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EUCHARISTIE AU XIP SIECLE EN OCCIDENT


volontiers à un oubli quMl aurait voulu réparer, tant on est surpris de rencontrer quelques lignes sur cette question après le chapitre sur les consécrations des indignes.

Les gloses sur le Décret, comme celles de.1. de F’ant, peut-être de Jean de Fænza (sur l’identification, encore contestable, voir toutefois Schulte, Geschichie der Qiiellen des can. Jkclits, Stuttgart, 1875, t. i, p. 140), croient encore à la disparition du corps du Christ, au moment d’un outrage. De consecratione, dist. II, c. 94, Qui bene, Lyon, 1634, p. 1964. Voir aussi les avis rapportés par Giraud le Cambrien, op. cit., I, 9, p. 30, et Césaire de Heisterbach, op. cit., IX, 13, p. 174, 175.

Alain de Lille se rapproche davantage de la vérité, quoique son explication, qui recourt à l’exemple de ceux qui se nourrissent de la seule odeur des fruits, soit peu satisfaisante, Contra hiereticos, i, 58, P. L., t. ccx, col. 359, 362-363 ; quand il parle des produits de la digestion, il est moins heureux et ne touche pas à la vérité. Ibid., p. 363.

Pierre de Poitiers a une solution meilleure : à propos des prières : Jubé, Domine, istud deferri in sublime altare tuiim, qui rencontre des interprétations différentes, il se pose une question relative à la permanence de la présence réelle sur l’autel ou chez le communiant : voici la réponse qu’il relate : et dicunt quamdiu servatur sapor qui remanet, facta transsubstantiatione, tamdiu est ibi corpus Christi. Cum vero nec sentitur sapor, nec apparet species panis, non est ibi corpus Christi, quia non est ibi sacramentum, sub quo velabatur. Op. cit., 1. V, 12, P. L., t. ccxi, col. 1252. Faut-il y voir une formule discrète employée à dessein pour éviter les mots an corpus Christi digeratur ? C’est possible ; mais son langage n’apporte qu’un peu plus de précision aux termes qu’il a pu trouver chez Hugues de SaintVictor, toc. cit. On peut même dire que celui-ci n’a guère été dépassé.

Innocent III lui-même ne marque guère un progrès en ce point. S’il eut la sagesse de préférer, parmi les modèles qui s’offraient à son choix, les discrètes remarques de Hugues de SaintVictor (ce que fait aussi VExpositio cononis missæ du pseudo-Pierre Damien, en les entremêlant de phrases prises à Innocent, n. 6, P.L., t. CXLV, "ol. 883), il n’apporte aucune précision nouvelle ni dans la pensée, ni dans l’expression. Op. cit., 1. IV, 15, P. L., t. ccxvii, col. 867. Quant au cas d’incendie, etc., il admet qu’un nouveau pain est miraculeusement créé avant que les espèces deviennent la proie des flammes ou d’un animal, bien que, toutefois, les accidents séparés puissent être aussi brûlés ou mangés. Op. cit., 1. IV, 11, col. 863.

Prévostin eut plus de décision : il admet franchement l’avis d’Eudes de Paris qu’il cite (ms. de Bruges 237, fol. 82, v. 2) : Item queritur quid sumal mus ? Ici il se contente de mentionnere Dominus novii du Lombard. Puis il continue : M. Odo dicit quod immundius est os peccaloris quam os nuiris et sicut potest esse in are peccaloris sine sui inquinamenlo ila et in ore mûris. Non est enim major ratio quare possit esse in immundissima pixide et non possit cssc in ore mûris.

C. Double munducation pour les bons et les mauvais.

— La double manducation par les bons ou par les mauvais a déjà été mentionnée diverses fois au cours de cet article ; nous avons vu comment elle se liait aux problèmes issus de la croyance à la présence réelle, comme dans le fait de la communion de Judas, ou de la durée de cette présence dans les espèces sacramentelles. Malgré la nette affirmation de Lanfranc, De corpore et sanguine Domini, xx, P. L., t. cl, col. 436, il se rencontre, à la fin du xife siècle et au commencement du xiie siècle, des théologiens peu éclairés pour prétendre que le corps du Christ se

retire de l’hostie au moment où un indigne va communier, quilmond réfute longuement cette erreur. Op. cit., III, P. L., t. cxLix, col. 1491 sq. Quelque quarante ans plus tard, V Elucidurium d’Honoré d’.ulun reflétait encore cette opinion : corpus autem Christi per manus angelorum in cielum defertur, carbo vero a dœmonc in os projicitur ut Cypiianus testatuT, 1, 30, P. L., t. CLxxii, col. 1131 ; cf. aussi col. 1132, sur Judas. L’Eucluirislion est plus exact et la question posée : utrum in ore indigne sumentium in aliam naturam commutetur, 9, col. 1255, est résolue dans un sens qui ressemble à une rétractation(à moins qu’il ne faille donner raison à Hauck contre Endres sur la paternité de l’ouvrage) : caro ejus de pane conjecta in nullam allant naturam transmulabitur. Idem enim est in ore pessimi quod in ore piissimi… diversa in diversos efficil, causa gloriic… causa pœnæ. Ibid., col. 1255.

Désormais, les rejnésentants des écoles sont unanimes dans leur idée, si pas dans leurs expressions. Faut-il voir une exception dans Rupert de Deutz, comme le veulent quelques théologiens, tels que Bellarmin, op. c17., observ. 23, et Vasquez, In Ill^^partem, dist. LXXX, c. i ? Les textes ne sont nullement concluants contre le moine de Saint-Laurent ; ils seront discutés dans l’article sur Rupert. Nous renvoyons en attendant à Y Apologia Ruperli de Gerberon, P. L., t. cLxx, col. 124-132. Hugues de Saint-Victor n’a pas de chapitre spécial sur cette matière, mais il prépare nettement le travail à ses successeurs par ses développements sur le sacramentum et res, op. cit., I. II, part. VIII, 5, 7, P. L., t. clxxvi, col. 465, etc. ; la Surruna sententiarum dit que tous reçoivent le sacramentum (se rappeler la distinction entre res et sacramentum, la res toute seule et le sacramentum tout seul, c’est-à-dire ici corpus et sanguinem, vi, 7, P. L., t. CLXXVI, col. 1430) ; les bons reçoivent, en outre, rc/ji, c’est-à-dire i’psam e/7 ! cacîa77), ou, selon l’expression de saint Jérôme, spiritualem carnem Christi. Ibid.

Pour Roland, il y a la corporalis et spirilualis assumptio accordée aux bons, la corporalis tantum pour les mauvais (avec la communion de Judas, op. cit., p. 229-230). Voir aussi les Senientiæ divinitatis, p. 136, avec la question sur Judas, Ognibene, édit. Gietl, p. 229, 14, et ri ?pi/ome, c.xxix, P.L., t. clxxviii, col. 1741, etc.

Le Magister Sententiarum a un long passage sur cette question : il y a, dit-il, la manducation sacramentalis pour les mali, qui reçoivent la vraie chair née de Marie, mais non la chair mj’stique du Sauveur ; les boni ont la manducation sacramentalis et spirilualis (comme Roland : corporalis et spirilualis). Le Lombard continue ses développements dans toute la dist. IX et fait le commentaire des expressions difficiles d’Augustin, 1. IV, dist. IX, édit. Quaracchi, p. 199200. Il a le texte classique de Lanfranc, De corpore et sanguine Domini, xx, P. L., t. cl, col. 436, mais il le place, tout comme la Summa, vi, 6, P. L., t. CLxxvi, col. 143, sous le pavillon de Grégoire le Grand, ibid., n. 2 : est quidem in peccaloribus et indigne sumentibus vera Christi caro et verus sanguis, sed esscnlia non salubri efjicientia.

La spirilualis et la corporalis nianducatio tontl’oh]ii. de plusieurs chapitres aussi chez Guillaume de Saint-Thierry, op. cit., v-viii, P. L., t. cLxxx, col. 351-355, qui y applique la distinction du dup//c17er caro Ciirisli.

Les paroles du Lombard seront répétées en résumé par Pierre de Poitiers, op. cit., 1. V, 13, P. L., t. ccxi, col. 1252-1253, et ici, comme souvent ailleurs, Innocent III se fera l’héritier des idées et même des expressions de Pierre Lombard, loc. cit., et de Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, 1. II, part. VIII, 5, P. L., t. ccxxvi, col. 465 : boni comedunt ad salutem, mali… ad judicium. Op. cit., IV, 14, P. L., t. ccxvii.