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EUCHARISTIE AU XIP SIÈCLE EN OCCIDENT


semble avoir déconcerte beaucoup de leurs contemporains, Guitmond, 1. II, col. 1445, 1450 ; Alger, 1. II, 1, passim ; nous y reviendrons en détail plus loin.

On peut voir, par ce court exposé, combien, à l’aurore du xiie siècle, les réponses aux attaques de Bérenger avaient fait progresser la théologie de l’eucharistie et l’expression du dogme. Voir dans Schnitzer, Bcrengar von Tours, Munich, 1899, p. 406410, un résumé de ces progrès. Guillaume de Saint-Thierry le constate franchement dans son traité De corpore et sanguine Doniini, dédié à saint Bernard, c. x, P. L., t. CLxxx, col. 359. L’émotion produite ne devait pourtant pas s’apaiser immédiatement partout. Des groupes de dissidents, des âmes troublées continuent à se rencontrer dans les cloîtres, dans les villes ou les campagnes, qui provoquent l’éclosion de nouvelles œuvres : apologies du dogme, exposés de la doctrine, réponses à des questions, etc. Comme on peut le voir plus loin dans les paragraphes consacrés aux traités spéciaux, aux correspondances, aux sermons de l’époque, etc., tout cela tient les esprits en éveil et suscite une analyse théologique plus minutieuse, dont les Sommistes seront les premiers à bénéficier. Voir plus bas les textes qui manifestent ces états d’âme. Nous nous contentons pour le moment de renvoyer à la Theologia d’Abélard qui constate que la controverse bérengarienne n’était pas encore close après 1120 : sed nec adhuc illam summam controversiam de sacramento allaris, uiruinvidelicei panis ille qui videiur figura iantum sit dominici corporis an etiam Veritas substanliee ipsius dominicie carnis, finem accepisse cerium est. Theologia christiana, 1. IV, P. L., t. CLXxviii, col. 1286.

2. Polémique contre les cathares, vaudois et autres sectes hérétiques. — En même temps se lèvent d’autres catégories d’adversaires qui succèdent aux bérengariens et laissent une trace de leurs attaques dans les recueils systématiques des sentencicrs. C’est surtout dans l’ironie de certaines objections contre la présence réelle et la conversion du pain et du vin que s’accuse cette influence. Elle a son intérêt spécial, car elle nous donne la clef de beaucoup de ces opponitur des Libri Sententiarum ; les difficultés proposées n’étaient donc pas toujours simple jeu d’école : elles avaient leur réalité historique et l’on ne peut que regretter de voir les Sommistes, fidèles à une habitude qui caractérise malheureusement presque tous les théologiens du moyen âge, ne pas nous livrer le nom de leurs adversaires et les cantonner impitoyablement dans l’anonymat.

Nos renseignements sur ces sectes hérétiques qui, sous le nom de cathares, de vaudois, de patarini, de bonshommes, de passagiers, etc., s’infiltrent un peu partout, mais se rencontrent compactes surtout dans le midi de la France et dans le nord de l’Italie, sont de nature un peu mêlée ; presque tous proviennent de plumes catholiques : historiens et chroniqueurs, sermons antihérétiques, manuels de controverse, rapports et guides des inquisiteurs surtout et dépositions recueillies par les tribunaux ecclésiastiques. D’écrits hérétiques originaux, il ne nous reste que peu de chose et, en dehors de quelques indications secondaires, les réfutations systématiques que l’on possède ne remontent guère au delà des vingt dernières années du siècle. Ces considérations ont amené A. Réville, Les albigeois, dans la Revue des deux mondes, mai 1874, p. 44 ; Ch. Molinier, Un traité inédit du Mile siècle contre les hérétiques cathares, Bordeaux, 1883, p. 10 ; Luchaire, Journal des savants, 1908, p. 20, dans l’analyse del’ouvragede Jean Guiraud cité plus bas ; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, Leipzig, 1903, t. IV, p. 853, note 1, à se montrer exagérément défiants vis-à-vis de « la tendance de ces juges et de ces

historiens, » ou de > la voix de ces juges devenus trop souvent des bourreaux. « Mais, à la suite de K. Schmidt, qui a établi la concordance des documents, dequelque pays et de quelque date qu’ils proviennent, Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois, Paris, 1849, t. ii, p. 3 sq., Jean Guiraud, approuvé par G. Monod, dans la Revue historique, 1907, t. xciv, p. 353, a montré la véracité de ces auteurs qui nous renseignent. Toutes les informations qu’ils nous fournissent, de {[uelque source qu’elles émanent ou dans quelques circonstances qu’elles se produisent, sont convergentes, et le plus mauvais service qu’eussent pu rendre ces écrivains à leurs ambitions d’apôtres ou de controversistes, eût été d’attribuer à leurs adversaires des erreurs imaginaires. Pour l’examen et l’appréciation des sources, nous renvoyons au beau travail de J. Guiraud, Le cartulaire de Notre-Dame de Prouillc, Paris, 1907, t. i, p. xix-xxxi, qui nous renseigne aussi sur la diffusion des erreurs albigeoises, p. cxxv sq., ccvn sq. La substantielle étude de K. Muller, Die Waldenser und ihre einzclne Gruppen bis zum Anfang des xii Jalu-hunderts, dans les Theologische S Indien und Kritiken, 1886, t. lix, p. 665-732 ; 1887, t. lx, p. 45-146, permettra aussi de distinguer entre les cathares et les vaudois qui n’apparaissent que plus tard. Ceux-ci sont moins éloignés des catholiques que les cathares, avec qui on les confondra ensuite. Ce qu’ils nient surtout dans l’eucharistie, fidèles à leurs principes sur la situation des âmes dans l’autre vie, c’est l’efiîcacité de la messe pour les défunts. Bernard de Fontcaude, O. P., Liber adversus waldensium sectam, P.L., t. cciv, col. 793 sq. ; Ébrard de Béthune, Lifter contra waldenses vcl antihæresis, dans la Bibliotheca Palrum, Lyon, t. xxiv, p. 15 ; Luc de Tuy en Galice, De altéra vila fldcique controversiis, ibid., t. xxv, p. 194 sq. Cf. K. Muller, loc. cit., 1886, p. 706 ; 1887, p. 69. Les hérétiques qui suivent Pierre de Bruys dans la France méridionale sont plus radicaux en cette matière. Pierre le Vénérable, Adversus petrobrusianos, P. L., t. clxxxix, col. 788 : Si hærcsis hœc vestra Berengerianis limitibus contenta csset. D’autres groupes, de dénominations diverses, se rencontrent encore en Allemagne, en France, dans les pays rhénans, en Campine, dans les Pays-Bas, etc. Les plaintes découragées de saint Bernard, Epist., ccxli, P. L., t. CLxxxii, col. 434 sq. ; d’Innocent 111, Epist., 1. X, epist. Lxx, dans Bouquet, Recueil des historiens des Gaules, t. xix, p. 490, d’Eckbert de Schonau, Sermones contra catharos, i, 1, P. L., t. ccv, col. 13, etc., en disent long à ce sujet. Voir aussi Vacandard, Saint Bernard, 3<= édit., t. ii, p. 222 ; Hauck, op. cit., t. IV, p. 856, etc. Du point de vue qui nous occupe, cette distinction a moins d’importance, puisque nous n’examinons ici ces attaques hérétiques que dans leur influence sur le développement de la théologie de l’eucharistie.

Ces objections des sectes hérétiques contre l’eucharistie au xiie siècle nous sont attestées par le cistercien Pierre de Vaux-Cernay, Historia albigensium, dédiée à Innocent III, c. ii, P. L., t. ccxiir, col. 546, qui nous fournit aussi le plus ancien témoignage sur la distinction trop oubliée, au xvi" : siècle et ensuite, entre cathares et vaudois, par les sermons d’Eckbert de Schonau, Sermones contra catharos, I, 1 ; XI, P. L., t. cxcv, col., 15, 84 sq., ou de Raoul l’Ardent, Homil., xix, in epistolas et evangelia dominiea, P. L., t. clv, col. 2011, qu’il faut désormais placer dans la deuxième moitié du xiie siècle, Geyer, Rad. Ardens und das Spéculum univcrsale, dans Tiibinger Theolog. Quartalschrifl, 1911, p. 6389 ; par les lettres des légats contre l’hérésie albigeoise en 1178, dans Roger de Hoveden qui les donne in