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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE


de tirer un argument décisif de la présence du mot

Sans doute, les partisans — et il } a parmi eux des catlioliques — d’une révélation immédiate font valoir d’autres preuves. L’apôtre parle souvent des révélations privées qui lui ont été faites. Gal., i, 11, 12 ; Act., XXIII, 11 ; II Cor., xii, 1-4. Il déclare tenir de communications immédiates et non d’une source humaine son Évangile. Gal., i, 12. Le texte suggère d’abord cette pensée ; c’est à une apocalypse que les Corintlûens et les lecteurs modernes non prévenus sont amenés naturellement à songer. Si Paul ne parlait que de connaissance due à la tradition apostolique, l’emploi emphatique du pronom lyto ne se justifierait pas. Il aurait dû écrire : « nous avons appris « ; tous les prédicateurs et tous les fidèles se seraient trouvés dans le même cas que lui.

Ces arguments ne sont pas péremptoires. Les mots : J’ai reçu du Seigneur signifient que ce n’est ni saint Paul ni aucun apôtre qui a formulé le précepte de la cène violé par les Corinthiens, ils sont l’équivalent des formules bien connues : « J’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, " I Cor., vii, 10 ; « En recevant la parole que nous vous avons fait entendre, vous l’avez reçue non comme la parole des hommes, mais comme une parole de Dieu. » I Tliess., ii, 13. Le moi emphatique « n’implique donc pas une révélation personnelle ; il met fortement en opposition la pratique blâmable des Corinthiens avec celle que saint Paul sait être conforme à l’institution même du Sauveur Jésus. Si l’apôtre avait écrit « nous avons reçu » , il aurait singulièrement énerve la force de sa preuve. » Mangenot, loc. cit., p. 255. Le « moi » signifie que le fondateur de l’Église de Corinlhe, celui qui a prêché à cette communauté la cène, peut moins que tout autre approuver ses disciples lorsqu’ils transforment le repas du Seigneur en un banquet vulgaire. Les verbes Tiapa"/aij.oàv-iiv et 773 ; ^ lôiSovai indiquent bien la transmission faite à Paul et par lui à d’autres. Le mot /.ai, ’j’ai reçu ce que j’ai transmis moi aussi, » semble souligner la similitude des deux opérations. Les analogies du langage de l’apôtre viennent confirmer celle conclusion. Dans cette même Épître aux Corinlliiens, énumérant les principaux chefs île la doctrine, saint Paul reprend l’expression : TtapsSo/.a -j-àp {i|j. ; v £v TTOdjToi ; ’j /.ï’i Kxoù.y.ôrfI. xv, 3. La similitude des deux passages est vraiment frappante : les formules se rencontrent ; de plus, elles introduisent le même enseignement sur la valeur rédemptrice de la mort (lu Christ, cet enseignement qu’.Vndeisen et Loisy déclarent étranger à la pensée de.lésus, inconnu dans la théologie de la communauté primitive. Or incontestablement, dans ce dernier passage, l’apôtre se réclame non pas d’une révélation personnelle, mais de la tradition officielle de l’Église. C’est cette tradition qui a appris à Paul que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures, comme elle lui a apprls le fait historique de la résurrection et les apparilionsdu ressuscité. » Van Crombrugghe. loc. cit., p..’{.’{II.

Si donc l’auteur invoque la tradition apostollque, la théorie de l’autosuggestion n’a plus de base. Mais même si on admet, avec certains catlioli(|iies d’ailleurs, que saint Paul ici s’ajjpuie sur une vision ixrsoinielle, on ne peut accepter le système de M. Loisy. Celle révélation n’a-t-elle pas coïncidé avec la tradition primitive, na-t-elle pas eu pour objet non les faits, mais leur sens intime, leur portée mystérieuse ? N’alelle pas été réelle ? Trois questions qu’.Xndersen cl Loisy ne prennent même pas la peine de poser et qu’ils sont pourtant obligés de résoudre avant d’avoir le droit de tirer leurs conclusions. Or saint Paul ne laisse pas entendre qu’il croit ajouter quelque chose à

la doctrine apostolique. Il la connaissait certainement, il avait participé aux assemblées où l’on rompait le pain, il avait entendu les apôtres Pierre et Jacques, les premiers disciples. Comment concevoir qu’il ait osé, non pas modifier un léger détail du récit antique et sans doute reçu partout, mais le transformer entièrement, le rendre méconnaissable ? En vain, Loisy écrit-il, op. cit., t. ii, p. 532, note 1, que « le mélange » de ce qui était traditionnel avec la propre doctrine de l’apôtre « s’est fait dans la région subconsciente de l’âme où se préparent les visions et les songes. » Saint Paul est donc un halluciné : il prend pour réellement accompli ce qu’il imagine afin d’adapter la cène à sa théorie de la rédemption. Line aussi forte affirmation ne se présume pas, elle se prouve : on ne fait pas de quelqu’un un fou sans justifier une si grave accusation.

Non seulement Paul eût été un visionnaire, mais puisque, comme le suppose Loisy, loc. cit.. « il n’a pas pris pour traditionnel un récit où il avait mêlé sa propre doctrine, » il s’est donc rendu compte de l’opposition qui existait entre son rêve et les plus anciens souvenirs chrétiens. Et cette pierre de touche, qui aurait dû lui prouver jusqu’à l’évidence la fausseté d’une conception qui non seulement modifiait, mais supprimait et contredisait tout ce qu’avaient affirmé les propres témoins du fait, ne lui fit pas discerner la valeur de sa prétendue révélation. Paul était un inguérissable halluciné. Il l’était par plaisir, sans nécessité. Car, pour démontrer aux Corinthiens sa thèse, pour les porter à la charité fraternelle, au respect du rite, il n’avait pas besoin de bouleverser de fond en comble toutes les traditions : il lui sufiisait d’insister sur la valeur religieuse de l’acte, sur son origine, sur son caractère de repas fraternel. Il aurait voulu, dit-on, mettre en relation la cène dirétiennc avec l’immolation de la croix ; or, il ne montre pas le sens de la fraction, symbole de la mort, il ne parle même pas du sang versé, figure de celui qui fut répandu au Calvaire, il remplace les paroles traditionnelles par quatre mots dont on n’avait pas l’idée et qui, si on les entend comme le font les catholiques et d’autres, rappellent sans doute le sacrifice de la passion, mais font penser d’abord, surtout, à la présence réelle, et, si on leur cherche un autre sens, deviennent presque inintelligibles, peuvent être intcrjjrétés de telle manière que la notion de l’expiation soit même exclue. Si Paul invente de toutes pièces, pour accommoder le récit de la cène à sa sotériologie, pouiquoi ne met il pas seulement sur les lèvres du Christ sa formule si claire : « Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez ce calice, vous annoncez ma mort ? » Pourquoi, au contraire, invente-t-il de toutes pièces un dogme incompréhensible entre tous, une promesse qui dépassc tout ce que l’homme peut rêver, un don qui, sans doute, ne se détache pas de celui de la croix, mais qui a une telle valeur intrinsèque qu’il accapare une notable partie de l’attention, de la reconnaissance et de la piété du fidèle ? L’apôtre est le plus maladroit des hallucinés.

Sa maladie est contagieuse. Les premiers chrétiens ont des souvenirs ]irécis, une narration aux traits bien nets du dernier repas de.lésus. ils savent qu’ils la tiennent des témoins authentic|ues du fait. VA ils l’abandonnent tous sans discussion, pour adopter le roman fantaisiste créé par l’imagination d’un homme qui n’a pas vi l’événement. Ils sont plus fous que saint Paul. Ils le sont surtout, les Douze. Pierre en tête, qui ne contrôlent pas, ne protestent pas, acceptent comme authentique ce qu’ils savent contraire à la vérité. I-Ji vain Loisy écrit il, loc. cil. : « Ce serait méconnaître entièrement l’état desiirit des premiers croyants que de voir dans cette circonstance une im-