question, semble bien être celle qui constitue pour l’homme un état différent, l’état de l’homme justifié ; c’est donc la grâce justifiante qui est exigée, b. Les conciles semblent parler dans le même sens : le concile de Carthage de 418 exige la grâce de la justification pour que l’homme puisse accomplir les commandements de Dieu, can. 5, Denzinger, n. 105 ; le concile d’Orange de 529 enseigne que le libre arbitre, affaibli dans le premier homme, ne peut être guéri que par la grâce du baptême, can. 13. Denzinger, n. 180. La raison qu’indiquent ces conciles pour expliquer la nécessité de la grâce est l’infirmité de l’homme déchu, c’est 1 impuissance morale à faire le bien et cette impuissance, comme nous l’avons dit plus haut, s’étend à l’observation continue de la seule loi naturelle, c. Le sentiment est corroboré par un argument de raison théologique : pour que l’homme soit capable d’éviter, pendant longtemps, le péché mortel, il faut que sa volonté soit orientée habituellement et fermement vers le bien moral, qu’elle soit donc animée d’un amour constant pour Dieu, ou bien soutenue par la crainte habituelle des peines dues au péché ou par l’espoir des biens promis par l’exercice de la vertu ; or, dans l’ordre actuel de la providence, c’est la grâce sanctifiante avec les dons connexes qui sont le moyen établi par Dieu pour obtenir cet état que nous avons décrit.

De ce que nous venons d’exposer on conclura que l’observation continue des préceptes divins exige, avec la grâce sanctifiante, la foi et la charité surnaturelle. Cf. Suarez, loc. cit., n. 14-21.

Vasquez, op. cit., disp. CXCVI, c. ni, p. 524, émel une opinion singulière : il n’admet pas la nécessité morale de la grâce sanctifiante en ce sens que l’homme en a besoin pour être délivré de son infirmité à l’égard du bien ; mais, dit-il, si l’homme observe de fait la loi naturelle, avec le secours de la grâce actuelle, il se fera qu’il obtiendra de Dieu l’esprit de pénitence et de componction, et sera ainsi justifié. Donc l’observation durable de la loi naturelle ne se réalisera pas de fait, sans que l’homme ait la grâce sanctifiante. Cette assertion ne résout pas la question qui nous occupe et qui concerne la nécessité morale de la grâce.

Avec la grâce sanctifiante sont requises aussi des grâces actuelles, nous l’exposerons plus loin. C’est au sujet de ces grâces actuelles que Suarez se demande si elles sont toutes surnaturelles quoad subslanliam, ou s’il y en a aussi qui ne sont surnaturelles que quoad modum : il admet l’existence de ces dernières, loc. cit., n. 22-24 ; Gotti est du même avis, loc. cit., n. 38, p. 314. Mais comme nous l’avons dit plus haut, nous estimons bien plus probable l’opinion qui soutient que toutes les grâces actuelles, que Dieu accorde, sont surnaturelles quoad substanliam. Cf. Billot, De gratin, p. 79 sq.

Saint Thomas, De vcrilale, q. xxiv, a. 12 ; Sum. Iheol, P IP’, q. cix, a. 8, examine la question de l’homme qui a déjà commis le péché mortel : il montre qu’il y a pour lui une raison spéciale qui requiert la grâce sanctifiante ; en effet, l’adhésion à une créature, comme à une fin dernière, constitue une disposition positive à des péchés nouveaux ; il faut la grâce sanctifiante avec la charité pour enlever cette inclination perverse, et orienter fixement le cœur de l’homme vers Dieu.

4. Objections.

La doctrine concernant la nécessité morale de la grâce a fait surgir quelques objections dont il nous reste à parler.

La première concerne la liberté. Ce qui est nécessaire n’est pas libre ; or la transgression de la loi naturelle est, d’après ce que nous avons exposé, nécessaire pour l’homme déchu ; donc cette transgression n’est pas libre, et, par conséquent, ne constitue pas un péché formel. La difficulté trouve sa solution dans la distinction entre nécessité physique et nécessité morale : ce qui est nécessaire de nécessité physique n’est pas libre, c’est vrai ; ce qui est nécessaire de nécessité morale, s’il s’agit d’une nécessité morale concernant certains actes en particulier, pourrait n’être pas libre de cette liberté suffisante au péché ; mais ce qui est nécessaire d’une nécessité morale indéterminée, n’affectant aucun acte en particulier, cela peut être parfaitement libre. La nécessité morale de pécher, dont nous avons parlé, est une nécessité indéterminée ; nous disons que l’homme ne peut pas éviter tous les péchés, mais qu’il garde sa liberté physique vis-à-vis de l’observation de chacun de ses devoirs. Saint Thomas exprime cette assertion en ces termes : L’homme…, avant d’être réparé par la grâce justifiante, peut éviter chaque péché mortel (potest singula peccala mortalia vilarc) et les éviter tous pendant un certain temps… ; mais il ne peut se faire qu’il reste longtemps sans commettre un péché mortel. Sum. Iheol., P IP q. cix, a. 8. Le P. PalmJeri, De gratia actuali, p. 239 sq., expose très bien l’impuissance morale d’éviter le péché : il parle directement de l’impuissance du juste à éviter les péchés véniels, mais son explication vaut aussi pour l’impuissance morale de l’homme non justifié à éviter le péché mortel. Parce que cette impuissance morale est indéterminée, au sens expliqué, il n’est pas exact de dire que l’homme, sans le secours de la grâce, ne peut vaincre aucune tentation grave.

Une autre objection est celle qui résulte de l’état de pure nature. Nous admettons cette possibilité sans aucune restriction : Dieu aurait pu créer l’homme sans lui donner aucun don préternaturel ou surnaturel, et en le laissant, par conséquent, sujet à la concupiscence, à l’ignorance, à la maladie et à la mort. Cf. S. Thomas, 7n IV Sent., dist. XXXI, q. i, a. 1 et a. 2, ad 3° m. Sur la doctrine condamnée de Baius, voir Baius, t. ii, col. 71 ; sur l’opinion des augustiniens, voir Augustinianisme, t. i, col. 2487, 2490. Voici donc la difficulté : nous avons dit que la nécessité morale de la grâce s’explique par la concupiscence, d’où résulte la difficulté d’observer les préceptes divins ; or, la concupiscence est naturelle et elle ne semble pas être plus