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GNOSTICISME


tienne pour désigner d’augustes mystères, furent détournés de leur sens pour signifier des actes de luxure ou de promiscuité, tels que TeXsîa à.yâr.7, àyiov àyitov. Philosoph., VI, 19, p. 264 » et y.otvtuvia, Clément .1 Alexandrie, Strom., III, 4, 7’. r, ., t. viii, col. 1133, d’autres termes de cette même langue chrétienne devinrent courants dans le style gnostique pour désigner des objets différents ou pour exprimer des concepts complètement étrangers au christianisme : tels, les mots de foi. de salut, de rédemption. Cela prêtait à l’équivoque, permettait de s’adresser à des fidèles et préparait l’insinuation de la gnose. Car les gnostiques faisaient du prosélytisme. Le but de leur prédication n’était nullement de convertir les païens, mais de pervertir les chrétiens : non ctlmicos convertendi, sed nostros evertendi, dit Tertullien. Præscripl., 42, P. L., t. ii, col. 57. Ils élevaient leur propre édifice aux dépens de la vérité ; opus eorum non de suo proprio œdificio venil, sed de veritatis destructione. Nostra suffodiunt, ut sua œdificent. Ibid., col. 57. Aussi point de schismes parmi eux. ou plutôt c’est le schisme qui fait leur unité. Ils varient pourtant et à qui mieux mieux : dam unusquisque suo arbitrio modulatur quæ accepit, quemad modum de suo arbitrio ea composuit ille qui tradidil.Ibid., col. 58.

Les gnostiques pratiquaient le baptême, avaient leurs catéchumènes, leurs initiés, leurs prêtres. Ils tenaient des assemblées, qui étaient loin de représenter l’ordre et la discipline des réunions chrétiennes. Et voici ce qui s’y passait : Quis catechumenus, quis fidelis incerlum : pariler adeunl, pariter audiunt, pariler oranl ; cliam ethnicis, sisupervenerint, sanctum canibus et porcis margarilas, licet non veras, jaclabu.nl… Pacem quoque cum omnibus miscent : nihil enim interesl illis. licet diversa traclanlibus, dum ad unius veritatis expugnationcm conspirent. Omnes tument, omnes scienliam pollicentur. Ante suid perfeeli catechumeni, quam edocti. Ipsæ mulieres Iwreticæ, quam procaces ! quæ audeant doccre, conlendere, exorcismos agere. curationcs repromitlere, forsitan et iingere. Ordinationes eorum temerariæ, levés, inconstantes : nunc neophglos conlocanl, mine, sa’culo obstrictos, nunc apostedas nostros… Itaquc alius hodie episcopus, crus alius ; hodie diaconus, qui cras leclor ; hodie presbyter, qui cras laicus ; nam et laicis sacerdotalia mimera injungunt. Præscripl., 41, P. L., t. ii, col. 56-57. Dans ce tableau, Tertullien ne parle que des réunions publiques ; la peinture des conciliabules secrets et des réunions nocturnes défie toute plume honnête. Il y est fait mention de deux sacrements, le baptême et l’ordre. D’autre part, saint Irénée fait allusion au sacrement de l’eucharistie, quand il raconte les supercheries de Marc dans la contrefaçon du mystère eucharistique. Cont. hær., I, 13, 2, P. G., t. vii, col. 580-581. Rappelons enfin l’organisation de la hiérarchie dans les églises marcionites, dont il a déjà été question. Ces quelques détails, fort intéressants pour la connaissance des origines chrétiennes, sullisent à montrer la nature et la gravité du danger que le gnosticisme créait à l’Église.

Théorie générale du gnusticisme.

1. Problème à

résoudre. — A négliger les différences de détail qui distinguent, comme nous l’avons vii, les systèmes gnostiques les uns des autres, et à ne tenir compte que de leur fond commun, une théorie générale se dégage, qui a pour point de départ la conciliation de l’existence de Dieu avec l’existence de la matière. Dieu ne peut être que parfait ; et la matière passait aux yeux des gnostiques comme d’essence mauvaise et comme le siège du mal ; elle ne pouvait donc pas être l’œuvre immédiate de Dieu. Le difficile problème à résoudre était d’expliquer l’existence de ce monde matériel en sauvegardant la perfection divine. Les philosophes s’y étaient essa es et y avaient échoué ; les gnostiques, en dépit de leurs

efforts, n’y réussirent pas davantage. Le christianisme donnait une solution nette et parfaitement raisonnable : ce monde a été directement créé par Dieu ex nihilo ; il n’est donc pas. et il ne peut pas être essentiellement mauvais. Quant à l’existence du mal, qui est indéniable, ce n’est point le fait de la puissance créatrice ; le mal est d’origine créée ; il a été introduit dans l’œuvre divine par la créature intelligente et libre ; il est le résultat d’un abus coupable de la liberté, d’une désobéissance ; il est fils du péché. Cette solution, connue des gnostiques, ne fut pas acceptée par eux. De là leur conception erronée de la divinité ; leur distinction arbitraire, dans le monde divin, d’une double sphère, celle du Dieu suprême et celle du démiurge. Cette erreur fondamentale vicie tout leur système.

2. Théogonie.

L’existence de Dieu ne fait pas de doute ; et pour la plupart des gnostiques, Dieu, quel que soit le nom qu’ils lui donnent, est unique en principe. Mais ce Dieu unique n’est qu’une puissance capable de se développer. Il se développe, en effet, par un épanouissement de lui-même, par émanations successive ;  ;. Le nombre de ces émanations n’est pas le même dans tous les systèmes ; mais dans tous les systèmes il y a deux groupes d’émanations, l’un qui compose le monde supérieur, l’autre qui compose le monde intermédiaire ; l’un, au sommet duquel réside le Premier Principe ; l’autre, où se trouve le créateur, le démiurge. Cette dualité du monde divin, dégagée de la multiplication fantastique des éons qui la plupart procèdent par syzygies, se réduit, dans le système de Marcion, à l’existence et à l’opposition tranchée du Dieu bon et du Dieu juste, le Dieu bon ne pouvant être l’auteur du monde matériel, qui est l’œuvre du Dieu juste. A cette distinction arbitraire, mais commandée par l’erreur fondamentale du gnosticisme sur la nature de la matière, les Pères répondaient par la proclamation de l’unité absolue de Dieu, le même Dieu étant l’auteur immédiat de la création. Ipse a semelipso jecit libère et ex sua potestate, et disposait, et per/ecil omnia… Ipse fabricator, ipse conditor, ipse inventor, ipse factor, ipse Dominus omnium ; cl neque prætcr ipsum, ncque super ipsum, neque Mater… nec Deus aller… Hic jecit ea per semetipsum, hoc est per Verbum et per Sapienliam suam, cselum, et lerram, et maria, et omnia quæ in eis sunt : hic juslus, hic bonus ; hic est qui jormavit hominem. S. Irénée, Cont. hær., ii, 30, 9, P. G., t. vii, col. 822. Revenant à la charge et discutant point par point les arguties de Marcion, Tertullien épuise ce sujet. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir deux dieux, l’un bon, tel qu’on l’imagine, l’autre juste, dont on fait le démiurge et que l’on confond ou que l’on identifie avec le Jéhovah de la Bible. De la notion même de Dieu, Tertullien conclut à son unité, et il prouve que le seul vrai Dieu est précisément le Dieu créateur, le Jéhovah de la Bible, tant dénigré par les gnostiques. Ce Dieu unique est à la fois bon et juste, bon en lui-même et par lui-même, juste à cause de nous, et juste parce qu’il est bon : c’est l’admirable formule de Clément d’Alexandrie : àyaôo ; jxèv 6 ©soç ot’éautov, Btxaioç S ; 7 ; 3t] Si’f, ! j.à ; scaî touto o’ti àyaOoç. Strom., I, 9, P. G., t. viii, col. 356. L’argumentation des Pères contre le dualisme de Marcion vaut tout autant. mulalis mulandis, contre l’hypothèse gnostique des deux inondes supérieurs. Quant à la multiplication fantaisiste des couples d’éons qui peuplent le monde supérieur du plérome et le monde intermédiaire du démiurge, elle n’a fait l’objet d’aucune réfutation systématique ; les uns en jugeant l’exposé suffisant pour en montrer l’absurdité, les autres, comme Tertullien dans son Adversus valentinianos, se contentant de la railler.

3. Cosmologie et anthropologie.

Le Dieu suprême imaginé par les gnostiques n’a pu créer la matière, à cause de l’incompatibilité absolue qui existe entre lui,