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GRACE


2. Luther et Calvin sont à l’opposé de Pelage. Ils enseignent que la nature humaine, depuis le péché d’Adam, est essentiellement viciée ; la nature humaine maintenant est inévitablement sujette au désordre de la concupiscence, la volonté est radicalement incapable de faire un acte moralement bon, le libre arbitre n’existe plus. L’homme ne peut donc pas, en lui-même, être ou devenir juste devant Dieu. Sa justification ne peut provenir que d’un principe extrinsèque, mais cette justification ne consiste pas dans l’infusion d’un don surnaturel, qui pénètre les âmes et leur devient inhérent. Cf. Realencyklopâdie fur protestantische Théologie, Leipzig, 1899. t. VI, p. 722. C’est une simple imputation de la justice du Christ ; la condition requise à cette imputation est la foi (fuies fidueialis) : seule elle est requise et seule elle suffit. Cette foi n’est pas une vertu infuse, une qualité surnaturelle ; on ne parvient pas à déterminer quelle est, d’après Luther, son essence. Luther a parlé fréquemment de la grâce et emprunte ses expressions à l’Écriture sainte et à la prédication catholique ; cependant il n’admet pas l’existence de In grâce interne proprement dite, ni habituelle, ni actuelle. Elle est d’ailleurs logiquement exclue de son système doctrinal et inconciliable avec lui : en effet, Luther ne connaît qu’une justification extrinsèque à l’homme, simplement imputée ; il n’y a pas de dépendance réelle, pas d’enchaînement interne entre l’activité vitale et la justification : l’homme est au point de vue moral radicalement vicié ; toutes ses œuvres sont mauvaises, que l’homme soit juste ou qu’il ne le soit pas ; dès lors la grâce n’a aucune raison d’être, elle n’a aucun rôle à remplir ; elle n’est pas requise comme un secours interne, surajouté aux facultés naturelles et corroborant l’homme dans l’observation des préceptes et l’exercice de la vertu ; car Luther n’admet pas la liberté et nie que la perfection morale soit connexe avec la justification ; la grâce n’est pas requise non plus comme un principe de surnaturalisation, car Luther nie que la nature humaine, dans l’état actuel, puisse être intrinsèquement surnaturalisée et positivement ordonnée vers Dieu. La négation de la grâce, dans la doctrine de Luther, est confirmée par son enseignement sur l’étal du premier homme : cet état de rectitude vis-à-vis de Dieu était naturel, dû aux facultés simplement naturelles de l’homme, comme la lumière est exigée par l’œil, dû à la connaissance et à l’amour, qui appartiennent en propre à la nature humaine. Cf. Ripalda, De enle supernaliirali, 1. I, disp. XX, sect. i, Paris, 1870, t. i, p. 194. Le concile de Trente a défini la réalité de la grâce interne, habituelle et actuelle, sess. vi, c. vvn. Denzinger-Bannwart, n. 797 sq., et mis en lumière son caractère surnaturel. Sur la doctrine de Luther concernant les points exposés, voir Denifle, Luther el luthéranisme, trad. Paquier, Paris, 1910 sq., t. ii, p. 451 sq. ; t. iii, p. 176 sq., 246 sq., 281 sq. ; Hartmann Grisar, Luther, Fribourg, 1911-1912, t. i, p. 737 sq. ; t. iii, p. 40 sq. ; Ilefner, Die Enlslehungsgeschichte des Trienter Rechl/ertigungsdekret, Paderborn, 1909, p. 4 sq. Sur la doctrine de Calvin, qui est d’accord avec Luther pour nier la grâce, voir Calvinisme, t. ii, col. 1400.

3. Baius n’a pas nié que Dieu, dans l’ordre du salut, agisse immédiatement sur l’âme, il admet, au contraire, l’influence réelle du Saint-Esprit produisant l’acte de charité : cet acte, qui dépend de la foi, est le principe de tout acte moralement bon, de telle façon qu’aucun acte moralement bon n’est possible sans la charité provenant du Saint-Esprit. Baius, De charilole, c. iii-iv. Ce qui constitue l’erreur propre à Baius, c’est qu’il considère l’influence salutaire de Dieu comme due a la nature humaine et par conséquent naturelle ; ce qu’il appelle dons du Saint-Esprit sont surajoutés à la nature en ce sens que celle-ci ne peut pas les produire, mais ils ne sont pas surajoutés en ce sens qu’ils sont

DICT. DT. TI1ÉOL. CATHOL.

positivement indus ou surnaturels. Cf. Baius, De prima hominis justifia, c. i-iv, x-xi ; De meritis operum, c. iv, vi, ix ; Apologia summo ponlifici Pio V, n. 20. L’Église, en condamnant la doctrine de Baius, a donc surtout affirmé la surnaturalité de ces réalités qui constituent l’ordre des dons salutaires, elle a affirmé l’existence de la grâc’e en tant que celle-ci est surnaturelle. Sur la doctrine de Baius et l’interprétation des documents ecclésiastiques à son sujet, voir Baius, t. ii, col. 41 ; cf. Colladoncs Brugenses, 1913, t. xviii, p. 09, 133, 207.

Pour la doctrine de Jansénius et de Quesnel, nous renvoyons aux articles qui leur seront consacrés.

4. Le rationalisme, né du protestantisme, rejette tout surnaturel, toute influence surnaturelle de Dieu sur l’âme ; et tout surnaturel externe à l’homme, tel que la révélation. Le principe fondamental du rationalisme est exprimé dans la 3e proposition du Syllabus de Pie IX : « La raison humaine, sans avoir aucunement égard à Dieu, est le seul arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal, elle est à elle-même sa loi, et, par ses seules forces naturelles, elle suffit à procurer le bien des individus et des peuples. » Denzinger-Bannwart. n. 1703. Le modernisme n’a pas, semble-t-il, défendu des thèses qui contiennent explicitement la négation de la grâce, mais son système est radicalement incompatible avec la doctrine catholique de la grâce. En effet, d’abord, le modernisme ne peut admettre aucun ordre surnaturel : celui-ci est exclu et par l’agnosticisme et par l’immanentisme vital. L’agnosticisme rejette la connaissance de tout être immatériel et nie qu’on en puisse démontrer l’existence. Dieu, l’âme ne sont plus objet de connaissance proprement dite, ni de science ; seulement les phénomènes, c’est-à-dire les manifestations externes des êtres, sont connaissables ; dès lors, pour le modernisme, toute entité surnaturelle, parce qu’elle est immatérielle, est considérée comme inconnaissable ; on n’en peut pas tenir compte dans l’explication de la vie des individus. L’immanentisme va plus loin encore et nie positivement tout ordre surnaturel : en effet, pour lui, toute religion est l’effet de l’évolution du sentiment religieux inhérent à l’homme ; en tout homme il y a un besoin du divin, de là surgit le sentiment religieux qui est une adhésion du divin (à l’inconnaissable) ; cette adhésion est, en quelque sorte, une intuition, en tant qu’elle est nécessaire et spontanée, mais, d’autre part, elle est obscure et aveugle, parce qu’elle ne constitue pas une connaissance nette et raisonnée de son objet, qui est le divin : cette adhésion s’appelle la foi. Or l’homme réfléchit sur cette foi, forme et exprime d’abord des assertions vulgaires et simples, ensuite il trouve des assertions plus nuancées et plus distinctes : quand celles-ci sont sanctionnées par l’autorité religieuse, elles sont des dogmes. Mais ces dogmes sont nécessairement liés au sentiment religieux et lui correspondent ; or ce sentiment religieux, parce qu’il est vital, est changeant et se modifie réellement avec le temps et les événements ; il en résulte que les dogmes aussi sont muables. Par conséquent, toutes les religions, et tout ce qu’elles contiennent en fait de dogmes, ne sont pas autre chose qu’un effet naturel de l’évolution naturelle du sentiment religieux, qui lui aussi est naturel. Dans cette théorie, on nie évidemment toute influence surnaturelle de Dieu, notamment toute révélation proprement dite, et on affirme que toute foi, toute vertu, surgit spontanément de l’âme et correspond à son besoin naturel.

Quant à la grâce interne, proprement dite, soit habituelle, soit actuelle, elle est exclue par le modernisme : d’abord, si l’on rejette toute révélation proprement dite, on ne peut plus connaître l’existence d’une entité immatérielle et en soi surnaturelle ; ensuite, si toute foi religieuse, toute vertu n’est que l’évolution

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