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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


drait, ajoute-t-il, préciser davantage, dire où et quand et dans quelles circonstances la conception religieuse grecque a agi sur Paul. Nous connaissons trop mal l’histoire des contacts de Paul avec l’hellénisme pour qu’il soit possible de le faire. Il n’est d’ailleurs pas certain que l’influence que nous soupçonnons ait agi à un moment bien défini et ait une origine précise. L’apôtre Paul est bien trop hostile au paganisme en général pour qu’on puisse admettre qu’il ait subi l’influence d’un culte païen particulier, tandis que rien n’empêche de penser qu’il se soit assimilé d’une manière toute spontanée l’idée de sacrement qui faisait partie de l’atmosphère intellectuelle de l’hellénisme. »

De telles affirmations portent en elles-mêmes les traces de leur faiblesse : l’influence s’exerce on ne sait quand, où, par qui, comment : aucune preuve positive n’est apportée. Il s’agit d’une action latente et inaperçue. Ce n’est pas une conception déterminée qui a agi, c’est une atmosphère ; ce sont les idées régnantes ; on peut essayer un rapprochement, on ne découvre pas une cause proprement dite. Il y a tendance du rite chrétien à des assimilations païennes. Des assertions aussi vagues ne peuvent être discutées : elles sont trop imprécises pour qu’on puisse les saisir. Mais elles ne reposent, par hypothèse, sur aucun argument positif, elles sont gratuites. Aussi les deux spécialistes peut-être les plus autorisés parmi les critiques indépendants, Clemen, Religionsgeschichlliche Erklârung des Neuen Testaments, Giessen, 1909, p. 185-207, et Anrich, op. cit., p. 110 sq., se refusent à admettre cette prétendue influence de l’hellénisme. Le dernier écrit : « La conception de Paul et celle de Jean (à plus forte raison celle des Synoptiques ; l’auteur ne juge pas même à propos de les défendre du soupçon) dans ce qu’elles ont d’essentiel ne peuvent être regardées que | comme des créations originales du génie chrétien sur le fond du judaïsme authentique. » L’auteur accorde tout au plus que ces deux premières ont subi l’influence de la pensée grecque « d’une manière secondaire. » La théorie qui expliquerait par une action de ce genre leurs vues sur le baptême et l’eucharistie « manque de base. » L’idée de saint Paul s’harmonise avec sa synthèse religieuse.

Mais, objecte Goguel, op. cit., p. 187-188, l’apôtre établit un parallèle entre la cène cliréticnne et les sacrifices païens, il y a donc entre les deux rites « une affinité profonde. » S’il n’en était pas ainsi, l’argument que saint Paul tire de cette analogie « n’aurait pas de base. » Il est facile de répondre que l’Épîlre aux Corinthiens distingue avec soin les deux institutions. De même, elle compare la communion aux sacrifices juifs : est-ce à dire qu’ils sont identiques ou qu’ils aient même origine, d’après saint Paul ? Pour lui, la table du Seigneur n’est pas la table des démons chargée d’un mets nouveau. Il a en abomination l’idolâtrie. Il s’élève avec la plus grande vigueur contre la tentation d’unir au repas du (Christ des habitudes qui rappelaient trop bien les usages des banquets païens. Dans tout le développement, il n’instruit, ne proteste, ne blâme que pour mettre en garde contre les dangers que courait sur le sol grec le mystère chrétien. Il parle avec une extrême sévérité, il veut empêcher la profanation du rite et l’altération des souvenirs traditionnels. Pourtant, l’abus qu’il co’mbat n’atteint pas l’eucharistie proprement dite, mais le repas qui l’accompagne ; la cérémonie religieuse elle-même n’est pas en péril d’être complétée ou supplantée par une cérémonie païenne ; mais les convenances, la modération sont violées. Si ces fautes indignent l’apôtre, est-il possible d’admettre qu’il ait emprunté à des mythes abhorrés ses théories du sacrement, de l’eucharistie,

du sacrifice, de la rédemption, c’est-à-dire quelques-unes des conceptions fondamentales de sa doctrine ?

C’était d’ailleurs inutile et impossible. Ce recours au paganisme était superflu. La notion de sacrifice est une idée juive. L’idée de l’expiation n’est pas ignorée d’Israël. La promesse d’un banquet messianique avait été faite et retenue. Le concept d’alliance entre les fidèles et Dieu était le fond même de l’antique religion de Paul. Le sacrifice, croyait-on, faisait participer à l’autel de Jahvé, permettait de manger et de boire avec joie devant lui, créait une union par le sang. Continuellement, dans tous ses écrits, l’apôtre fait allusion ou appel aux rites mosaïques, aux événements, aux personnes de l’histoire juive. Il met en rapport l’immolation de Jésus avec les sacrifices d’Israël, avec l’antique alliance, avec la manducation de l’agneau pascal. Mais, dit Goguel, loc. cit., « si [dans l’Ancien Testament] les victimes sont des objets sacrés, elles ne sont pas comme le corps et le sang du Christ, des objets divins. » Peu importe. Si Paul admet que Jésus s’est immolé pour nous, ses conceptions juives l’autorisent à penser que nous participons à la chair du Christ comme à celle de notre victime expiatoire. Pourquoi veut-on d’ailleurs qu’il n’y ait rien de nouveau dans le christianisme ? Tout ce qui s’y trouve doit-il être legs du judaïsme ou emprunt au paganisme ? La religion de Paul serait-elle la seule qui ne pourrait être originale ? Jésus, l’apôtre, n’ont-ils pas pu émettre quelque idée neuve ; lorsqu’on croit en apercevoir une, doit-on récuser immédiatement les témoignages qui la leur attribuent expressément et conclure qu’elle dérive d’une autre religion ? Les critiques qui raisonnent ainsi devraient démontrer qu’il était interdit au Christ et ; ses disciples d’avoir des pensées personneUes.

Ils sont obligés d’indiquer aussi où fut prise la doctrine qu’ils se refusent à faire remonter aux chrétiens. La tâche est impossible. Les ressemblances que l’on constate n’aflectent que l’extérieur des rites, elles sont superficielles. Nous sommes loin d’Osiris, d’Horus et d’Isis : personne ne le niera. Dans les Synoptiques et en saint Paul, la cène a pour cause l’amour de Jésus, pour effet la sainteté du fidèle : le rite n’a rien de magique. Pour y participer, il faut être pur, et si on s’en approche, on le devient davantage. La " catliarique » grecque se proposait de délivrer le fidèle moins du mal moral que des puissances mauvaises dont il était entouré. L’orphisme veut purifier l’homme, mais en l’alïranchissant du corps. Les initiations saintes et les prescriptions morales tendent à libérer l’âme des influences titaniques qu’elle subit en raison de son union au corps et à l’unir à Dionysos d’où elle vient et vers qui elle retourne ; ces cérémonies d’une religion panthéiste et dualiste ressemblent aussi peu que possible aux sacrements chrétiens.

L’n seul rapprochement peut attirer un instant l’attention. Il a déjà été fait par saint Justin et parTertullicn. « Dans l’office mazdéen, dit Franz Cumonl, Les mystères de Mithra, Paris, 1902, p. 13 : 5. le célébrant consacrait des pains et de l’eau qu’il mêlait au jus capiteux du liaonuj préj^aré par lui et il consommait ces nliiuents au cours de son sacrilice. Ces antiques usages s’étaient conservés dans les initiations mithriaques ; seulement au haoma, plante inconnue en Occident, on avait substitué le jus de la vigne. On plaçait devant le myslc un pain et une coupe remplie d’eau sur latjuelle le prêtre prononçait les formules sacrées. Cette oblation du pain et de l’eau à laquelle on mêlait sans doute ensuite du vin… n’était accordée qu’après un long noviciat. II est probable que seuls les initiés qui avaient atteint le grade de « lions » y étaient admis… Ces agapes sont évidemment la commémoration rituelle du festin que