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GRACE

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de la grâce interne (considérée en général), pour obtenir la justification et pour ne pas la perdre par le péché. Innocent I er avait déjà déclaré la nécessité de la grâce pour la persévérance du juste, P. L., t. xx, col. 587, et Zosime, dans la lettre citée, attribue à l’influence divine sur le cœur des hommes et sur leur libre arbitre toute pensée sainte, tout pieux dessein et tout bon mouvement de la volonté : l’influence divine, dont il est question ici, est la grâce. Ce texte est emprunté au document appelé Prætcrilorum scdis apostolicx episcoporum aaclorilalis, publié probablement sous Sixte III i 132-440) et admis comme l’expression de la foi de l’Église. La doctrine de ce document est bien résumée dans sa conclusion : « Nous professons hautement que tous les bons sentiments et toutes les bonnes œuvres, tous les efforts et toutes les vertus, par lesquels, depuis le premier début de la foi, nous nous dirigeons vers Dieu, ont vraiment Dieu pour auteur ; nous croyons fermement que tous les mérites de l’homme sont précédés par la grâce de celui à qui nous devons et de commencer à vouloir le bien et de commencer à le faire. » Voir Célestin, t. ii, col. 2058. Les arguments donnés pour prouver cette nécessité sont la doctrine scripluraire, exprimée dans les textes que nous avons cités plus haut ; ensuite la pratique établie dans l’Église, de prier pour obtenir de Dieu la foi et tout ce cjui aide au salut ; de là le principe : ut legem credendi lex statuai supplicandi. Denzinger Bannwart, n. 139. On ne peut pas exagérer la portée de cet axiome, on ne peut pas considérer toute prière liturgique comme expression de la foi de l’Église. L’auteur des Capitula parle ici de prières que font les ministres de l’Église pour que la foi soit donnée aux infidèles, pour que les idolâtres soient délivrés de leurs erreurs, que les juifs voient la lumière de la vérité, etc. Cf. dom Cabrol, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, art. Célestin I er, t. ii, col. 2795 sq. Mais remarquons que l’auteur des Capitula indique le principe d’où résulte la valeur de son argument : ce sont des prières sacerdotales, que les apôtres nous transmirent, que toute l’Église catholique emploie uniformément dans tous les lieux du monde ; c’est l’universalité et l’antiquité de l’emploi de ces prières qui en fait un témoignage authentique de la foi de l’Église et la loi de la croyance. Cette doctrine, avant d’être exprimée dans les Capitula, avait été exposée par saint Augustin, De dono perseveranlise, c. xxiii, n. 63, P. L., t. xliv, col. 1051. Quand ce document fut publié, l’erreur, désignée plus tard sous le nom de semi-pélagianisme, avait déjà fait son apparition. Sur son origine, voir Jacquin, dans la Revue d’histoire ecclésiastique (Louvain), 1904, t. v, p. 266 sq. Il semble que ce soit la doctrine de saint Augustin sur la prédestination qui ait donné lieu au déliât ; mais ici nous avons à considérer la nécessité de la grâce, et spécialement la doctrine de Cassien. Celuici paraît d’abord admettre, d’une manière générale, la nécessité de la grâce pour tout acte qui appartient au salut, même pour le commencement de la bonne volonté. Collât., III, c. xvi, xix, P. L., t. xi.ix, col. 578 sq., 581. Mais bientôt Cassien précise son enseignement. Il pense que de nous-mêmes nous pouvons avoir parfois du moins un commencement de bonne volonté : In his omnibus et gralia Dci et libellas noslri declaratur arbitrii et quia suis inlerdum motibus homo ad virtutum appelilus possil extendi, semper vero indigent adjuvari… Etiam per naturw bonum quod beneficio creatoris indultum est, nonnunquam bonarum voluntatum prodire principia, quæ lumen nisi a Domino dirigantur, ad consummationem virtutum peivenire non possunt, Collât., XIII, c. ix, col. 918-920. Aussi Dieu, pour dispenser sa grâce exige-t-il, ou attend-il quelquefois de nous tles efforts préalables d’une bonne volonté. Ibid., c. xiii, col. 932. Voir Cassien’, t. ii, col. 1823 sq. ;

I Fauste de Riez, t. v, col. 2103 sq. ; Jacquin, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, 1904, t. v, p. 280 sq. ; 1900, t. viii, p. 294 sq. ; Hefele, op. cit., t. ii, p.1090 sq. ; Tixeront, op. cit., t. iii, p. 276 sq., auquel nous avons emprunté l’exposé précédent.

Cette doctrine fut réfutée par saint Augustin dans deux traités, De pnvdestinatione sanctorum, P. L., t. xliv, col. 959-992 ; De dono perseverantiæ, P. L., t. xlv, col. 993-1034 ; plus tard par saint Prosper d’Aquitaine dans son livre Contra collatorem, P. L., t. li, col. 215-276. Signalons quelques assertions : saint Augustin insiste sur ce point que le commencement de la foi est dû à la grâce, De prædestinalionc sanctorum, c. ii, 3, P. L., t. xliv, col. 961 sq. ; plus loin, viii, n. 10, il dit : Fides igitur et inchoata et perfecla, donum Dci est : et hoc donum quibusdam dari. quibusdam non dari, < mnino non dubitcl, qui non vult mani/eslissimis sacris Lilleris repugnarc, col. 972 ; cf. c. xvii, col. 983 ; c. xxi, col. 992. Dans le traité De dono perscveranliæ, il enseigne que nul mérite humain n’existe avant la grâce, c. xix, n. 49, P. L., t. xlv, col. 1023. Cf. c. x : xiv, col. 1033. Dans ces textes il s’agit de la grâce proprement dite, c’est-à-dire du secours divin spécifiquement salutaire. Sur la distinction des deux ordres de grâce, voir Augustin, 1. 1, col. 2387. Saint Prosper nie que les pensées pieuses viennent de la seule volonté libre, elles proviennent de l’inspiration de Dieu, Contra collai., c. xii, P. L., t. li, col. 244 ; la bonne volonté, par laquelle on adhère à Dieu, appartient à l’homme, mais elle naît sous l’inspiration divine, col. 245 sq. L’homme ne peut pas par son énergie propre s’élever aux commencements de sa sanctification, col. 216 ; aucune œuvre salutaire ne peut se faire sans la grâce ; bien qu’on rencontre des actions louables chez les impies, elles ne sont pas véritablement vertueuses : Ergo cmnia quæ ad vilam et pietatem pertinent, non per naturam, quse vitiala est, habemus, sed per graliam, qua natura reparatur, accepimus. Sec ideo œslimarc debemus in naturalibus Ihesauris principia esse virtutum, quia multa laudabilia rcperiuntur etiam in ingeniis impiorum. Quæ ex natura quidem prodeunt, sed quoniam ab eo qui naturam condidit recesserunt, virtutes esse non possunt, col. 250 ; la liberté reste entière sous l’action de la grâce, celle-ci porte la volonté au bien et l’y affermit : opitulatioms divinæ gratiæ stabilinunta sunl voluntatis humanæ, col. 255. Cf. les définitions de Cassien jugées par saint Prosper, col. 255 sq. Voir Fulgence de Ruspe, col. 970 sq.

La nécessité de la grâce, étendue à tous les actes salutaires, était donc enseignée par ceux qui étaient les mieux en situation d’exposer la doctrine catholique ; elle fut proclamée officiellement au IIe concile d’Orange, en 529, convoqué par saint Césaire d’Arles, voir Césaipe, t. ii, col. 2168 sq. ; Tixeront, op. cit., t. iii, p. 304 sq., et confirmée par le pape Boniface IL Au point de vue doctrinal, il faut remarquer que ce concile décrit davantage les actes qui peuvent précéder la foi, notamment le pius credulilalis a/fectus, et surtout qu’il précise la raison de la nécessité absolue de la grâce, par ces expressions sicut oporlel ad salutem. Ce n’est plus la raison générale qu’on invoque, à savoir que la nature humaine est viciée, que le libre arbitre est infirme, mais on affirme l’incapacité de la nature à tout acte salutaire comme tel. Les canons les plus importants sont les suivants ; nous les résumons :

Ce n’est pas à la prière humaine que la grâce est concédée, mais c’est la grâce qui fait que nous la demandions, can. 3 ; Dieu n’attend pas que par notre propre volonté nous désirions être purifiés de nos péchés, niais c’est par l’infusion et l’opération du Saint-Esprit en nous que nous concevons ce désir, can. 4. Le commencement de la foi, le désir de croire (credulitatis affectas) est un don de la grâce, c’est-à-dire