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EUCHARISTIE DU IX^ A LA FIN DU XP SIÈCLE


Amalaire était allé étudier à Corbie, en 827, des manuscrits de liturgie romaine. S’entretint-il avec Pascliase Radbert, moine de cette abbaye, de son opinion sur le corps eucharistique du Christ ? On l’ignore, et on ne sait pas s’il fut pour quelque chose dans la composition par Pascliase du De corpore et sanguine Domini. Ce traité, écrit en 831 et rendu public en 844, marque une grande date dans l’histoire du sacrement de l’eucharistie. C’est la première monographie scientifique qui lui ait été consacrée. D’une importance considérable par lui-naême, il le fut encore par la controverse qu’il déchaîna. Nous nous contenterons d’esquisser les grandes lignes de cette controverse et la suite des faits, renvoyant, pour un exposé complet du rôle et des idées des principaux écrivains qui intervinrent, aux articles qui les concernent dans ce Dictionnaire.

La nouveauté de Pascliase est d’affirmer comme une thèse fondamentale ce qui a été indiqué d’un mot et comme en passant par quelques Pères, à savoir, l’identité du corps historique et du corps eucharistique du Christ, sans laquelle le corps eucharistique ne serait qu’une ombre et une vaine figure de l’autre ; du reste, réellement présent, le corps de Jésus dans l’eucharistie ne doit pas être entendu à la façon capharnaïtique, il n’a point le même mode d’être que le corps historique, il a une présence spirituelle, et l’eucharistie est à la fois vérité et figure, vérité puisqu’elle contient réellement le corps et le sang du Christ, figure puisqu’elle rappelle l’immolation de la croix, figure dans tout ce qui exterius sentitiir, vérité dans ce qui inlcrius recte intelligitur aiit creditur. Cf. c. i, n. 2 ; c. IV, n. 1-2 ; c. vii, n. 2, P. L., t. cxx, col. 1269, 12771278, 1279, 1285, etc. Reste à expliquer comment le corps historique du Christ demeure identique à lui-même en cessant d’être étendu et palpable, comment il est ensemble corps véritable et spirituel ; reste à expliquer la conversion elle-même, et ce que devient le pain dont les apparences demeurent. Tout cela requiert une métaphysique surnaturelle de l’eucharistie, qui sera l’œuvre des grands docteurs du xu^ et du xiii’e siècle, et que saint Thomas poussera à sa perfection. Paschase n’y atteint pas, mais, s’il ne la formule pas tout entière, " reconnaissons que Paschase est plus près de la formuler que personne ne l’a jamais été. » P. Batiffol, Éludes d’histoire et de théolof/ie positive, 2° série. L’eucharistie, ta présence réelle et la transsubstantiation, .3e édit., Paris, 1906, p. 364.

Paschase Radbert avait dédié le De corpore et sanguine Domini à Charles le Chauve. S’il faut en croire Bércnger de Tours, Episl. ad Richardum, dans d’Achery, Spicilef/ium, Paris, 1657, t. ii, p. 510, à la demande de Charles le Chauve, .Jean Scot Ériugène écrivit sur l’eucharistie. Sachant, par ailleurs, que ce fut sur l’ordre de Charles le Chauve que Ratramne composa son De corpore et sanguine Domini, on a conclu que le traité de Paschase occasionna une consultation de Charles le Clhauvc, d’où provinrent les traités de Jean Scot et de Ratramne. Cette manière de voir n’a pas rallié tous les suffrages ; des critiques ont pensé qu’il n’y eut pas un traité de Jean Scot Ériugène distinct de celui de Ratramne. Très probablement Ériugène a traité de l’eucharistie dans un ouvrage qui ne se confond pas avec celui cpii nous est parvenu sous le nom de Ratramne, ou dans les parties perdues de ses commentaires sur le pseudo-Aréopagite ou sur saint Jean, après 851 et avant 860. Les doctrines eucliaristifiues de.Jean Scot difîèrent de l’enseignement de l’ascliase. Il n’est pas certain qu’il ait nié la présence réelle ; il se servit au moins d’expressions ambiguës et « lantîercuses..Xdrevald de Flcury écrivit contre les « inepties » cucharistuiues de.Jean Scot. Voir ÉiiiriÈNi ;, t. v, col. 40.5-106. Cf. R. Ileurlevent,

Durand de Troarn et tes origines de l’hérésie bérengarienne, Paris, 1912, Appendice I, p. 253-285.

C’est vers 859 que Ratramne, moine de Corbie, écrivit le De corpore et sanguine Domini. Il y traite deux questions, qui sont les suivantes. Tout est-il à découvert dans l’eucharistie, en telle sorte que les yeux voient tout ce qui s’j" passe, sans aucune figure et sans aucun voile, ou y a-t-il quelque chose de secret qui n’est découvert qu’aux yeux de la foi ? Le corps du Christ que l’on reçoit dans l’eucharistie est-il le même qui est né de Marie, qui a souffert, est mort, a été enseveli, est ressuscité, est monté aux cieux, est assis à la droite du Père, c. v, P. L., t. cxxi, col. 129-130 ? Il résume la réponse à la première question en disant, c. XLix, col. 147, que corpus et sanguis Christi, quse fldelium are in Ecclesia percipiuntur, figuras sunl secundum speciem visibilem, at vero, secundum invisibilem substanliam, id est, divini potentiam Verbi, vere corpus et sanguis Christi existunt. A travers des gaucheries d’expression et des formules qu’il n’a pas réussi à dégager de toute équivoque, Ratramne affirme la présence réelle. Le problème qu’il discute n’est pas de savoir s’il faut l’accepter, si l’eucharistie est réalité ou figure, mais si, étant réalité, elle est encore figure. En cela, an fond, il s’accorde avec Paschase Radbert, qui s’exprime mieux que lui. Cf. Bossuet, i/zs/o(re des variations des Églises protestantes, 1. IV, n. 32, Œuvres, édit. Lâchât, Paris, 1803, t. xiv, p. 167-168 ; Loofs, Realeneijklopàdie, 3e édit., 1896, t. i, p. 61. Mais, à la différence de Paschase, il n’admet pas l’identité du corps eucharistique du Christ et de son corps historique, et manifestement c’est Paschase qu’il combat, quoiqu’il ne prononce pas son nom. Toutefois, le conflit est plus dans les mots que dans les idées. Le corps historique du Christ était visible, palpable, le corps eucharistique est invisible, impalpable, spiritucl, donc ce n’est pas le même corps, dit Ratramne. Le corps eucharistique est identique au corps historique, dit Paschase, mais avec un mode d’être différent. A’; 7° 7 igitur hic corporaliter sed spirilualiter senliendum, dit Ratramne, c. lx, col. 152 : corpus Cliristi est, sed non corporaliter, et sanguis Christi est, sed non corporaliter. Et Paschase, c. x, n. 1, P. L., t. cxx, col. 1305, 1306 : Quatenus totum spiritaliter intelligere mens sutagerct ubi nihil carnale sentire lieet… Totum spiritale est quod comedimus. Le fond du traité de Ratramne est exact, mais la forme est défectueuse. Il retarde considérablement sur Paschase Radbert. Un passage, c. liv, P. L., t. cxxi, col. 148-149, semble même, il première vue, présenter la conersion opérée par les paroles de la consécration comme ne portant pas sur la substance tlu pain et du viii, qui resterait immobile : nam, secundum erealurarum substanticmi, quod fnerunt anfe consecrationem, hoc et postai consislunt. Mais le mot substance n’a iioint là le sens que lui donna la scolaslique d’après Aristote ; dans ce texte, ainsi que dans d’autres textes où l’on a cru voir que Ratramne tiendrait pour la permanence de la substance du jjain et du vin après la consécration, c. ix, xii, xiv, col. 131, 132, 133, Ratramne paraît entendre que, pour les sens, le pain et le vin demeurent après la consécration ce qu’ils étaient avant elle. Cf. les notes de l’éditeur de Ratramne, Jacques Hoileau, P. L., t. cxxi, col. 131-131, 117-149, et remarquer, col. 133, les mots : secundum speciem namque creaturæ formamque rerum visihiliiim, et tout le contexte, qui spécifie que l’absence de changement dans le pain et le vin n’existe que pour les sens, et, comme le dit encore Ratramne, col. 131, que punis qui prr sacerdatis ministeriuni Christi corpus conficHur (diud exterius hnminiis scnsibus oslendil él aliud inlerius fidelium menlibns clanud. Pas plus que Ratramne, Raban Maur n’admit