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GNOSTICISME


phètes et loutes les œuvres du Dieu de la Bible. S. Irénée, Conl. hii-r., i, 27, 2, P. G., t. vii, col. 088. Et c’est à son exemple que les disciples de Marcion doivent lutter de même : docétisme et antinomisme. Après sa mort apparente, ce Sauveur Jésus est descendu aux enfers pour y appeler les justes. Mais à sa voix, qu’ils prennent pour celle de Jéhovah qui les a si souvent trompés, Abel, Enoch, Noé, Abraham, les patriarches, les prophètes et tous les saints de l’Ancien Testament restent sourds. Par contre, Caïn et tous les maudits, les sodomites, les Égyptiens et tous les gentils qui avaient marché dans la voie du mal se présentent ; le Sauveur les délivre et les emmène avec lui dans son royaume. S. Irénée, Cont. hær., i, 27, 3, P. G., t. vii, col. 689.

Dans un pareil système, il ne pouvait pas être question de la résurrection de la chair ; car la chair, œuvre détestable du Démiurge, du Dieu de la Bible, doit être exterminée autant que possible. S. Irénée, Cont. hær., i, 27, 3, P. G., t. vii, col. 689. Le mariage est donc condamné, car il servirait à perpétuer les œuvres de la chair. Terlullien, Prsescript, 33 ; Adv. Marcion., ii, 29 ; iv, 7, P. L., t. ii, col. 46, 281 sq., 486. Aussi Marcion ne conférait-il le baptême qu’à des célibataires ou à des eunuques. Adv. Marcion., ii, 29 ; iv, U, P. L., t. ii, col. 280, 382. Il donna lui-même l’exemple d’un ascétisme rigoureux et conquit ainsi une haute réputation d’austérité. Théoriquement sa morale était sévère. Et tandis que, autour de lui, carpocratiens, valentinicns, morcosiens et autres se livraient aux plus honteux débordements, ses disciples affichèrent des prétentions à la sainteté par l’ascétisme et ne reculèrent pas devant le martyre. Mais, pratiquement, le principe de l’opposition à la loi et aux œuvres du Dieu de la Bible devait entraîner à des désordres et aboutir, comme l’a indiqué l’auteur des Philosophoumena, à la vie la plus cynique.

Pour échafauder un tel système, s’il est vrai, comme l’a remarqué Mgr Duchesne, Les origines chrétiennes, Paris, 1886, p. 165, que Marcion a écarté les rêveries plus ou moins philosophiques, fauche sans pitié à travers les romans théogoniques et renoncé au fatras linguistique, au bric-à-brac des Basilide et des Valentin, il est également vrai que, dans l’usage de l’Écriture, il a procédé d’une manière toute contraire à celle des gnostiques alexandrins. Au lieu d’allégoriser, il a supprimé d’abord tout l’Ancien Testament, et il n’a conservé du Nouveau que dix Épîtres de saint Paul, à l’exclusion des Pastorales, et le seul Évangile selon saint Luc. Et encore dans ce reste a-t-il eu soin de retrancher tout ce qui allait contre sa propre doctrine, comme les éloges de l’Ancien Testament, la généalogie du Sauveur, les textes favorables à l’incarnation et à la rédemption. C’est ce que saint Irénée appelait circumtidere Scripluras, Evangelium, decurtare epislolas. Cont. heer., iii, 11, 7, 9, 12, P. G., t. vii, col. 884, 890, 906. Mais, en dépit de ces habiles mutilations, Terlullien a pris soin de prouver que ce qu’il lui avait plu de retenir suffisait pour le condamner, et de conclure : Cliristus Jésus in Evangelio tuo meus est. Adv. Marcion., iv, 43, P. L., t. il, col. 468.

La doctrine de Marcion fut loin de rester intacte parmi ses partisans. « Il y eut des hérésies à côté de la doctrine du maître. C’est naturellement la théologie qui en fut le prétexte. Tandis que Potilus etBasiliseus demeuraient fidèles au dualisme primitif, Synéros et Prépon dédoublaient le Démiurge et obtenaient ainsi trois dieux, le bon, le juste, le mauvais. On donna aussi un rôle à la matière, SXi, au feu, nupivôç ©so’;, « e i a-dire au Dieu qui parla dans le buisson ardent. Satan lui-même fut un thème à dogmatisme. Le plérome se reconstituait. Vers la fin du iie siècle, Apelles dirigea un mouvement de sens inverse qui ramena une fraction du marcionisme à la monarchie, c’est-à-dire au monothéisme. » Duchesne, Les origines chrétiennes, p. 166.

Les diverses sectes gnostiques.

Il est difficile d’imaginer le nombre des sectes qui se multiplièrent sous le couvert du gnosticisme. Chaque chef forma la sienne ou du moins donna son nom à ses partisans. Mais à côté ou au sein même des foyers les plus puissants, des écoles les plus célèbres, que de confréries, que de groupes, que de divisions 1 C’était un grouillement dans l’anarchie. Il suffisait que le premier venu émît quelque prétention nouvelle, la moindre différence ou la plus légère nuance doctrinale ou pratique, pour voir surgir de nouveaux groupements. A défaut de noms propres, empruntés aux nouveaux docteurs, on prenait le nom d’un patriarche ou d’un personnage de l’Ancien Testament, au besoin celui d’un acte ou d’une attitude. Les Pères en signalent un grand nombre. On trouve, dans saint Irénée et le pseudo-Tertullien, les ophites, les caïnites, les séthites, Cont. hær., i, 30-34, P. G., t. vii, col. 694 sq. ; Prsescript., 47, P. L., t. ii, col. 63-66 ; dans les Philosophoumena, V, p. 138-224 : les naasséniens ou ophites, les pérates, les séthiens ou séthites ; dans Clément d’Alexandrie, Slrom., 111, 4 ; VII, 17, P. G., t. viii, col. 1137 ; t. ix, col. 552 : les antitactes et les pérates ; dans Origène, Cont. Celsum, vi, 28, 30, P. G., t. xi, col. 1137-1138 : les pérates et les naasséniens. Mais c’est surtout saint Épiphane qui, à côté des caïnites, Hær., xxxviii, et des adamites, Hær., lii, signale toute une série de gnostiques sous des noms bizarres : les borboriens, les coddéens, les stratiotes, les phibionites, les zachéens.les barbélites, Hær., xxvi, 3, P. G., t. xli, col. 336-337, 653, 959, qui pourraient bien n’être, comme l’a suggéré Amélineau, Le gnosticisme égyptien, Paris, 1887, p. 240-243, que des termes servant à marquer les divers degrés de l’initiation gnostique. Le gnosticisme a déterminé ou plutôt précipité le détraquement des esprits et la corruption des cœurs, particulièrement dans les milieux de culture médiocre, où la curiosité et l’avidité de savoir se laissent prendre au seul nom de la science, de la gnose, et dans les bas-fonds de la société, où les instincts et les passions ne demandent qu’une apparence de prétexte pour se déchaîner. Libre pensée et libre action devinrent, grâce à lui, pendant plus d’un siècle, un grave danger pour l’Église ; mais l’Église, par la plume de ses écrivains, qui démasquèrent et combattirent le gnosticisme. par la décision de ses chefs qui sauvegardèrent l’intégrité et la pureté de la foi, en condamnant les erreurs et en excommuniant les hérétiques, parvint à enrayer le mouvement, de telle sorte que l’apogée du gnosticisme fut bientôt suivie d’un rapide déclin et qu’à partir du iiie siècle les sectes gnostiques, sauf les marcionites, ne firent plus que végéter, sans éclat et sans force, en attendant de disparaître.

III. Doctrine.

Procédés et méthode.

Ce n’est point au hasard, mais par un procédé bien arrêté, que les chefs de la gnose sont arrivés à constituer leurs systèmes. Et ce procédé se laisse facilement entrevoir dans les emprunts qu’ils ont faits à la philosophie et dans leur manière de plagier l’Église dans sa méthode d’enseignement, dans ses rites et son organisation. Nous devons le relever brièvement.

1. Relativement à la philosophie.

Malgré l’extrême complication de leurs systèmes et l’éclatante parure dont quelques-uns les ont revêtus, les gnostiques ont été, au point de vue philosophique, beaucoup moins des inventeurs originaux que des éclectiques intempérants. C’est à des sources multiples, en effet, qu’ils ont puisé tous les éléments de leur métaphysique ; et sans faire connaître ces sources, ils ont amalgamé de façon disparate des idées étrangères les unes aux autres et n’ont abouti en fin de compte qu’à un syncré-