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ENFER (SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT THÉOLOGIQUE)


tion aux degrés essentiels fixés, mais aussi pas de cet absolutisme qui ne met partout que douleur : société, sens externes, souvenirs, etc. ; il reste enfin chez les damnés une vraie capacité de consolations secondaires, accidentelles, réelles ; « un ordre admirable règne et régnera en enfer. » On trouve généralement ces idées chez les partisans de la mitigation ; de plus, chez L. Picard, La transcendance de Jésiis-Chi isl, Paris, 1905, t. II, p. 101-102.

Le point fondamental est ici celui du désordre moral complet des damnés, voir col. 106 : le reste suit logiquement. Les auteurs, que scandalise l’enfer traditionnel, n’ont pas réfléchi sur la nature de l’état de terme, sur la nature de la privation totale de Dieu et donc de tous ces biens créés qui n’étaient ici-bas cpie des moyens pour aller à Uieu ; sur la nature du péché et de l’ordre de la justice divine ; sur tous ces l)oints il faut s’en tenir à la iiensée chrélicnne traditionnelle, qui, seule, projette des lumières sûres en ces matières mystérieuses.

VU. GlSADUATION DES PEINES DE l’eNFER. 1° Le

principe de l’inégalité des supplices infernaux a été .suffisamment établi à l’art. Dam, t. iv, col. 16. Les textes principaux de l’Écriture qui le prouvent sont ceux de Sap., v, G : potentes potentcr tornicnla jHilientur ; Matth.jX, 15 ; XI, 21-24 : lerm’Sodomorum… lemissius erit ; xxv, 14-30 ; Luc., xii, 47, 48 : vapiilahil nmltis…, rapnlabit panels, etc. D’ailleurs, d’après l’Écriture, le jugement et la rétribution se feront sccundiun opéra. Matth., xvi, 27 ; Rom., ir. (î, etc. La raison fondamentale est évidente : l’enfer suit le péché comme l’ordre à rétablir suit le désordre et se mesure évidemment sur lui. Donc tel péché, tel enfer : et cela tant pour la peine du dam que pour les peines du sens.

2° Comment se fait cette graduation ? Xous ne pouvons en avoir, ici bas, d’idée propre. Pour l’explication analogique, accessible à notre intelligence, sur la peine du dam, voir Dam, t. iv, col. IG sq. Quant aux inégalités des peines du sens, il est nécessaire d’abord de préciscr les alfirmations absolues, ]irccédemment exposées, par cette règle que ces peines existeront à des degrés divers ; ce qui diminuera ou augmentera, suivant les cas, l’horreur et le supplice de la perversion totale, de la rage désespérée, de la haine Idasphématoire, du feu perpétuel, de la société affreuse, etc., de la soufirance pure enfin. Dieu ensuite doit directement et principalement intervenir en tout cela, car lui seul sait et peut proportionner exactement chaque supplice à chaque faute ; l’action instrumentale des créatures est réglée par la justice divine, sans que nous puissions savoir si c’est suivant des lois générales ou suivant des interventions individuelles. Ainsi, il est vrai qu’au point de vue de Dieu, en enfer « règne et régnera un ordre admirable. »

3° Pour parler d’une façon plus concrète, la graduation de châtiments en enfer ne scra-t-elle que générique d’après la gravité du péché en tant que I)éché, ou sera-t-clle encore spécifique, des supplices spéciaux étant réservés aux diverses espèces de péchés ?

C’est la pensée traditionnelle qu’un voluptueux, par exemple, plus coupable qu un avare, non seulement souffrira plus du feu que lui. mais en souffrira en son âme et en son corps, d’une façon réservée aux voluptueux. La Sagesse, XI, 17, dit : Prr qiiie prrcal f/iiis pcr hiec el (orquedir ; le mauvais riche de l’Évangile, Luc, XVI, 21, demandait une goutte d’eau pour sa langue, une âme séparée n’a pas de langue ; mais ce trait n’était-il pas approprié par Notrc-Seigneur aux péchés de gourmandise de celui qui cpnluhatur quotidiesptendide ? Ci. S. Cyprien, Episl., xii, ad Cornet., n. : i, 4, I’.L., t. iii, col. 825, 820 ; S. fJrégoire. Moral., 1. IX, c. LXV, /’. /.., t. i.xxv, col. 913 ; Diat., I. IV,

c. XXXV, P. L., t. Lxxvii, col. 380, 381 ; Innocent III, De contempla mundi, 1. III, c. iv. vi, P.L., t. ccxvii, col. 738, 739 ; Robert Pullus, Sent., 1. VIII, c. xv, P. L., t. CLXxxvi, col. 983 ;.S. Thomas, Contra gentes, 1. III, c. cxLvi. Voir aussi le beau passage de V Imitation de Jésas-CIwist, 1. I, c. xxiv, n. 3, 4. La raison de convenance est claire. La peine du sens » c’est l’ordre rétabli dans l’abus des créatures ; il faut donc que la peinc, instrument de cet ordre, aille chercher l’abus, le péché (comme reatus conversionis), le désordre partout où il est pour le corriger parfaitement.

Il j^ a différentes espèces de châtiments en enfer. Il est inutile de chercher si elles se feront sentir dans les âmes et dans les divers organes par l’inlluence de créatures spéciales en des lieux divers ou plutôt par l’innuence < divinement intelligente » du même feu, instrument de la justice divine, suivant une pensée habituelle des Pères. Cf. S. Grégoire, Moral. ^ 1. IV, c. XLiii. Cependant, il y a un fondement de vérité dans les descriptions, par un certain côté théologiques, de l’Enfer de Dante Alighieri. Le poète, dans la peinture de ses cercles de supplices de plus en plus profonds vers le centre de la terre, n’a fait que développer ce principe de saint Thomas : Secundum diversitalem cnlpa : diversam sortinntur et pœnam, et ideo seciindam qiiod graviorilnis peccatis irretiuntur damnati, secundiim Ixoc obscuriorem lociun et profiindiorcni obtinent in inferno, Sam. tixeoL, III-’» Suppl., q. i.xix, a. 5, et il l’a fait d’après une division très théologique des péchés, exposée systématiquement, //î/crno, chant XI. Cf. Bertliier, La dirina Commedia di Dante eon cnmmenti seconda la scolasticd, Fribourg, t. I, L’inferno, 1909 ; A. M. Viel, La divine Comédie, .sa structure théologiqne, dans la Revue thomiste, 1910, p. 321 sq.

Gravité des pciijes de l’enfer.

La mesure absolue

de cette gravité nous est encore inconnue. Qui peut apprècier ce que la justice et la miséricorde réclament et décident pour le parfait châtiment d’un péché ? Relativement aux peines que nous connaissons directement, c’est-à-dire aux peines d’ici-bas, que dire de celles de l’enfer ? La jieinc du dam, même la plus petite, dépasse immensément toutes les souffrances de ce monde, voir Dam, t. iv, col. 9 sq. ; en est-il de même de toute peine du sens ? Toute peine de l’enfer dépasse-t-elle, d’une façon incompréhetisiblc sans doute, toute peine terrestre, réelle et même imaginable ?

Les théologiens qui. à la suite de saint Thomas, In IV Sent., 1. IV, disl. XX, q. i, a. 2, et semblc-t-il de saint Augustin, //i /). !. v.vvvv/, 3, P. L., t. xxxvi, col..397 ; de saint Grégoire le Grand, In ps. ni pœnit., n. 1, P. L., t. i.xxix, col. 508 ; de saint.Knseltne, de saint Bernard, etc. font à cette question une réponse adirmalive même pour le purgatoire. la font a fortiori jjour l’enfer. Les autres, à la suite <le Hellarmin. De purf/alorio, 1. II, c. xi. Opéra, Naples. 1872, t. ii, p. 102 sq., ne se sont guère posé exiilicitement la question. Le fait mêmetiu’ils ne discutent ce pointque l)our le purgatoire permet de conclure ((u’ils regardent la chose comme certaine pour l’enfer..Si ce n’est l)as en elle-même et prise à part, au nmins dans ses circonstances d’éternité, de souffrance pure sans réel soulagement, de support par un sujet déjà exaspéré et tourmenté de tous côtés, toute soufirance de l’enfer peut donc être considérée comme appartenant à un ordre qui dépasse tcuites les soulTrances d’icibas. II s’agit de tout genre de soulTrance, propre aux damnés, et non de chaque acte jiassager. par exemple, de vexation de la part des démons. On peut noter, en outre, avec saint Thomas, .S’i ; mi. Ilieot.. 1° I k, q. i.xxxvii, a. 4, fpie si la peine du dam est d’une certaine façon