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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


naissaient ce que nous lisons sur le dernier repas ; et puisque, de l’aveu même d’un bon nombre de critiques non croyants, ces écrits, sous leur forme actuelle, prouvent la présence réelle : ce dogme était donc reçu à cette époque.

Mais des arguments historiques — et non seulement des motifs d’ordre religieux — démontrent qu’il faut reconnaître aux Synoptiques une plus grande valeur.

L’authenticité substantielle du premier Évangile est admise par la plupart des critiques catholiques tt par quelques protestant s conservateurs ; l’ouvrage n’est pas jiostérieurà 70. Or Matthieu était un des Douze et assistait à la cène. Le second Évangile est reconnu comme l’œuvre de Marc par tous lescatholiques.par la plupart des protestants conservateurs et par beaucoup de critiques libéraux ; les dates d’apparition proposées se placent entre 40 et 70. Marc est né à Jérusalem, a vécu avec les premiers disciples que recevait sa mère Marie. Il fut le compagnon de Paul, de Barnabe et de Pierre, le disciple de ce dernier, il écrit d’après sa catéchèse : il est donc le porte-parole d’un autre témoin de la cène. Le troisième Évangile a pour auteur Luc : tel est le sentiment des catholiques, des protestants conservateurs et de plusieurs critiques libéraux ; son œuvre fut publiée entre 60 et 70. Païen de naissance, il n’avait pas vu le Seigneur dans la chair ; mais il avait reçu les leçons de saint Paul, il avait consulté ceux qui, dès le commencement, avaient été les témoins oculaires de Jésus et qui furent les ministres de la parole. Il est instruit, diligent à s’informer, attentif aux petits faits, soucieux de faire œuvre de biographe et de laisser au lecteur l’impression de la certitude des vérités chrétiennes. Les critiques catholiques et nombre d’auteurs protestants attribuent le quatrième Évangile à Jean, l’apôtre, c’est-à-dire à un troisième témoin du dernier repas de Jésus. Ces conclusions acceptées, il faut admettre cju’aucun fait n’est mieux garanti dans le passé primitif chrétien, que l’institution par Jésus de la cène où il donna son corps en ]irésentant du pain, son sang en offrant du vin.

2. Si on n’attribue pas à Jésus l’institution de l’rncharistie, on aboutit à des hypothèses irrecevables. — Il ne suffit pas de nier : les critiques qui contestent les affirmations des catholiques sont obligés de rendre compte des textes et des faits. Si l’eucharistie ne remonte pas à Jésus, qui l’a imaginée, et quelle a été la conception du Christ ? Le rechercher et examiner les hypothèses émises, c’est constater la supériorité, le bien-fondé de la solution traditionnelle : toutes les autres sont inacceptables.

a) L’essai de reconstitution de la pensée de Jésus par les critiques non crot/ants n’est pas heureux. — Les opinions émises sont très divergentes ; pour pouvoir les passer en revue, il est nécessaire de les grouper sous quelques chefs ; l’eucharistie, sanctification de l’acte de boire et de manger ; l’eucharistie, repas fraternel ; l’eucharistie eschatologique ; l’euciiaristic, parabole et figure de la passion ; l’eucharistie, alliance ; l’eucharistie, don de la personne de Jésus.

a. Selon Harnack, Jésus, en présentant les aliments comme son corps et son sang, s’est placé pour les siens au centre de leur vie naturelle ; il leur a promis d’être là avec la puissance du pardon des péchés chaque fois qu’ils prendraient leur repas en souvenir de lui. Op. cit., j). 1.39. On peut rajjprocher de cette interprétation toutes celles qui volent dans la cène de Jésus un simple repas religieux et dans la fraction chrétienne un moyen de sanctification. Celte explication ne fait aucun cas de la déclaration eschatologique. IJIe transforme complètement le sens <les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. f’.eci n’est plus seulement le pain et le viii, ce que tient Jésus, c’est n’imporle quel aliment pris par

n’importe qui. Ceci est mon corps, mon sang, devient : Ceci vous sanctifie, nourrit votre âme par le pardon des péchés, l’aide à rendre grâce pour la passion du Sauveur. On voit immédiatement l’infranchissable abîme qui sépare les deux conceptions, celle du Nouveau Testament et celle que l’on propose. Où donc a-t-on trouvé dans les paroles de Jésus la promesse que cette sanctification serait produite chaque fois que le disciple mangerait et boirait ? On lit, mais seulement dans le commentaire de saint Paul, cette phrase : « Toutes 1rs fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur ; » et il faut bien observer que le contexte précise le sens de cette affirmation, que, d’ailleurs, elle ne prête à aucune équivoque, c’est ce pain et non n’importe quel pain qui commémore la passion. Ou la sanctification dont parle Harnack est ordinaire et alors pas n’était besoin d’une intervention spéciale de Jésus, d’une solennité si exceptionnelle, de fonnules si étranges : le Christ aurait dû parler comme le fait saint Paul : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu, » I Cor., x, 31 ; « …aliments que Dieu a créés afm que les fidèles et ceux qui connaissent la vérité en usent avec action de grâces. Car tout ce que Dieu a créé est bon et l’on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec action de grâces, parce que tout est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière. » I Tim., iv, 4, 5. Ou bien, comme obligent à le penser les expressions mises par les quatre témoins sur les lèvres de Jésus, il s’agit d’une sanctification nouvelle, exceptionnelle ; et alors, ce n’est pas tout aliment qui la produit à tout moment. La preuve qu’invoque Harnack à l’appui de son hypothèse est ilé[iourvue de valeur ; il n’est pas vrai que les premiers clirétiens employaient indifféremment pour l’eucharistie n’importe quel aliment ; ils se servaient depain, et de pain seulement : cet usage exclusif n’est même pas con l esté ; ils consacraient du vin et non de l’eau cette pratique est démontrée par tous les documents. En liii, si tout repas chrétien avait eu cette efficacité singulière, pourquoi les premiers fidèles ne l’auraient-ils pas su ; comment expliquer que cette idée ait été perdue au lendemain de la mort de Jésus et qu’il ait fallu, pour la retrouver après dix-neuf siècles, l’intervention de.M. Harnack ? b. L’eucharistie, repas d’adirn et qar/c du roijaume. — Tout le monde admet qu’à la cène, .Jésus prend congé de ses disciples et qu’il leur rappelle le rendez-vous prochain. Mais est-ce l’unique enseignement du dernier repas ? C’est ce qu’affirment Andersen et Loisy. On sait à <|uelles conditions ils acquièrent la possibilité de soutenir cette tlièse. Ils sont obligés de rejeter les récits de saint Paul et des trois Synoptiques, d’adopter un texte qui n’existe nulle part et qui ferait l)rononcer par Jésus ces seuls mots : « Je ne mangerai plus… je ne boirai plus… » Peu d’opérations furent plus audacieuses et moins justifiées. De jilus, il faut avouer que la conception eschatologique n’est pas seule présentée, même dans l’Évangile réduit qu’ils reconstituent. Ailleurs, on lit : « Je dispose pour vous comme mon Père a disposé jiour moi du royaume : vous mangerez, vous boirez à ma lable. dans mon royaume. » Luc, xxii, 29,.’! ii. l’ien n’est plus clair. A la cène, au contraire, l’idée du rendez-vous n’est indiquée que d’une manière incidente, elle passe presque inaperçue, la phrase serait complète sans elle. « .le ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » Pourquoi l’emploi du pain I et du vin ? Pourquoi la formule d’adieu csl-clle prononcée en ces termes et n’cst-elle pas simplement : ! « .le ne vous verrai plus ? Cette insistance sur l’acte I de manger et de boire n’a-t-elle pas une raison d’être ?