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EON DE L’ETOILE

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nisme pur au moyen âge. Pour comprendre son rôle, il faut se reporter à son temps. Il n’y avait alors aucun droit qui protégeât la société. Les barons bretons étaient devenus de véritables brigands. Devant cette horrible anarchie, en l’absence de tout droit écrit et en action, il est probable que des milliers d’hommes s’étaient jetés dans la vie sauvage ; mais personne n’avait érigé en principe ce déplorable système. Éon le fit. Il proclama la maxime : « Tout est à tous. » Quand on invite ceux qui n’ont rien à se partager les biens de ceux qui possèdent, on allume aisément des convoitises, et, si les circonstances s’y prêtent, on a chance d’être suivi. Éon réussit parce que : 2° loin d’être le fou qu’on se représente, il ne fut pas dépourvu de l’habileté nécessaire. Agissant sur des populations frustes, farouches, d’une religion grossièrement comprise, mais de tempérament religieux, déclarant la guerre au clergé, et, précise Guillaume de Newbury, ecclesiis maxime monasteriisque infestas, il songea à remplacer ce qu’il voulait détruire et se donna hardiment pour celui que le symbole annonçait comme le juge des vivants et des morts. On comprend, dès lors, que la multitude fanatisée ait été, dans ses mains, l’instrument docile que les textes nous montrent, tandis qu’on a peine à comprendre qu’un aliéné ait créé un mouvement tel que celui qu’il suscita et l’ait dirigé avec la maîtrise dont il fit preuve. Reste à expliquer, dans cette hypothèse, le langage qu’il tint au concile de Reims ; mais ne pourrait-on pas admettre que, se sentant perdu, il simula la folie devant le concile, afin d’échapper à une condamnation rigoureuse ?


Quoi qu’il en soit de ces suppositions, il semble acquis que l’enseignement d’Éon de l’Étoile se réduisit aux points suivants : sa filiation divine, la guerre à l’Église (hiérarchie, biens des églises et des monastères), une sorte de communisme. Pierre le Chantre, Verbum abbreinatum, c. lxxviii, P. I, ., t. ccv, col. 229, cf. col. 545, qui ne prononce pas son nom, l’appelle quidam manichœiis, et Robert Abolant, dans sa continuation de la Chronique de Sigebert de Gembloux, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XIII, p. 332, dit : de suis quosdam quidem angelos, alios autem apostolos faciebat, et propriis angelorum seu apostolorum nominibus appellabat, quo plane signa et ipsum ex manichœorum offlcina prodiisse possumus intclligere ex iis quie dicta sunt suo loco de manichœis. Faut-il en conclure qu’Éon fut un manichéen ou cathare ? On l’a dit, cf., en particuher, I. von DôUinger, Beitràge zur Sektengeschichte des Mittelalters, Munich, 1890, t. i, p. 102-104, mais sans fondement assez ferme, car le signe qu’en donne Robert est bien vague et incertain, et l’appellation de Pierre le Chantre, qui manifestement ne connaît guère Éon de l’Étoile, s’explique par ce fait que, de son temps, volontiers on qualifiait de « manichéens » les obscurs hérétiques contemporains du renouveau du manichéisme. En dehors de son hostilité contre l’Église, nous ne voyons pas qu’Éon ait eu des doctrines communes avec les cathares. Il en serait autrement si l’on pouvait admettre avec Brial, Recueil des historiens des Gaules et de la France, Paris, 1808, t. XV, p. 697 ; cf. H. C. Lea, Histoire de l’inquisition au moyen âge, trad. S. Reinach, Paris, 1903, t. i, p. 74, que le traité d’Hugues d’Amiens, archevêque de Rouen, Contra hsereticos sui temporis, c’est-à-dire contre des hérétiques bretons du milieu du xiie siècle, P. L., t. cxcii, col. 1255-1298, est dirigé contre Éon et ses partisans. Il est question, dans cet écrit, d’erreurs sur le baptême des enfants, sur le mariage, etc., qui ne sont pas sans analogies avec l’enseignement cathare, sans toutefois le reproduire suffisamment pour qu’on soit autorisé à ranger parmi les cathares ces

hérétiques. Mais il semble difficile d’attribuer à Éon et aux siens toutes ces erreurs et les arguments subtils que l’archevêque de Rouen met dans leurs bouches, étant donné surtout que les anciens chroniqueurs qui parlent d’Éon ne lui prêtent rien de pareil ; ces hérétiques de la Bretagne s’apparentent plutôt aux henriciens et aux pétrobrusiens. Cf. Histoire lillénire de /a France, 2e édit., Paris, 1869, p. vii, 658 ; H. Haupt, Realencyklopâdie, Leipzig, 1878, t. v, p. 576 ; surtout Ch. Molinier, Revue historique, Paris, 1894, t. liv, p. 158-161.

Éon fut condamné à la prison par le concile de Reims, et confié à la garde de l’archevêque de Reims, d’après le prcmontré Robert Abolant, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. xiii, p. 332 ; Pierre le Chantre, P. L., t. ccv, col. 229, 545, à celle de Suger, abbé de Saint-Denis, d’après Othon de Freising, De gestis Friderici imperatoris, 1. I, c. lv, dans Recueil des historiens des Gaufes et de la France, t. xiii, p. 658. Il mourut peu de temps après. Ses partisans s’étaient répandus assez vite dans diverses provinces, au rapport du Chronicon britannicum, ibid., t. xii, p. 558 ; Ôtlion de Freising, ibid., t. xiii, p. 658, précise que ce fut circa Briianniam et Guasconiam. Si ce dernier renseignement est exact, il est possible que le concile de Reims ait en vue les éonites, en même temps que les henriciens et autres précurseurs du catharisme, dans son 18 « et dernier décret, où il ordonne ut nullus omnino hominum hæresiarchas et eorum sequaces, qui in parti bus Guasconiæ ant Provinciæ vel alibi commorantur, manu tencat vel defendat. Labbe et Cossart, Sacrosancta concilia, Paris, 1671, t. x, col. 1113. Ce qui est sûr, c’est que les éonites furent traqués ; dans le diocèse d’Alet surtout (sans doute Alet en Bretagne, et non Alet en Languedoc, comme le dit H. Haupt, Realencyklopâdie, t. v, p. 576), ils furent irréductibles, préférant les supplices et le bûcher à la rétractation. Les historiens de l’inquisition remarquent là-dessus que, à cette date, la répression de l’hérésie n’avait pas de règles fixes — tandis que le novateur fut condamné à la prison, ses sectateurs furent punis du bûcher — et que, d’autre part, « la sévérité déployée contre les disciples d’Éon ne provenait pas de leurs erreurs, mais bien des meurtres, pillages et incendies, dont ils s’étaient rendus coupables. » Th. de Cauzons, Histoire de l’inquisition en France, Paris, 1909, t. i, p. 240, note.

I. Sources.

Les textes relatifs à Éon de l’Étoile se trouvent dans le Recueil des Iiistoriens des Gaules et de la France, Paris, 1781, t. xii, p. 558, ex chronico brilannico ; 1786, t. -xiii, p. 97-99, ex Guillelmi Neubrigensis de rébus anglicis, l.I, c. xix ; p. 273, 274, exauclario Gcmblacensi (ces textes du continuateur de Sigebert de Gembloux se lisent aussi P. L., t. CLX, col. 264, 266) ; p. 291, ex Roberti de Monte appendice ad Sigeberlum (cf. P. L., t. clx, col. 465, et L. Delisle. Chronique de Robert de Torigmj, abbé du mont Saint-Michel, Rouen, 1872, t. i, p. 248) ; p. 332, ex alterius Roberti appendice ad Sigeberium (cf. P. L., t. clx, col. 375, c’est le prémonlré Robert Abolant) ; p. 501, ex Lambeni Waterlosii chronico caweracensi ; p. 658, ex Ottonis Frisingensis de gestis Friderici imperatoris, 1. I, c. liv-lv ; p. 701, ex chro-MCI Albcrici trium fontium monachl (cî., sur ce passage, E. Vacandard, Vie de saint Bernard, Paris, 1895, t. ii. p. 233, note 2) ; p. 736, ex chroniro cassinensi (reproduit dans le t. XV, p. 425) ; 1806, t. xiv, p. 22, ex Nicolai Ambianensis chronico ; 1808, t. xv, p. 697, lettre de l’archevêque de Rouen, Hugues d’Amiens, au cardinal Albéric d’Ostie (c’est la dédicace du traité Contra hxreticos sui temporis, publié en entier dans P. Z.., t. cxcii, col. 1255-1298). Cf. encore Pierre le Chantre, Verbum abbreviatum, c. lxxviii (deux rédactions), P. L., t. ccv, col. 229, 545.

II. Travaux.

J. C. Fùsslin, Kirchen und Ketzerhistorie der mitlleren Zeit, Francfort, 1770, t. I, p. 235-240 ; C. U. Hahn, Gcschichle der Kelzer im Mitlclalter, Stuttgart, 1845, t. I, p. 463-465 ; Ch. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois, Paris, 1849, t. i, p. 48-49 ;