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GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE

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non seulement aussi bien, mais incomparablement mieux, quand le sujet possédant l’autorité, loin d’être élu par la multitude qui, le plus souvent, n’a pas conscience de ses vrais besoins, l’est au moyen d’un mode d’élection moins exposé à être vicié par l’ignorance ou les passions populaires.

Rien donc de plus faible que l’argument invoqué par Richer, à savoir que la partie étant pour le tout, et non le tout pour la partie, la divine sagesse du Christ, on fondant son Église, a dû le pousser à donner la puissance de juridiction plutôt à l’Église elle-même, qu’à tel ou tel individu déterminé, et qu’il a, par conséquent, donné la puissance des clefs à l’Église universelle, afin que celle-ci en usât par le ministère de Pierre et de ses successeurs. C’est là un grossier sophisme, basé uniquement sur la confusion de la fin et du sujet. Pour en revenir, en effet, à la comparaison chère à Richer et par laquelle il prétend étayer solidement son système, la puissance de vision n’a pas été donnée à l’homme de manière que le sujet premier en qui résidât cette puissance fût l’ensemble de l’homme, âme et corps et toutes les parties de celui-ci, au point que l’œil ne serait que le mandataire, le délégué, ou le représentant de toutes les parties du corps pour l’exercice de cette puissance visuelle, hypothèse des plus ridicules ; mais la puissance de vision a été placée par le créateur immédiatement, ianquam in subjecto, dans l’âme et l’œil, quoique l’exercice de la puissance de vision soit une aclio hominis et proplcr hominem et cœtera ejus membra, suivant l’axiome classique, actiones sunt suppositorum.

On ne serait pas plus en droit d’invoquer pour cette thèse au autre aphorisme de l’école : Propterquod unumquodque laïc, et illud majus ! Ce principe, en général, ne s’applique que dans les relations d’effet à cause efficiente, mais nullement dans celles de finalité, car, par exemple, si un professeur est savant, afin de pouvoir instruire ses élèves, il ne s’ensuit nullement que ceux-ci le soient plus que lui ; au contraire. De même, si la puissance des clefs a été donnée à saint Pierre pour l’avantage de l’Église, il ne s’ensuit nullement que l’Église, dans son ensemble, ait plus de puissance que Pierre.

Il ne s’agit donc pas de savoir à quel sujet le Christ a voulu confier l’exercice de la puissance des clefs, mais à qui il a voulu confier cette puissance elle-même. On ne peut pas prétendre que cette puissance ait été conférée par le Christ à d’autres que ceux qu’il désigne lui-même. Or, d’après ses paroles les plus explicites, il conste que le Christ l’a conférée à des personnes bien déterminées, c’est-à-dire aux apôtres, et plus spécialement à saint Pierre.

La majeure de l’argument est évidente, car la puissance par laquelle le Christ gouvernait les fidèles, durant sa vie mortelle, était bien propre à lui, et souverainement indépendante de toute concession ou consentement de la foule. Cette puissance lui venait, non des hommes, mais de Dieu, son Père : Data est mihi omnis potestas in cœlo et in terra, Matth., xxviii, 18 ; Dabo tibi génies hæreditatem tuam. Ps. ii, 8. Cette puissance était la même que celle de Dieu, son Père, auquel il est égal par sa divinité. Mais, en quittant ce monde, le Christ était bien libre de communiquer cette puissance à qui il voulait, de manière que nul autre ne la possédât que ceux auxquels il l’aurait communiquée. C’est un testament que le Christ a fait à ses apôtres, en leur léguant sa puissance. Or, il est de l’essence du testament que seules peuvent s’en prévaloir les personnes expressément désignées par le testateur. Nul n’a le pouvoir d’étendre cet acte au delà de la volonté bien exprimée de celui qui l’a fait.

La mineure de l’argument n’est pas moins évidente. Il^conste clairement par le texte évangélique que la puissance de gouverner son Église a été donnée par le

Christ principalement à Pierre, et, avec Pierre, aux autres apôtres, que le Christ s’était attachés par des liens spéciaux, et qu’il avait placés dans une catégorie à part, bien distincte de celle des simples fidèles, et même des soixante-douze disciples. Cf. Matth., xvi, 18 sq. ; xxviii, 20 ; Luc, vi, 13 sq. ; Joa., xxi, 15, etc. ; vérités mises en lumière par saint Paul. Rom., x, 15 ; I Cor., v, 3, 4 ; xii, 29 ; Eph., iv, 11.

La tradition constante de l’Église manifeste bien aussi que tel fut le sentiment des Pères et du peuple chrétien. Est-ce que jamais, durant le long espace de vingt siècles, furent convoqués des conciles œcuméniques de fidèles ? Où, dans l’histoire, rencontre-t-on la moindre trace de semblables assemblées ? Dans quel concile général l’épiscopat a-t-il jamais sollicité l’avis ou le vote des simples fidèles, et même des prêtres ? Oh n’a jamais reconnu non plus aux fidèles le droit d’instituer les prélats ou les évêques, droit qui appartient incontestablement à la suprême autorité du gouvernement ecclésiastique. Cette autorité ne réside donc pas dans l’ensemble des fidèles, ianquam in subjecto. On n’accordait aux fidèles que la faculté d’exprimer un désir, ou de porter témoignage sur les qualités intellectuelles et administratives des candidats, et sur la réputation dont ils jouissaient. Mais exprimer un désir, ou porter un témoignage sur l’idonéité d’un candidat, et élire, ou instituer, sont deux choses totalement différentes. Voir Élection des évêques ; Élection des papes, t. iv, col. 2256 sq., 2282 sq. Cf. Act., xv, 23. La vérité de la proposition ressort également de cette vérité catholique que l’ordre qui constitue les prêtres et les évêques est un véritable sacrement, imprimant un caractère spécial et ineffaçable, et, par suite, distinguant profondément et formellement ceux qui en sont honorés des simples fidèles qui ne l’ont pas reçu. Voir Ordre, Sacrement, Caractère sacramentel. Que le Christ ait voulu que cette puissance conférée à Pierre et aux apôtres fût, après eux, transmise à des personnes bien déterminées, comme à leurs légitimes successeurs, cela ressort aussi de ses propres paroles. Matth., xxviii, 1C-20. Jésus-Christ parlant spécialement à ses apôtres, leur dit : Eunles, docele omnes génies… ecce ego vobiscum sum, omnibus diebus, usque ad consummationem sœculi. Cf. Marc, xvi, 14-20. D’après les paroles de son divin fondateur, l’Église doit durer jusqu’à la fin des siècles, mais elle doit durer telle qu’il l’a constituée lui-même, et avec la même forme de gouvernement qu’il lui a donnée. Cf. Bellarmin, De romano ponlifice, 1. 1, c vi, p. 317-319 ; Palmieri, De romano pontijice, Prolegomen., § 12-15, p. 64-96 ; part. 1 1, thés, xviii, n. 11, p. 438 sq. ; Wilmers, De Christi Ecchsia, 1. I, c. v, a. 2, prop. 27, n. 75, p. 123-133.

2° Le gouvernement ecclésiastique institué par te Christ n’est pas une monarchie sous l’autorité suprême d’un prince séculier. — La multitude des fidèles n’étant pas le sujet en qui réside la suprême puissance, comme nous venons de l’établir, il est évident qu’elle n’a pu déléguer cette autorité aux princes séculiers. La thèse des protestants, des anglicans, des russes et des joséphistes, relativement à la suprématie royale, ou impériale, dam le domaine spirituel, croule donc par la base. Cf. Bellarmin, De romano ponti/lcc, 1. I, c. vii, p. 317-322 ; Mazzella, De religione et Ecclesia, disp. III, a. 7, §2, p. 415-425 ; Wilmers, De Cliristi Ecclesia, 1. I, c. v, a. 3 prop. 29, p. 134-140.

3° Le gouvernement ecclésiastique institué par le Christ n’esl pas une aristocratie dont les membres posséderaient une puissance égale en tous, ou dont les conciles généraux seraient comme le sujet en qui résiderait la suprême puissance, supérieure au pape. — Cela ressort des privilèges et de la primauté d’honneur et de juridiction conférée à Pierre et à ses successeurs relativement à l’Église universelle. Voir Pape, Infaillibilité du pape. Cf. Bel-