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GNOSTICISME

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Parmi les nouveaux chrétiens, plusieurs conservèrent des habitudes païennes ; natures faibles, à convictions peu profondes, quelques-uns apostasièrent, comme Phygelle et Hermogène ; âmes inquiètes, tourmentées, impatientes de la vraie doctrine, très sensibles aux tables et aux nouveautés ; esprits mal tournés, orgueilleux et brouillons, tels que Philète, Hyménée et Alexandre. On agitait sans discrétion les matières religieuses ; questions, hypothèses, systèmes, tout devenait prétexte à discussions, et tout servait aux agitateurs de conscience, à de prétendus sauveurs de l’humanité. Timothée, à Éphôse, Epaphras. à Colosses, jetèrent le cri d’alarme. A l’influence persistante du judaïsme s’ajoutait celle du dieu Lunus, du mysticisme phrygien, de l’ascétisme des Galles ; il était question de certaines abstinences, de pratiques d’humilité, de néoménies ; on usait d’artifices de langage, on visait à la sublimité, on faisait appel à la philosophie. Et voici déjà quelques traits caractéristiques du gnosticisme. En outre, on essayait de rabaisser la grande idée qu’on devait avoir du Sauveur ; on réduisait son rôle dans l’Église et dans le monde ; on prétendait que le Fils est trop grand pour s’être fait le médiateur, et que c’est par les anges que doit s’opérer le salut.

Aussi, entre autres choses, saint Paul, pour couper court à ces difficultés naissantes, proclame-t-il le Christ l’image du Père ; il le place au-dessus des anges et affirme qu’il renferme tous les trésors de la sagesse et de la science ; il le dit créateur de tout ce qui existe, rédempteur des hommes par son sang, possédant la plénitude de la divinité. Sous ces expressions de î’Épître aux Colossiens, nul doute que l’apôtre ne vise des prétentions à caractère gnostique, comme celles de faire du Sauveur un éon, de placer la sagesse et la science, non dans la foi, mais dans la gnose, de défigurer l’incarnation et la rédemption, d’attribuer la création à un démiurge et l’œuvre rédemptrice à un Christ fantôme. A remarquer surtout cette formule singulièrement révélatrice : Iv côtiô xa-roixei ~àv tô -Àrjffoaa 0ëOTT]TO ; atoaaTizw ;. Col., II, 9.

L’hérésie gnostique, avec son plérome et son docétisme, est saisie là dans ses premières manifestations. Dans les Pastorales, le tableau n’est plus une esquisse ; sans viser tel ou tel système, sans citer tel ou tel nom, saint Paul trace un portrait ressemblant du gnostique. Il écrit à Timothée : « Garde le dépôt, en évitant les discours vains et profanes, et tout ce qu’oppose une science qui n’en mérite pas le nom, àvriOéu-i ; -f t ; ^£u8tovju. o’j yvtoîjsto ;  ; quelques-uns, pour en avoir fait profession, ont erré dans la foi. » I Tim., vi, 20 II met ainsi son disciple en garde contre les vaines disputes de mots, contre les entretiens profanes qui profitent à l’impiété et gagnent comme le cancer. Sans doute il fait allusion aux fables juives, aux préceptes humains, ce qui rappelle le pharisaïsme judaïsant, mais aussi aux anges et aux généalogies sans fin, ce qui fait penser à la théorie gnostique des éons. Et comme l’erreur a un caractère doeète nettement marqué, il insiste de nouveau sur la nature humaine du rédempteur, sur la réalité sanglante de la rédemption. Il annonce enfin l’action néfaste de ces « calomniateurs, enflés d’orgueil, amis des voluptés plus que de Dieu, ayant les dehors de la piété sans en avoir la réalité, qui toujours apprennent sans pouvoir jamais arriver à la connaissance de la vérité, et qui, viciés d’esprit et pervertis dans la foi, s’opposent à la vérité. » II Tim., ni, 3-9.

Semblahlement les Épitres catholiques nous mettent en présence de doginatiseurs, de révélateurs ou d’adeptes de systèmes qui sont aussi opposés à la foi qu’à la morale : même prétention impudente de posséder le secret et la certitude du salut dans une science supérieure ; même opposition de la gnose à la foi ; même tendance à rabaisser la personne et l’œuvre du Christ.

Mais de plus ces faux docteurs nient la divinité du Sauveur, II Pet., ii, 1, l’incarnation, la réalité de la nature humaine du Christ, regardant les œuvre ; comme complètement indifférentes devant Dieu et abusant de l’Écriture pour justifier leurs erreurs.

Avec saint Jean nous touchons à la fin du I er siècle et, dans cette fermentation de systèmes de la province d’Asie, à la double émancipation de la foi, dans la personne de Cérinthe, et des mœurs, dans celle de nicolaïtes. Cérinthe, voir t. ii, col. 2151-2155, était d’Antioche, contemporain de Saturnin ; il connaissait la gnose syrienne et aussi, pour avoir séjourné à Alexandrie, la gnose égyptienne ; il considérait la matière comme une chute, dégradation de l’esprit ou de l’idée, fille des ténèbres, et donc mauvaise. Avec les nicolaïtes, on constate l’aboutissement logique et pratique du gnosticisme, qui s’abîme dans la boue ; ils prétendaient, en effet, échapper aux misères humaines et ne point contracter de souillure dans les œuvres de la chair, l’âme étant bien au-dessus par la possession de la gnose. Saint Jean combattit énergiquement ces erreurs.

Et lorsque, au commencement du ue siècle, saint Ignace d’Antioche passa à Smyrne, il profita de l’occasion, dans les quelques lettres qu’il écrivit, pour dénoncer les dangers de la gnose judaïsante, du docétisme, et pour insister avec force sur la réalité de l’incarnation et de la rédemption, contre ceux qu’il qualifiait d’empoisonneurs publics et de patrons de mort, Ad Smyrn., v, 1 ; d’athées et d’apparence saine, Ad TralL, x, qui « s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière parce qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a souffert pour nos péchés et que le Père, dans sa bénignité, a ressuscitée. » Ad Symrn., vii, 1, Funk, Opéra Pair, aposl., Tubingue, 1881, t. i, p. 208, 238, 240.

Le gnosticisme en Syrie.

Quand saint Jean et

saint Ignace réprouvaient la gnose judaïsante, et notamment le docétisme, il y avait déjà longtemps qu’Antioche, la capitale de la Syrie, était devenue un foyer de gnosticisme ; elle le devait à Ménandre, disciple de Simon le Magicien.

1. Simon le Magicien.

Avant de se faire baptiser à Samarie, Simon de Gitton avait pratiqué la magie et conquis ainsi un puissant ascendant sur les Samaritains qui l’appelaient Aûvaiu ; toj 0eo3 r xaXe>'j ; juv7j Mîyâ/r, . Act., viii, 10. Le miracle et les grands prodiges dont il fut le témoin, lors de la visite du diacre Philippe à Samarie, le frappèrent d’étonnement. Et lorsque, à l’arrivée des apôtres, Pierre et Jean, il vit que le Saint-Esprit était donné par l’imposition des mains, il n’hésita pas à offrir de l’argent pour posséder un tel pouvoir. On sait la réponse sévère que lui fit saint Pierre. Mais sans rompre aussitôt, puisqu’il demanda aux apôtres de prier pour lui, il ne tarda guère à se séparer de l’Église. A Tyr, il trouva son Hélène, femme de mauvaise vie, mais qu’il dit être la brebis perdue dont il avait assuré le salut. Et il se mit à répandre sa doctrine, sans qu’on sache rien d’historiquement certain sur les lieux qu’il visita et sur la ville qu’il choisit pour y tenir école.

Autant qu’on en peut juger par l’analyse de son œuvre, dans saint Irénée et les Philosophoumena, ce dut être un homme cultivé, connaissant et citant les poètes grecs, Philosoph., VI. 11, 15, 19, p. 249, 256, 263 ; connaissant aussi les philosophes, notamment Platon, Philosoph., VI, 9, p. 246 ; et ayant emprunté à Philon la méthode exégétique qui consista à substituer, dans l’interprétation de l’Écriture, le sens allégorique au sens historique. Avec cela pratiquant la magie pour éblouir les simples et se faire une clientèle. Esprit remuant et ambitieux, voulant jouer un rôle religieux cl se flattant peut-être de supplanter l’Église. Avait-il