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GNOSTICISME

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qualité morale des actes. Pour les uns, le monde et la chair passant pour essentiellement mauvais, le mariage, la procréation des enfants, la famille, la propriété devaient être condamnés comme autant d’œuvres mauvaises. Pour les autres, le gouvernement de ce monde, appartenant à celui qui l’a créé, au démiurge, n’était plus qu’une tyrannie intolérable contre laquelle la révolte était un devoir ; de ce côté on tomba en plein antinomisme. Voir Antinomisme, t. i, col. 1391-1399.

Pratiquement, à quoi bon parler de vertus ou de vices là où les actes sont indifférents ? Les vrais gnostiques ne sauraient rien commettre de mauvais ; les hyliques sont incapables de faire des actes bons. Survienne une épreuve, une mise en demeure sous peine de mort de proclamer sa foi, le parjure est permis pour éviter le martyre. Quant à ce qui regarde la chair, il n’y a que deux partis à prendre, celui de la sévérité, d’un ascétisme rigoureux, dont l’excès pratiquement ne met guère à l’abri de l’excès contraire, ou celui du relâchement qui facilite, autorise ou ordonne toutes les dépravations. Le premier de ces partis n’a guère élé qu’une exception parmi les gnostiques qui ne reculèrent point devant le martyre ; mais c’est le second qui a compté un beaucoup plus grand nombre de partisans. Quelques chefs, Marcion entre autres, ont pu pratiquer personnellement une certaine austérité et recommander à leurs disciples la gravité des mœurs ; ils ont pu même protester contre l’accusation d’immoralité. Mais les principes posés par eux justifiaient d’avance tous les excès. Et, en fait, le gnosticisme est devenu finalement une école de débauches et d’infamies. Cela suffit pour le condamner.

Résultats du mouvement gnostique.

1. Danger

pour l’Église. — Dès son apparition aux temps apostoliques, à Samarie et en Asie Mineure, la gnose avait éveillé des craintes pour l’orthodoxie de la foi, la pureté de la morale et l’unité de l’Église. Elle n’était pourtant pas encore systématisée en un corps de doctrine, ni organisée en écoles et en sectes. Mais elle menaçait déjà le christianisme d’un triple danger : d’un danger doctrinal, qui n’était autre que l’exaltation de la science au détriment de la foi et la contrefaçon des principaux dogmes chrétiens ; d’un danger moral, qui n’allait à rien moins qu’à supprimer la responsabilité et à débrider les passions ; et d’un danger social, qui jetait le trouble dans les communautés chrétiennes et tendait à ruiner l’unité de l’Église. Ce triple danger alla s’accentuant au fur et à mesure que, favorisée par le succès, la gnose, passant de l’état amorphe à l’état organisé, s’exprima dans un corps de doctrines et se manifesta en écoles et en sectes. Dans la première moitié du iie siècle, le danger fut des plus graves. Sans la vigilance et l’activité des écrivains ecclésiastiques, tels que Hermas, l’auteur de la II" Clemenlis et saint Justin dès la première heure ; sans l’attitude énergique des chefs de l’Église qui n’hésitèrent pas à condamner et à excommunier les principaux représentants de la gnose, quels maux n’aurait pas suscités le gnosticisme ? Vinrent alors les grands docteurs, saint Irénée, Tertullien, saint Hippolyte, Clément d’Alexandrie, Origène, qui firent la critique des divers systèmes, en révélèrent les inconséquences et les absurdités et, montrant ce qu’ils avaient d’opposé à l’enseignement catholique, achevèrent de les vaincre. Si bien qu’à partir du m c siècle le danger de la gnose était conjuré. Renan, qui n’a pas été sans montrer quelque sympathie pour les gnostiques et leur œuvre, n’a pu s’empêcher de faire cet aveu : « Tout cela, dit-il en parlant du gnosticisme, L’Église chrétienne, Paris, 1879, p. 176177, était inconciliable avec le christianisme. Cette métaphysique de rêveurs, cette morale de solitaires, cet orgueil brahmanique qui aurait ramené, si on l’avait laissé faire, le régime des castes, eussent tué

l’Église, si l’Église n’eût pris les devants. » « Ce qu’il y avait de réellement grave, ajoute-t-il plus bas, p. 183184, c’était la destruction du christianisme qui était au fond de toutes ces spéculations. On supprimait en réalité le Jésus vivant : on ne laissait qu’un Jésus fantôme sans efficacité pour la conversion du cœur : on remplaçait l’effort moral par une prétendue science ; on mettait le rêve à la place des réalités chrétiennes, chacun se donnant le droit de tailler à sa guise un christianisme de fantaisie dans les dogmes et les livres antérieurs. Ce n’était plus le christianisme, c’était un parasite étranger qui cherchait à se faire passer pour une branche de l’arbre de vie. » Par sa contrefaçon de l’Église, dont il s’était posé en concurrent et en adversaire, le gnosticisme « eût tué l’Église, si l’Église n’avait pas pris les devants. »

2. Témoignages du gnosticisme favorables à l’Église.

— D’une manière générale le mouvement gnostique, par l’ampleur de son développement, par son extension rapide et finalement par son insuccès, atteste l’importance du christianisme, la force, l’autorité doctrinale et sociale de l’Église. S’il n’a pas suscité une œuvre de synthèse théologique, encore prématurée à cette époque, que de travaux n’a-t-il point provoqués, qui restent, sur tant de points particuliers relatifs au dogme, à la morale, aux croyances et aux usages chrétiens, une source précieuse de renseignements ! Ces réfutations de la gnose, nous les avons signalées ; nous avons noté aussi, en passant, quelques-uns des services Involontaires rendus par le gnosticisme au christianisme.

Les dogmes chrétiens niés parles gnostiques, comme, par exemple, celui de la résurrection de la chair, ont été catégoriquement affirmés, conformément aux données du symbole apostolique, et appuyés sur le témoignage de l’Écriture. Les dogmes chrétiens étrangement défigurés par eux, comme ceux de la création, de l’incarnation et de la rédemption, ont été vengés de leurs attaques et maintenus dans leur réalité. A noter que « tous les systèmes gnostiques font à Jésus-Christ une place de premier ordre. Sans doute ils méconnaissent la rédemption en réduisant le Sauveur à n’être qu’un modèle au lieu d’une victime, mais sa préexistence céleste et sa filiation divine ne font point doute pour eux. Cette croyance, lorsqu’ils l’on empruntée à l’Église, était puissante, arrêtée, parfaitement en vue. On peut en dire autant de la doctrine relative à la divinité du Saint-Esprit. » Duchesne.Les origines chrétiennes, p. 170.

De même la morale, particulièrement maltraitée par les gnostiques, a été maintenue dans l’intégrité de ses principes et la pureté de ses pratiques. Par l’affirmation de l’unité de la Loi et de l’Évangile, par l’identification du Dieu bon et du Dieu juste, par la proclamation que le Dieu de la Bible est le seul vrai Dieu, on a prouvé que le décalogue est l’expression de la volonté divine, à laquelle l’homme n’a pas le droit de se soustraire. Assurément les gnostiques cherchaient à se justifier à l’aide des textes sacrés, qu’ils interprétaient souvent d’une façon abominable, mais ils ont dû être ramenés à une interprétation orthodoxe, telle que l’entendait l’Église, et qui était la condamnation de leur exégèse. Ils s’autorisaient aussi d’autres textes, empruntés aux apocryphes, dans un même but de dépravation ; ces textes furent rejetés comme inacceptables, et parfois expliqués dans un sens tout différent de celui qu’ils lui donnaient.

Sans aller jusqu’à prétendre, comme l’a fait Renan, L’Église chrétienne, p. 155-156, que, « tout en repoussant les chimères des gnostiques et en les anathématisant, l’orthodoxie reçut d’eux une foule d’heureuses idées de dévotion populaire ; » que « du théurgique l’Église fit le sacramentel ; » et que « ses fêtes, ses sacrements, son art vinrent, pour une grande partie, des sectes qu’elle