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GOUTTES — GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE


quelqu’un pour dénoncer Gouttes comme coupable d’avoir s excité au mépris de la représentation nationale. » On avait désormais un motif de le poursuivre et, le 7 janvier 1794, il était incarcéré au couvent, devenu prison, de la Visitation. Tous les convives du fâcheux souper de Mont-Arroux furent arrêtés à leur tour ; ils étaient accusés de complicité par non-révélation et le délateur lui-même fut poursuivi pour dénonciation tardive !

Si amoindris que fussent les caractères sous le régime de la Terreur, l’opinion se montra favorable à l’évêque : Lanneau en convient ; il constate « l’effervescence, l’apitoyement que l’ex-grand-prètre incarcéré occasionne dans le sexe dévot » ; pour y mettre fin, il ordonne de transférer le prisonnier à Mâcon, puis à Paris. Le 10 mars, Gouttes entrait à la Conciergerie, précédé d’une lettre où Lanneau le « recommandait » à Fouquier-Tinville et concluait en disant : « J’espère que l’exécution sera prompte. »

Ce fut en effet par un « tour de faveur » que la cause fut appelée, le 26 mars, devant le tribunal révolutionnaire ; auprès de Gouttes étaient ses prétendus complices. Ces prêtres constitutionnels avaient fait piètre figure : tous avaient plus ou moins apostasie et cependant il s’en trouva deux qui eurent le cœur de défendre leurévêque en rétablissant les faits et en montrant le peu de portée des rêveries dont on avait méchamment exagéré la gravité. Ces deux témoins furent immédiatement inculpés pour avoir voulu soustraire un coupable à la justice révolutionnaire et renvoyés en prison ; quant aux autres, ils étaient suffisamment intimidés et ils répondirent ce qu’on voulut leur faire dire.

Gouttes se défendit piteusement : « Mon arrestation a eu pour cause mon refus de donner ma démission d’évêque ; je ne l’ai pas donnée, cette démission, parce que j’aurais cru insulter le peuple en prévenant son vœu, parce que lui seul m’ayant nommé, lui seul pouvait me renvoyer ; son opinion une fois co/.nue, tout contrat cessait entre nous et il en eût été de moi comme d’un valet renvoyé par son maître.. » Un valet ! J’étais un valet ! Voilà la conception que ce fonctionnaire se fait de l’épiscopat I En 1791, le corps électoral s’est mêlé de singer l’opération de l’Esprit-Sainf en conférant la juridiction à un individu dont il a cru faire un évêque ; il n’a fait qu’un valet ! En dépit de ses protestations, Gouttes fut condamné à mort, et le soir même du 26 mars, il était guillotiné.

On a prétendu que dans sa prison l’intrus avait été visité par M. Émery et s’était réconcilié avec l’Église. M. Émery énumère les prêtres qui ont recouru à son ministère, mais Gouttes n’est pas de ce nombre. Gouttes était un esprit faux, faussé par les paradoxes philosophiques de son école. Sa vie était pure, son cœur resta fermé à tout sentiment abject ; sa perversion résidait dans l’intelligence, mais son obstinalion était invincible. Il est à craindre qu’il ne soit mort comme il avait vécu, en caressant sa chimère de ramener « les beaux jours de la primitive Église. » L’Église des constitutionnels n’a rappelé celle des temps apostoliques que par la persécution qu’elle suscita d’abord contre le clergé fidèle à Rome, mais qui, se retournant contre elle, la fil misérablement périr.

Œuvres de Gouttes, — Son Traité de l’intérêt de l’argent a été publié sans nom d’auteur en 1780 ; la 2e édition, qui est de 1782, est précédée d’une réponse aux critiques faites à l’ouvrage. Barbier dit que ce traité n’est qu’une refonte d’un livre paru sous le même titre et dont l’auteur serait l’abbé Rullié. Il ajoute que Turgot collabora à l’œuvre de Gouttes. — - Les travaux parlementaires de Gouttes sont reproduits ou analysés dans le Moniteur et dans les Archives parlementaires ; on les trouvera en consultant les tables de

ces deux recueils. — Les mandements de Gouttes sont énumérés et appréciés dans le livre de M. de Charmasse, O.-L. Gouttes, évêque constitutionnel de Saône-cl-Loire, Autan, 1898, qui a dépouillé et utilisé avec beaucoup de soin tout ce qui avait paru à Autun et toutes les pièces contenues aux archives de Maçon et d’Autun sur ce personnage.

Pour le procès de Gouttes, voir Archives nationales, W, 340-623, et Bulletin du tribunal révolutionnaire, n. 9 ; Pisani, Répertoire de l’épiscopat constitutionnel, Paris, 1907* p. 317-320 ; Bliard, Jurcurs et insermentés, Paris, 1910 ; Nouvelles ecclésiastiques, 1791, p. 127.

P. Pisani.

    1. GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE I##


GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE I. Proposition. II. Erreurs. III. Doctrine catholique.

I. Proposition.

1° Comme nous l’établirons dans cet article, le divin fondateur de l’Église n’a pas voulu qu’elle fût une république, ni une oligarchie ou aristocratie ; mais il lui a donné un gouvernement essentiellement monarchique. Les théologiens s’attachent donc à démontrer la sagesse de ce choix, car il est hors de doute que le Fils de Dieu a pu et a voulu gouverner son Église, par celui des moyens qui est le meilleur et le plus fructueux.

La concentration du pouvoir suprême dans les mains d’un seul, disent-ils, est une garantie d’ordre, d’unité, et, par suite, de force et de stabilité. La pluralité des chefs, au contraire, ne peut engendrer que le désordre, la confusion, la division, la faiblesse et l’instabilité. La chose est si évidente qu’elle fut admise par toute l’antiquité, aussi bien chez les Grecs et les Latins que chez les Hébreux. Les philosophes, les orateurs, les historiens et les poètes même n’ont qu’une voix pour le proclamer. On connait le vers célèbre d’Homère, formulant cet aphorisme : où* àyaOov rcoXuzotpavÎT] : eîc zoioxvo ; ïatto, etç paaiXtue, I. VII, c. n. Cf. Platon, Polit. ; Aristote, Ethic, 1. VIII, c. x ; Polit., I. III ; Senèque, De beneftciis, I. II ; Plutarque, De monarchia ; Isocrate, A/icocles ; Stobée, Florilegium, 45. Dans ce chapitre, cet écrivain cite à l’appui de son sentiment de nombreux passages d’auteurs anciens, entre autres, d’Hésiode, d’Euripide, etc., qui tous concourent à confirmer la vérité de la thèse qu’il a entrepris de défendre, et qu’il résume dans le titre, dont il fait comme un axiome : ’6t. xâXXiorov îj u.ovapyta.

Tel fut aussi l’enseignement de l’antiquité chrétienne Il nous suffira de citer parmi les Pères grecs : saint Justin ; Cohortalio ad Grœcos : la monarchie, dit-il, est une garantie plus grande contre la discorde et les divisions, P. G., t. vi, col. 241 ; saint Athanase, Contra génies, c. xxxviii : De même que la multitude des dieux conduit à l’athéisme, ainsi la multitude des princes conduit à l’anarchie, et quand, dès lors, il n’y a plus de chef, se produisent la confusion, les perturbations et la ruine de la société. P. G., t. xxv, col. 75.

Les Pères latins parlent de même. Saint Cyprien, De idolorum vanitate, c. viii, démontre, par l’unité de Dieu gouvernant le monde, que la monarchie est le meilleur et le plus naturel des gouvernements : Ad divinum imperium cliam de terris mutuemur exemplum. Quomodo unquam regni societas, aut cum fuie ecepit, aul sine cruorc desiil ? P. L., t. iv, coi. 576. Saint Jérôme, Episl. ad Ruslicum monæhum, c. xv : Unus impcralor ; judex iinus. Huma, ut condila est, simul habere duos fralres reges non poluil. P. L., t. xxii, col. 1080.

Aux Pères font écho les théologiens. Cf. S. Thomas, Contra génies, 1. IV, c. lxxvi, n. 3-4 ; Sum. theol., I » II"’, q. ciii, a. 3 ; Suarez, De legibus, I. III, c. iv, n. 1, Opéra omnia, 28 in-4°, Paris, 1856-1878, t. v, p. 184 ; Bellarmin, Conlrov. gencralis, De summo ponlifice, 1. I, c. i, Opéra omnia, 8 in-4°, Naples, 1872, t. i, p. 311 ; Mazzella, De religione et Ecclesia, disp. III, a. 8, § 2, in-8°, Rome, 1885, p. 438 ; Billot, De Ecclesia Christi, part. II, c iii, q. xiii, § 1, in-8°, Rome, 1903, p. 528 sq.