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GRACE


à-dire la manifestation d’une vérité faile directement par Dieu à une créature, est un bienfait surnaturel. Toute créature douée d’intelligence est par là même positivement ordonnée à connaître, notamment à connaître Dieu et, jusqu’à un certain point, ses œuvres. (’.cl le connaissance naturelle est proportionnée au degré d’intellectualité de la créature et s’obtient par des moyens à sa portée. Mais aucune créature ne peut avoir d’elle-même une exigence ou un droit à ce que Dieu lui-même lui parle ou l’instruise. Cf. Mercier, O. P., dans la Revue thomiste, 1902, t. x, p. 30(5 sq. ; 1908, t. xvi, p. 525.

La révélation divine, alors même qu’elle ne comprendrait pas des mystères proprement dits, est toujours une communication surnaturelle de Dieu avec la créature : elle est une grâce externe par rapport à celui auquel elle s’adresse. La révélation, considérée objectivement, c’est-à-dire l’ensemble de vérités révélées par Dieu et proposées avec les motifs suffisants de crédibilité, peut avoir pour conséquence la foi ; cette foi peut être naturelle ; il n’y a aucune impossibilité physique à ce que l’homme, par la seule activité de ses facultés, admette sincèrement pour vrai ce qu’il sait être révélé par Dieu et qu’il acquière cette conviction, par son intelligence et par sa volonté, sans qu’il y ait en lui un principe surnaturel et subjectif d’action. Ainsi, en supposant l’incarnation, c’est-à-dire l’union hypostatique d’une nature humaine avec une personne divine, cette humanité pourrait avoir pour principale fonction de susciter, dans les âmes, comme objet de connaissance et d’amour, des actes de foi, d’espérance, de charité, de reconnaissance, etc. Ces actes internes pourraient être, quant à leur entité ou substance, purement naturels ; mais ils seraient surnaturels quant à leur origine, quant à leur dépendance d’une union surnaturelle, l’incarnation, quant à leur dépendance de l’homme-Dieu : ces actes rentreraient dans la catégorie de ces effets que les théologiens appellent surnaturels quoad modum, c’est-à-dire quant à la manière dont ils furent produits. Nous sommes d’avis que l’homme peut, avec ses seules forces naturelles, croire des mystères proprement dits, des vérités cjui surpassent la portée naturelle de son intelligence : en ce cas, cette foi serait naturelle quant à son entité et à sa substance, et elle serait surnaturelle, non seulement quant au mode dont elle a été produite, mais encore à un titre nouveau parce que son objet matériel lui-même est au-dessus de l’ensemble des vérités que l’intelligence créée peut d’elle-même atteindre. Cf. Mercier, dans la Revue thomiste, 1907, t. xv, p. 43 sq. ; David, De objecto formait actus supernaturalis, Bonn, 1913.

On prouve donc déjà l’existence de la grâce, considérée en général, quand on démontre l’incarnation du Verbe, l’enseignement de Jésus par ses paroles et ses exemples, ses miracles, l’institution de l’Église et de ses sacrements ; quand on démontre les effets, produits dans les âmes, par l’activité du Christ : la foi, la perfection des chrétiens : ce sont des effets internes, surnaturels au moins quant à leur mode de production, et, par là-même, des grâces. Ils seraient de plus une grâce, à un titre nouveau, si l’on démontrait qu’ils sont le résultat d’une providence spéciale de la part de Dieu, d’une élection, d’un acte particulier d’amour et de bienfaisance en vertu de laquelle Dieu concède de fait ces effets salutaires aux uns, et non aux autres. Il était nécessaire de distinguer ces différentes raisons formelles de surnaturalité pour définir la réalité dont nous voulons démontrer l’existence : il s’agit maintenant de la grâce interne, c’est-à-dire d’une entité surnaturelle, permanente ou transitoire, infuse par Dieu à l’âme, surajoutée à son essence ou à ses facultés, devenant principe d’opération surnaturelle et salutaire. Nous prouverons cette doctrine par l’Écriture sainte, puis

par l’autorité des Pères, nous indiquerons enfin les hérésies contraires.

Preuve tirée de V Écriture sainte.

1. Enseignement

de Jésus-Christ. — Nous y trouvons énoncée l’assertion fondamentale concernant l’origine et le maintien de la vie nouvelle, surnaturelle et salutaire. Cette vérité est rapportée par saint Jean. Sur l’historicité de ces paroles, voir Lepin, La valeur historique du quatrième Evangile, Paris, 1910, t. ii, p. 8 sq., 240 sq.

Nicodème vient interroger le Christ sur le royaume de Dieu, que prêchait Jésus ; Jésus lui dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, s’il ne naît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu… Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de l’Esprit est Esprit. » Joa., iii, 3, 5. Le Christ enseigne donc que l’homme, pour être admis au royaume de Dieu et, par conséquent, pour être sauvé, doit renaître d’une manière immatérielle ; cette naissance est le commencement d’une vie nouvelle : de même que la naissance selon la chair donne la vie physique et matérielle, ainsi la naissance selon l’Esprit donne la vie spirituelle. « Le royaume de Dieu est spirituel : pour y entrer il faut être esprit ; mais être esprit, c’est avoir un autre être ; on ne peut l’acquérir que par une nouvelle naissance et ce ne peut être que par une naissance selon l’Esprit, car de même que ce qui est né de la chair est chair, ainsi ce qui est né de l’Esprit est Esprit. » Lepin, op. cit., p. 179. Le Christ parle donc ici d’une transformation de l’âme, d’une vie produite en elle directement par un rite sacré et l’action immatérielle de l’Esprit, et non d’une vie réalisée naturellement par l’activité humaine.

La vie, dont parle ici Jésus, est la même que celle qu’il nomme, lorsqu’il dit : « Je suis le pain de vie. » Joa., vi, 48. En effet, la renaissance spirituelle est le commencement de la vie propre à ceux qui font partie du royaume de Dieu, royaume qui se réalise déjà sur cette terre et se continue éternellement dans l’autre vie ; la vie dont parle Jésus, quand il dit : Je suis le pain de vie, est aussi celle de ceux qui font partie du royaume, cette vie qui commence sur la terre et continue éternellement : « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel… et le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour le salut du monde… En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous-mêmes. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle… Je suis le pain vivant descendu du ciel. » Joa., vi, 51-54. La manne était une nourriture miraculeuse, destinée à entretenir la vie corporelle, et elle ne suffisait pas à la maintenir sans fin, à empêcher la mort. La chair du Christ est aussi une nourriture ; il est évident qu’elle n’est pas destinée à entretenir la vie corporelle des hommes, mais bien la vie spirituelle et salutaire ; cette vie qui, par sa nature, dure éternellement. L’enseignement de Jésus peut se résumer ainsi : « Pour avoir part à la vie éternelle, il faut communier au Christ, manger sa chair et boire son sang ; cette communion fait passer en nous sa vie, lui-même, si bien que nous sommes en lui et lui en nous, en vertu de quoi nous avons droit à être par lui ressuscites au dernier jour pour vivre éternellement. » Lepin, op. cit.. p. 250. Si nous rapprochons cette doctrine de celle qui faisait l’objet de l’entretien de Jésus avec Nicodème, nous conclurons : la vie, commencée dans l’âme par la renaissance spirituelle, a une nourriture qui lui convient ; cette nutrition se fait par la manducation réelle du corps de Jésus et la susception réelle de son sang ; la vie dont nous parlons, est ainsi caractérisée : elle est la vie du Christ en nous. Cette vie n’est pas la vie charnelle du Christ, mais une vie d’ordre spirituel ; cette vie n’est pas le résultat d’actes humains ; elle