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GRACE

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cette formule : omne quod non est ex fide, pcccatum est, voir Pesch, Prxlection.es dogmalicæ, t. v, n. 144 sq. Nous croyons utile de signaler ici certaines expressions de saint Augustin, qui, à première vue, semblent s’opposer à la doctrine que nous venons d’indiquer. Dans son Contra duas cpislolas pelagianorum, 1. I. c. ii, n. 7, P. L., t. xliv, col. 553, l’évêque d’Hippone dit, par exemple, ceci : nec potest homo boni aliquid vdlc, nisi adjuvetur ab co qui malum non potesi velle, hoc est gralia Dei per Jcsum Christum. Il affirme ici la nécessité d’un secours divin pour tout acte bon ; et ce secours est la grâce proprement dite, c’est-à-dire le don gratuit qui rend la volonté juste, et qui suppose la foi, qui elle-même est un don gratuit. Dans le passage, d’où la phrase susdite est tirée, Augustin enseigne que le libre arbitre n’a pas été détruit par le péché originel, n. 5, col. 532, mais que cette liberté (cette parfaite indépendance pour faire le bien), qui existait au paradis terrestre et qui permettait à l’homme de réaliser pleinement la justice, n’existe plus ; il résulte de là : a) que l’homme peut faire librement des actes mauvais, et, par conséquent, être véritablement coupable ; b) qu’il n’a plus, pour réaliser le bien, la même aptitude qu’il a pour réaliser le mal ; il se trouve dans un état où il est dominé par la concupiscence et dans lequel il ne peut plus éviter tout péché ; il ne peut être délivré de cet état que par la grâce du Christ. Après cela Augustin ajoute : Sed hsec voluntas quæ libéra est in malis, quia delectatur malis, ideo libéra in bonis non est, quia liberata non est ; nec potest homo boni aliquid velle nisi adjuvvur ab co qui malum non potest velle, hoc est gratia Dei per Jcsum Christum. Cet aliquid boni désigne donc un bien qui est dans l’ordre du salut, un bien qui appartient à cet état où l’homme est délivré de la domination de la concupiscence.

Il ne s’agit donc pas ici de tout acte simplement honnête, au point de vue purement naturel. Et à Julien d’Éclane qui s’attaque au passage en question, Augustin répond : « C’est la charité qui veut le bien, et la charité vient de Dieu ; ce n’est pas par la lettre de la loi (qu’on fait le bien), mais par l’esprit de la grâce. » Opus imper/ectum contra Julianum, 1. I, n. 94, P. L., t. xlv, col. 1111.

Plus loin, au 1. III, n. 110, col. 1295, saint Augustin dit : Nemo est liber ad agendum bonum sine adjutorio Dei. D’après le contexte, l’adjulorium Dei indique la grâce du Christ ; cependant il ne s’agit pas ici du libre arbitre et d’une bonne action en particulier, mais de la vigueur habituelle de la volonté à faire le bien, à éviter tout péché ; cette vigueur habituelle ne s’obtient que par la grâce ; elle seule guérit l’infirmité qui a atteint la nature humaine par suite du péché originel. Au 1. VI, n. 15, col. 1535, il est dit : Si ergo hi, quorum contra carnem jeun spirilus concupiscil, ad singulos aclus indigent Dei gratia, ne vincantur, qualem libcrtalem voluntatis haberc possunt, qui nondum de potestate eruti lencbrarum, dominante iniquilale, nec eerlarc cceptrunl, aut, si certarc volucrunt, nondum liberalæ voluntatis servitute vincuntur. Dans ce passage, le saint docteur parle de ceux qui possèdent la grâce divine et sont délivrés de l’esclavage de la concupiscence ; cependant ils doivent encore lutter, et ce n’est qu’avec le secours de la grâce de Dieu qu’ils remporteront la victoire, qui les fera jouir du royaume éternel. Dans ce combat, la prière est plus importante que la force, car c’est par la prière qu’on obtient la force dont on a besoin. Les chrétiens ont constamment besoin du secours de la grâce pour n’être pas vaincus dans la lutte contre la concupiscence et le secours de la grâce affecte chacun de leurs actes. Saint Augustin semble bien avoir dans l’idée la victoire salutaire, celle qui est propre au chrétien et méritoire de la vie éternelle.

S’il en est ainsi, ceux qui ne sont pas chrétiens, et n’ont pas la grâce, n’auront pas la vigueur de la volonté (libertatem voluntatis) requise à la victoire ; ceux-ci ne luttent même pas, ou s’ils veulent lutter, ils sont vaincus. Saint Augustin n’affirme donc pas qu’il faut le secours de la grâce pour toute victoire sur une tentation, même si cette victoire est simplement honnête, non salutaire ; de plus, il dit que ceux qui ne sont pas encore sous le régime de la grâce peuvent vouloir lutter. Ce vouloir lutter est un acte moralement bon et il semble bien que saint Augustin admet que cet acte peut se faire sans le secours de la grâce. Remarquons encore que saint Augustin parle ici de la grâce considérée en général et que l’influence dont il parle ne peut être restreinte à la grâce actuelle ; de l’endroit cité on ne peut pas conclure que saint Augustin enseigne qu’il faut, dans les hommes justes, une grâce actuelle pour chaque acte salutaire. Suarez, De gratia, 1. I, c. n sq., expose longuement une série de questions se rapportant à la nécessité de la grâce pour l’opération moralement bonne ; quelques-unes seront traitées dans la suite.

Nous avons affirmé la capacité de l’homme à faire, sans le secours de la grâce, des actions moralement bonnes ; il ne s’ensuit pas rigoureusement que de fait les hommes accomplissent, sans le secours de la grâce, des actes moralement bons. Voir Baius, col. 85. Bien que cette dernière assertion ne soit pas établie par une déclaration officielle de l’Église, elle est admise cependant par la plupart des théologiens. Nous n’adhérons donc pas à l’opinion de Vasquez, ni à celle de Ripalda, dont il sera parlé plus loin.

La doctrine, que nous avons exposée, a pour corollaires les deux assertions suivantes : les infidèles peuvent faire des actions qui ne sont pas des péchés ; l’homme, en état de péché mortel, ne pèche pas nécessairement dans tous les actes qu’il pose. Voir Palmieri, De gratia actuali, Wulpen, 1885, thés, xxi, p. 99 sq. ; Baius, t. ii, col. 83 sq.

Une autre conséquence est la distinction qui concerne la manière dont on peut observer la loi : l’observation quant à la substance des actes, quoad subslantiam operum, et l’observation quant au mode d’agir, ce qui revient à une qualité accidentelle de ces actes. quoad modum agendi. Par substance des actes, nous entendons ici l’essence de l’acte humain au point de vue de la moralité, par exemple, ce qui est requis pour qu’une action soit réellement un acte de religion, un acte de justice, etc. Par le mode d’agir on peut entendre toute qualité accidentelle de l’acte, par exemple, la facilité avec laquelle il se fait, son intensité ; mais, en théologie, on entend sa surnaturalité ; saint Thomas et saint Bonaventure désignent par le modus agendi la surnaturalité qui rend l’acte méritoire de condigno. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, q. i, a. 3 ; Sum. theol., F II- 1’, q. cix, a. 4 ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. II, dist. XXVIII, a. 1, q. iii, Quaracchi, t. ii, p. 680 ; Billot, De virtutibus infusis, proleg., c. iii, § 1, n. 4, Rome, 1901, p. 78 ; De gralia Christi, Rome, 1912, p. 68 sq.

Cette distinction a été violemment attaquée par Luther, parce qu’elle était incompatible avec son opinion sur la corruption essentielle de la nature humaine et son incapacité radicale de faire un acte moralement bon. Cf. Denifle, Luther und Lulhertum, t. i, p. 519 ; Grisar, Luther, t. i, p. 110, 115, 160. Elle est encore incompatible avec la doctrine de Baius, parce qu’il tient que tout acte moralement bon est aussi méritoire de la vie éternelle. De meritis operum, 1. II, c. ii, vi. C’est pourquoi l’on trouve, parmi les propositions condamnées de Baius, la 61e qui dit : « La distinction que font les docteurs d’une double manière d’accomplir la loi divine, l’une se bornant à la sub-