Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.2.djvu/173

Cette page n’a pas encore été corrigée

i :, si

GRACE

1.582

stance de l’œuvre commandée, l’autre ajoutant un certain mode ou caractère méritoire qui rend les œuvres dignes de conduire le sujet au royaume des cieux, est une distinction chimérique qu’il faut rejeter. » De îzinger-Bannwart, n. 1061. Voir Baius, t. ii, col. 79.

b) Les théologiens se sont occupés spécialement de la capacité de l’homme déchu à vaincre les tentations. Il s’agit ici d’une victoire moralement honnête, non salutaire.

La plupart admettent que l’homme peut, sans le sec mrs de la grâce, résister à certaines tentations, au moins aux tentations légères. Cf. Soto, De natura et gratin, 1. I, c. xxi, Paris, 1549, fol. 83 ; Suarez, De ijratia, 1. I, c. xxiii, n. 13, Opéra omnia, t. vii, p. 483 ; Gotti, Theologia scholaslico-dogmatica, t. ii, tr. VII, De divina gratia, dub. ix, n. 5, Venise, 1750, p. 318.

Mais beaucoup enseignent que l’homme ne peut pas, sans le secours de la grâce, résister à aucune tentation grave : tel est l’énoncé de la thèse défendue par Suarez, cp. eit., 1 I, c. xxiv, n. 8, p. 492 ; Gotti, loc. cit., n. 15 ; Mazzella, De gratia Christi, Rome, 1892, n. 390. La raison qu’ils apportent pour soutenir cette thèse est l’infirmité de la nature humaine concernant le bien moral ; aussi le texte de saint Paul, I Cor., x, 13. Cependant ce texte et les textes des conciles concernant la nécessité de la grâce ne permettent pas d’établir que l’homme ne peut, sans le secours de la grâce, résister à aucune tentation grave. C’est pourquoi d’autres théologiens, par exemple, Hurter, op. cit., n. 47, parlent de la victoire sur toutes les tentations qui assaillent l’homme. Le P. Pesch, op. cit., n. 157, fait une remarque très opportune : il semble, que l’on a tort de proposer cette thèse : l’homme, sans te secours de ta grâce, ne peut vaincre aucune tentation grave. Qu’est-ce, en effet, qu’une tentation grave ? On ne pourra guère donner d’autre réponse que celle-ci : une tentation grave est celle qui sollicite l’homme avec tant de force que, sans la grâce, il est moralement incapable de résister. Cette explication contient une tautologie. Si l’on veut décrire la nature même d’une tentation grave, on ne parviendra pas à la déterminer de telle façon que l’on puisse alors démontrer la thèse ; les documents de la révélation ne donnent aucune description de cet objet. Il est donc plus exact de proposer la thèse suivante : Tout homme, qui pendant un temps considérable jouit de l’usage de la raison, rencontre des tentations si graves qu’il ne peut les vaincre, sans le seccurs de la grâce. Cette assertion est alors une explication de la thèse générale, que nous exposerons plus loin. Pour les arguments, voir Pesch, op. cit., n. 159 sq.

La question, que nous venons d’exposer, a donné lieu à diverses opinions qui ont une portée plus générale ; nous les exposerons ici afin de mieux faire ressortir le lien logique qui les unit.

Vasquez, In /"" II*, q. cix, a. 2, disp. CLXXXIX, c. viii sq., Anvers, 1622, p. 401 sq., a soutenu une opinion qui n’a guère été suivie par les théologiens. Il enseigne que l’homme ne peut vaincre aucune tentation, même la plus légère, sans le secours de la grâce du Christ. Il s’efforce d’abord de montrer que cette opinion est contenue dans la doctrine des Pères et des conciles, c. viii-xiii.

Nous ne pouvons entrer dans cette discussion, mais il nous faut noter comment Vasquez explique sa thèse : les êtres privés de raison agissent nécessairement, leur opération est toujours déterminée par leur nature, et Dieu, en tant que créateur, les meut à produire l’opération telle qu’elle est contenue in actu primo dans leur nature. Mais l’homme est libre, et par conséquent indifférent : l’action volontaire, qu’il pose librement, n’est pas déterminée par la nature humaine ; mais cette action dépend d’une pensée et cette pensée n’est pas au pouvoir de l’homme ; cette pensée dépend de

Dieu, non pas en ce sens qu’elle est toujours produite par Dieu dans l’intelligence, mais en ce sens qu’elle dépend de la proscience et de la providence divines. C’est donc de Dieu qu’il dépend que l’homme ait telle pensée en vertu de laquelle il résiste à la tentation, plutôt que telle autre pensée à laquelle il succomberait ; si Dieu, qui connaît de toute éternité l’influmce de telle pensée sur tel homme dans telles conditions, l’ait en sorte que l’homme ait, de fait, la pensée en vertu de laquelle il résiste à la tentation, c’est là un bienfait de Dieu, c. xv sq. Cette cogitalio congrua est donc un bienfait spécial de Dieu (il aurait pu donner une cogitalio non congrua) et parce que, dans l’ordre actuel de la providence, tous les bienfaits sont accordés conséquemment aux mérites du Christ, cette cogitalio congrua peut donc s’appeler auxitium gratiæ per Christum, c. xvii sq. Cette cogitalio congrua n’est pas seulement un secours dû à la protection externe de Dieu, mais c’est une inspiration interne, qui produit une bonne affection par laquelle nous résistons à la tentation ; rien n’empêche que cette pensée opportune soit produite en nous par des causes secondes externes ; c’est Dieu qui les a disposées par sa providence, c. xvi, n. 142, p. 423. Cette grâce, ajoute Vasquez, n’est pas un secours qui, quant à sa nature ou substance, est surnaturel, comme est le secours qui nous est donné pour faire des actes salutaires ; le secours, dont il s’agit, est en soi d’ordre naturel, proportionné à la nature, il ne requiert aucun principe nouveau pour le produire ; il est cependant une grâce parce qu’il procède de la libéralité et de la miséricorde de Dieu à notre égard et que Dieu aurait pu ne pas nous l’accorder, c. xvi, n. 144, p. 424. Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, 1. V, c. vii, p. 334, semble défendre la même thèse. Son explication cependant ne coïncide pas avec celle de Vasquez.

L’opinion de celui-ci diffère de celle qui fut défendue par Baius et condamnée dans la 30° proposition. Voir Baius, t. ii, col. 88. Vasquez, en effet, n’exigeait pas la grâce proprement dite et ne fondait pas son opinion sur une fausse idée de la connexion de la grâce avec la nature, telle qu’elle se trouve chez Baius.

Cependant le sentiment de Vasquez n’a guère de partisans. C’est à juste titre, nous semble-t-il, car, d’abord, dans les textes des conciles, réunis contre le pélagianisme, on ne trouve pas cette distinction entre la grâce, quant à son être, surnaturelle, et la grâce, qliant à son être, naturelle ; ensuite la cogitalio congrua, dont parle Vasquez, bien qu’elle soit un bienfait de Dieu, ne peut pas s’appeler grâce, parce qu’elle n’appartient pas à l’ordre surnaturel ; une bonne pensée naturelle, prévue et donnée par Dieu, n’est pas une grâce proprement dite, au sens théologique du mut, alors même qu’elle devient l’occasion d’un acte salutaire, qui s’opère après la grâce proprement dite. Cf. Suarez, op. cit., c. xiii, n. 3 sq., p. 436 Pesch, op. cit., n. 126 ; Billot, De gratia Christi, p. 80.

L’opinion de Vasquez, que nous venons d’exposer, est intimement connexe avec une assertion plus générale, défendue par le même auteur : il faut un secours spécial de Dieu, au sens expliqué, pour tout acte moralement bon. Op. cit., disp. CXC, c. xii, n. 117 sq., p. 462 sq.

Ripalda, De ente supernaturali, t. ii, 1. V, disp. CXIV, sect. iv-v, p. 541 sq., réfute cette opinion, en ce sens que le secours requis par Vasquez ne peut pas s’appeler la grâce et n’appartient pas à l’ordre surnaturel, ni â l’ordre des secours proprement salutaires. Mais Ripalda, tout en admettant que la nature humaine est, par ses propres forces, capable de faire des actes moralement bons, soutient que de fait, dans l’ordre actuel, d’après le plan établi par Dieu, aucun acte moralement bon ne s’accomplit sans qu’il soit aussi surnaturel