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GRACE

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qu’il doit être aimé par-dessus toute chose, que l’on doit renoncer à tout ce qui n’est pas conforme à sa volonté ; dés lors la volonté est physiquement capable de produire cet acte d’amour. Ce que l’on appelle la vulnrratio naturse est la rupture de l’harmonie qui existait entre les différentes facultés de l’homme, cf. S. Thomas, Sum. theoi, P IF, q. lxxxv, a. 3 ; la volonté, il est vrai, éprouve de la difficulté à vouloir le bien, mais cette difficulté n’est pas toujours actuelle et ne s’oppose pas à un acte particulier de vertu ; nous ne voyons pas comment elle s’opposerait toujours à l’acte d’amour parfait.

Nous ne pouvons pas admettre non plus cette autre considération : < Si l’homme ne réalise jamais et ne peut même pas réaliser sans la grâce son intention de plaire toujours à Dieu, et de ne jamais l’offenser, c’est une preuve que ce ferme propos n’existe pas sans la grâce. » Hugon, op. cit., p. 150. D’abord, l’homme peut ignorer qu il ne peut pas, sans la grâce, éviter tout péché mortel, et penser qu’il a assez d’énergie pour résister toujours aux tentations. De plus, un homme peut sincèrement faire un propos, que plus tard, par faiblesse, il n’exécute pas. Sylvius, loc. cit., fait justement observer que, pour que l’acte d’amour de Dieu pardessus tout et le propos absolu d’observer tous les commandements soit considéré comme ferme, il n’est pas requis que l’homme évite de faire tout péché mortel pendant sa vie ; on peut avoir un acte sincère et parfait d’amour, qui cependant ne fasse éviter tout péché mortel que pendant un certain temps.

Enfin si l’homme fait naturellement un acte d’amour parfait, cet acte ne le justifie pas, précisément parce qu’il est naturel ; il n’y a en cela aucune difficulté spéciale, nous semble-t-il : il n’est pas démontré que l’homme ne puisse pas, pendant un certain temps, avant la justification, rester exempt de tout péché mortel personnel, pourquoi lui serait-il moralement impossible de faire un acte d’amour parfait naturel, tout en étant encore dans l’état où l’a mis le péché originel ? Sylvius, loc. cit., soutient qu’il faut une grâce pour l’acte d’amour parfait, mais admet qu’une grâce actuelle suffit. Si l’on dit que Dieu, dans l’ordre actuel, ne permettra jamais que l’homme fasse un acte d’amour parfait purement naturel, on ne prouve pas par là que cet acte est moralement impossible à l’homme : la nécessité de la grâce requise, dans cette hypothèse, serait d un ordre différent que celui de la nécessité morale de la grâce.

Quant à l’opinion de saint Thomas, Sum. theol., F IF q. cix, a. 3, elle n’est pas facile à saisir parce qu’il n’explique pas ce qu’il entend par diligere Deum super omnia : s’agit-il d’un simple acte transitoire d’amour parfait ou bien d’un acte d’amour qui oriente tellement la volonté vers Dieu et rend cette orientation si ferme que l’homme en devient capable d’éviter tous les péchés, même véniels ? Nous pensons qu’il s’agit de cette dernière disposition : c’est ainsi que l’interprète Cajétan. In /’"" //, q. cix, a. 3. S’il en est ainsi, saint Thomas enseignerait donc ceci : l’homme, dans l’état de nature déchue, ne peut aimer Dieu efficacement de façon à éviter tout péché, sans le secours de la grâce, mais il peut faire par ses seules forces naturelles un acte d’amour parfait transitoire, correspondant à sa nature.

C’est bien cela que saint Thomas avait admis, In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, a. 3, ad 2° iii, où il met au même rang, quant à ce qui nous occupe l’acte de charité et celui des autres vertus : Sicut aliarum virtutum actus dupliciter considerari possunl, vcl secundum quod sunt a virtute, vel secundum quod antecedunt virtutem ; ita eliam est de caritate ; potest enim aliquis, ctiam curitatem non habens, diligere proximum et Deum, eliam super omnia, ut quidam dicunt ; et hoc diligere

inti lliyitur actus caritatis sub preecepto directe cadere, et non solum secundum quod a caritate procedil.

Quant à la suite logique des idées de saint Thomas dans la question citée de la Somme, voici comment nous la comprenons : à l’art. 3, il a donc enseigné que l’homme, dans l’état actuel de nature déchue, peut, par ses seules forces naturelles, poser l’acte (quoad substantiam actus) commandé par le premier précepte, mais qu’il ne peut pas accomplir complètement ce commandement, parce qu’il ne peut pas éviter tout péché et que tout péché est contraire au premier précepte, étant contraire à l’amour de Dieu. Ensuite saint Thomas, à l’art. 4, se demande d’une manière générale si l’homme peut, par ses seules forces naturelles, accomplir les préceptes de la loi, c’est-à-dire tous les préceptes. Il répond que l’homme, dans l’état de nature déchue, laissé à ses seules énergies naturelles, ne peut observer tous les préceptes, même 1 seulement quant à la substance des œuvres commandées : le sens est que l’homme, dans l’état de natuie déchue, livré à ses seules forces naturelles, ne peut pas, au moins pendant un temps considérable, éviter tout péché mortel. Ceci est confirmé à l’art. 8, où saint Thomas enseigne, en outre, que l’homme, dans l’état de nature déchue, s’il a déjà commis un péché mortel, ne peut pas, sans le secours de la grâce, s’abstenir longtemps de tomber dans de nouveaux péchés mortels.

b) Ces assertions définissent l’impuissance morale à faire le bien, à laquelle l’homme est sujet dans l’état de nature déchue. Une autre question se pose maintenant : quel est le secours requis pour remédier à celle infirmité ?

Cette infirmité consiste, en réalité, dans la difficulté à faire le bien ; cette difficulté provient, d’une part, du désordre de la concupiscence, en vertu duquel surgissent des excitations à des actes mauvais, et, d’autre part, du manque de vigueur mentale (intellectuelle et volontaire), d’où il résulte que l’homme cède aux impulsions désordonnées et donne librement son consentement à un objet moralement mauvais. Pour remédier à cela, quand il s’agit de la seule loi naturelle, il suffirait que Dieu donne des secours naturels et transitoires ; qu’il suscite, par exemple, des pensées qui éclairent vivement l’intelligence sur le bien à faire ou le mal à éviter, qu’il suscite des affections puissantes vers le bien, des aversions fortes vers le mal. Ces secours seraient donc, quant à leur entité, naturels. Par conséquent, à ne considérer que ce qui est requis ex natura rei à l’accomplissement de la seule loi naturelle, on doit conclure qu’il suffirait d’avoir des secours qui en eux-mêmes sont d’ordre naturel : je crois que les théologiens sont d’accord sur ce point.

Mais si l’on pose la question de fait, si l’on demande : Dieu, dans l’ordre actuel de la providence, accorde-t-il des secours entitativement surnaturels pour l’observation de la loi naturelle ? la réponse des auteurs n’est plus unanime. Remarquons d’abord qu’il ne s’agit pas ici de dons purement naturels qui, au moyen de la grâce surnaturelle, peuvent contribuer à l’exercics de la perfection, ou bien peuvent y contribuer, comme on dit, négativement ou removendo prohibais : telles sont, par exemple, une intelligence puissante et bien formée, une volonté énergique, une heureuse complexion corporelle ; nous ne parlons pas non plus des dons externes, par exemple, les bons exemples, la prédication de l’Évangile. La distinction qui nous occupe concerne les grâces actuelles internes. Les grâces actuelles surnaturelles quoad substantiam sont des motions dont l’entité même est surnaturelle, et les grâces actuelles surnaturelles quoad modum tantum sont des motions dont l’entité est naturelle, mais qui sont données, ou bien comme par miracle, ou bien qui sont positivement