Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/576

Cette page n’a pas encore été corrigée
1123
1124
EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES


est clair qu’on peut dire d’elle qu’elle est le symbole de ce qui sera. Mais conclure de ce que certains Pères ont nommé l’eucharistie, sans autrement spécifier, le symbole ou l’image du corps et du sang du Sauveur, à une croyance et à une théorie symboliste contraire au réalisme, c’est, comme on le verra, ce qui ne peut se justifier. De même, l’allégorisme de quelques-uns, d’après lequel le corps du Christ est son corps mystique ou l’Église, ou bien encore sa doctrine, son enseignement, n’autorise pas à fairedeceux qui l’enseignent des partisans du symbolisme eucharistique ; car c’est, chez eux, une doctrine qui ne nie point la présence réelle, mais la suppose et se surajoute à l’enseignement ordinaire. Ce qu’il importe d’observer, c’est que, malgré le défaut de clarté suffisante dans l’expression de quelques-unes de leurs pensées, ou de précision dans l’emploi de certains termes, les Pères permettent de retrouver dans ce qu’ils ont dit, à l’état plus ou moins explicite, les données fondamentales et les éléments essentiels de la doctrine catholique sur l’eucharistie. Et l’on est en droit de conclure qu’entre leur enseignement, quelque rudimentaire et imparfait qu’il paraisse, et l’enseignement actuel, s’il y a un progrès et un développement incontestable, ce progrès et ce développement sont la suite logique, cohérente et justifiée de leur propre doctrine.

Doctrine des Pères sur la présence réelle.

Le

point central de la doctrine eucharistique des Pères est la présence réelle du corps et du sang du Christ, du Christ lui-même dans l’eucharistie. C’est, en effet, littéralement et non métaphoriquement qu’ils entendent soit les paroles de la promesse, soit celles de l’institution. Des paroles de la promesse ils écartent seulement l’idée d’une manducation charnelle au sens grossier des capharnaïtes, mais ils maintiennent le sens d’une vraie manducation par la bouche et non en esprit, et ils font remarquer comment Notre-Seigneur, par l’institution de l’eucharistie, avait admirablement réalisé son mystérieux dessein, en donnant vraiment sa chair à manger et son sang à boire sans exciter la moindre répugnance. Quant aux paroles de l’institution : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, » ils ont estimé qu’elles s’entendent si bien par elles-mêmes qu’une explication était inutile. Loin donc de faire observer, comme pour tant d’autres passages de l’Écriture, qu’elles ne sont pas à prendre dans leur sens littéral, ils appuient au contraire sur ce sens littéral. Que si la chose signifiée, à savoir la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ, paraît contraire au témoignage des sens et déconcertante pour la raison, ils en appellent simplement à la véracité, à l’autorité et à la toute-puissance de Dieu, et ils réclament un acte de foi ; car c’est Dieu lui-même qui a dit : « Ceci est mon corps ; » or, Dieu ne ment pas et il fait ce qu’il dit. Pour que le pain soit ou devienne le corps du Sauveur, il faut donc l’intervention divine ; et celle-ci a lieu par la prière de l’action de grâces en général, ou par les paroles mêmes du Sauveur à la dernière cène que le prêtre répète, ou par un appel à Dieu pour qu’il envoie le Saint-Esprit sur le pain et le vin afin d’en faire le corps et le sang du Christ. Voir ÉpiCLÊsE, t. v, col. 194. Une fois la bénédiction, sanctification ou consécration faite, car les Pères emploient indistinctement ces expressions, il ne faut plus s’arrêter au témoignage des sens ni aux difficultés soulevées par la raison, mais formuler un acte de foi sans aucune hésitation et sans le moindre doute. Et les Pères de répéter sous des formes variées que l’eucharistie est indubitablement, certainement, véritablement, réellement, proprement le corps même du Christ ; et quelques-uns de spécifier que c’est le corps même dans lequel il s’est incarné et qu’il a pris de la Vierge Marie.

C’est ce corps ainsi rendu présent que le communiant doit recevoir et manger pour en recueillir les plus admirables fruits tant pour son âme que pour son corps. Car l’âme n’est pas seule à tirer profit de la communion, le corps en profite aussi, l’âme spirituellement, le corps corporellement. Et c’est pourquoi, parmi les effets attribués à l’eucharistie, les Pères insistent sur ceux qui sont propres au corps, entre autres, l’incorruptibilité ou l’immortafité. Ils appellent la communion un antidote de la mort, un remède d’immortalité, un principe de la vie éternelle, une source vivifiante, précisément parce qu’elle donne la chair du Christ. Tous ces effets de la communion, signalés par les Pères, impliquent nécessairement la présence réelle du Christ dans sa double nature d’homme et de Dieu. Et « quand nous n’aurions, dit Arnauld, Pe/-/>é/uz7érfe /a /o/, Paris, 1669-1674, t. II, 1. V, c. II, p. 498, que les seules expressions par lesquelles les Pères marquent cette union de Jésus-Christ, comme d’entrer dans nos corps, de s’introduire dans nos corps, d’être reçu dans nos entrailles, d’être en nous, d’être dans nos corps, d’être mêlé ù nous, d’être joint à nous corporellement, d’être en nous conune un médicament avalé, comme un plomb qui purifie un métal avec lequel on le fond, conune un feu qui agit sur de l’eau, comme un morceau de cire mêlé avec un autre, comme une étincelle qui se conserve dans de la paille, comme un levain mêlé dans de la pâte, toutes ces expressions, dis-je, qui n’ont jamais été employées pour marquer une union de signe et de figure, ou une participation de vertu, seraient encore plus que suffisantes pour prouver cette présence. Mais l’union de ces deux preuves ensemble, l’une que les Pères ont regardé la chair de Jésus-Christ comme une cause opérante qui demande d’elle-même une présence réelle, l’autre cet amas d’expressions qui la signifient, prouve d’une manière si convaincante que les Pères ont cru une présence réelle, qu’il n’y a que des esprits extraordinairement préoccupés et que la passion a rendus incapables de se rendre à la raison qui y puissent résister. »

Mais pour que la chair du Christ opère ces effets, pour qu’elle vivifie immédiatement par elle-même et sans autre intermédiaire, elle doit être mangée, non en signe mais en réalité, non pas seulement par la foi mais encore de bouche. Par là s’opère une union corporelle du communiant avec le Christ ; de telle sorte qu’il y a une double union avec le Christ, l’une spirituelle avec son esprit par la grâce, et l’autre corporelle avec son corps par la communion ; la première pouvant s’obtenir par bien des moyens différents de la communion, tandis que la seconde ne se réalise que par la seule réception de la communion. Or, cette dernière suppose nécessairement la présence réelle.

Doctrine des Pères sur la transsubstantiation.


Ainsi donc le dogme de la présence réelle a d’indéniables témoins dans les Pères des cinq premiers siècles ; il est formellement attesté, et aucun témoignage, absolument, ne favorise la présence en figure ou, comme disait Arnauld, l’absence réelle. En est-il de même du dogme de la transsubstantiation ? Celui-ci est sans doute intimement lié au premier, mais il n’a pas toujours été l’objet d’un examen spécial. Ce n’est point qu’il ait passé complètement inaperçu, mais il s’est explicité peu à peu ; et sans que les Pères aient songé, pour la plupart, à pousser à fond la théorie du changement qui s’opère dans l’eucharistie, ils n’ont pas laissé de signaler l’existence d’un tel changement et même de le qualifier. Pour que le pain soit ou devienne le corps du Sauveur, il faut, affirment-ils, qu’il se produise quelque chose de nouveau qui n’était pas auparavant ; car le pain par lui-même n’est pas le corps du Christ. Si donc le Christ a dit en prenant du pain :