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EUCHARISTIE D’APRES LES PÈRES


d’avance, comme celui qu’il appelait son maître, TertuUien, sauf à user d’un style moins obscur et plus correct, sauf aussi à proposer en quelques lignes, dans un raccourci substantiel dont la théologie fera son profit, les idées maîtresses de la doctrine eucharistique en tant que sacrifice. Relativement au dogme de la présence réelle, son langage est celui de la tradition liturgique : le réalisme eucharistique en forme le fond ; mais il est aussi symbolique sans qu’il y ait la moindre contradiction, et l’on voit se dessiner la distinction capitale entre le symbolisme, qui doit être limité au signe et ne doit s’entendre que du signe, et le réalisme qui s’applique à ce que le signe signifie, contient et donne.

Qu’est donc, aux yeux de saint Cyprien, ce que le signe signifie, contient et donne ? L’eucharistie, dit-il, est une chose sainte et sanctifiante tout à la fois ; il compare les éléments eucharistiques à l’eau du baptême, à l’huile de la confirmation. Mais là se borne la comparaison, car l’eucharistie est quelque chose de plus que l’eau ou l’huile, à savoir le corps et le sang du Christ ou le sanctum Domini, selon l’une de ses expressions. Cela résulte indiscutablement de son langage et de sa conduite vis-à-vis des chrétiens, des hérétiques et des lapsi. Se souvenant, en effet, du texte de saint Paul, que « celui qui mange le pain ou boit le calice du Seigneur indignement est coupable envers le corps et le sang du Seigneur, » il requiert de la part de ceux qui veulent communier qu’ils aient reçu le baptême catholique ; car ce serait une faute, comme lui écrivait Firmilien de Césarée, de permettre à ceux qui n’ont été baptisés que par les hérétiques de « recevoir par une communion témérairement usurpée le corps et le sang du Seigneur. » Epist., lxxv, 21, Hartel, S. Cijpriani opéra, Vienne, 1868-1871, t. ii, p. 823. Quant aux lapsi, devenus impudents après avoir été lâches, ils réclamaient leur admission immédiate à la communion, sans aucune pénitence préalable, et par là, dit saint Cyprien, vis infr>rtur corpori ejus et sanguini, et plus modo in Dominum maiiibiis atque are delinqmint, qiiam qiium Dominum negaveruni. De lapais, IG, Ilartcl, t. i, p. 248. Tel, dit-il, s’irrite quod non slaliui Domini corpus inqiiinatis manibus accipiat, anl ore polluto Domini sanguincm bibal. De topsis, 22, Hartel, 1. 1, p. 25.3. Quant à lui, il s’indigne qu’on ose profaner l’eucharistie, c’est-à-dire le corps sacré du Seigneur, eucluiristiam, id est, sanctum Domini corpus, profanare audrant. Episl., yiy, 1, Hartel, t. ii, p. ôli. Toutefois, devant les menaces d’une persécution nouvelle, il consent à admettre les lapsi à la communion pour leur donner la force de confesser la foi et de verser leur sang, car il les veut munis de la protection du sang et du corps du Christ ; » et cum ad hoc fiât eucliarislia ut possil accipienlibus esse tutela, quos lulos esse contra adversarium voluimus, nutrimento dominicx saluritalis armemus. Xam quomodo docemus uul prouncamus eos in confessionc nominis sanguincm suuni jundere, si cis militaturis Christi sanguincm denegamus ?… Aul quomodo admarlijrii poculum idoneos facimus, si non cos prius ab bibendum in erclesia poculum Domini jure communicationis adniittimus’.' Epist., Lvii, 2, Hartel, t. ii, p. G.")2. A la veille du combat suprême, les soldats du Christ doivent être prêts, considérantes idcirco se quolidic calircm sanguinis Christi bibcrc ut possinl et ipsi proptcr Cliristum sanguincm jundere. Epist., lviii, 1, Hartel, t. ii, p. 657. Ailleurs, De lapsis, 2."), saint Cyprien rapporte le fait d’une enfant que sa nourrice avait fait participer à un sacrifice idoiâtriquc et que sa môre, ignorant ce qui venait de se passer, porta à l’église où il célébrait les saints mystères. Quand le diacre, portant le calice, voulut y faire goftler l’enfant, celle ci se détourna ; le diacre insistant lui versa quand même sur les lèvres

quelques gouttes de sacramento calicis. Mais aussitôt l’enfant d’éclater en sanglots et de vomir. In corpore atque ore violato, note saint Cyprien, eucharistio permanere non poluit, sanctificatus in Domini sanguine potus de pollutis visceribus erupil. Ces allusions et ces expressions sont trop nombreuses, trop fortes et trop précises en faveur du dogme de la présence réelle pour qu’on puisse faire de leur auteur un tenant du symbolisme.

On a essayé pourtant, car on a cru découvrir le symbolisme au sens des calvinistes dans deux passages de la lettre à Cécilien, qui est un petit traité de l’eucharistie-sacrifice. Voici le premier : Nam cum dicat Christus : « Ego sum vilis vera, » s(mguis Christi non aqua est utique, sed vinunj. Nec potest vidcri sanguis ejus, quo redempli et vivificati sumus, esse in calice, quando vinum desit calici, quod Christi sanguis ostenditur. Epist., lxiii, 2, Hartel, t. ii, p. 702. Voici le second : Videimis in aqua populum intclligi, in vino vcro oslendi sanguincm Christi… Si l’inum tantum quis offcrat, sanguis Christi incipit esse sine Christo. Ibid., 13. Dans ces passages, assure-t-on, le pain et le vin ne sont dits corps et sang du Christ qu’en tant qu’ils seraient un mémorial de la passion du Christ, c’est-à-dire du corps et du sang en état de sacrifice. Telle est, d’après Loofs, Abendmahl, p. 58, l’interprétation de tous les critiques protestants : ils sont unanimes à y reconnaître une conception symbolique et sacrificielle de la cène. Cf. Goetz, Das Christentum Cyprians, 1896, p. 23 ; Sceberg, Lchrbuch dcr Dogmengeschichte, 2e édit., Erlangen, 1908, t. i, p. 548, D’une part, ces expressions : videri sanguis ejus Christi sanguis ostenditur, montrent que le sang n’est pas présent, mais seulement en apparence. D’autre part, en comparant l’eau au peuple et le vin au sang du Christ, saint Cj-prien autoriserait à conclure que, de même que l’eau est le pur symbole du peuple, de même le vin est le pur symbole du sang. Dans ce cas, ferons-nous remarquer, il faut admettre que saint Cyprien s’est grossièrement contredit. Or, il n’en est rieu : saint Cyprien est pleinement d’accord avec lui-même, tout le contexte le prouve. L’évêque de Cartilage vise, en effet, dans cette lettre, ceux qui, ignoranler vcl simplicitcr, n’employaient que de l’eau pour le sacrifice et s’écartaient ainsi de l’usage liturgique traditionnel. Il condamne leur erreur pour ce motif, entre autres, que l’eau n’a pas de rap]iort avec le sang, tandis que le sang a toujours été figuré dans l’Écriture par le vin. Si donc, dit-il, on n’offre le sacrifice qu’avec de l’eau, où sera la relation indispensable avec le sang, puisque le viii, figure du sang, quod Christi sanguis ostenditur, fait défaut ? Il n’y a plus rien dès lors qui indique qu’au sacrifice il s’agit du sang du Christ, 7107 ? potest vidcri sanguis ejus. Et ainsi se justifie cette double expression, qui n’affirme pas le moins du monde qu’il n’y ait dans le sacrifice eucharistique qu’un pur symbole. La suite du texte montre même le contraire : Quis magis sacerdos Dei surnii}i quam Dominus nostcr Jcsus Christus, qui sacripcium Deo Palri obtulit, et obtulit hoc idem quod Mclchiscdcch obtuicrat, id rst, pancm et vinum, suum scilicet corpus et sanguincm. Epist., lxiii, 4, Hartel, t. ii, p. 703. Le sacrifice de Melchisédech n’était qu’une figure ; or.lésus Christ, qui est la plénitude, vcritatem prirfiguralx imaginis adimplcvit. Quand donc ? Lorsqu’il a offert le pain et le vin mêlé d’eau, ibid., p. 704 ; mais ce pain et ce calice, Cyprien vient de nous le dire, c’est son corps et son sang, suum scilicet corpus et sanguincm. Peut-on conclure du second passage que le vin n’est pas plus réellement le sang de.Jésus-Christ que l’eau n’est la communauté des fidèles ? Nullement, car ce que saint Cyprien vient de dire, au sujet de ce que Jésus a offert en offrant le pain et le viii, s’y